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4.2 Les adverbiaux temporels

4.2.3 Interprétation de l’adverbe

En ce qui concerne l’interprétation des adverbes, nous nous intéressons principalement à leurs deux grands rôles, celui de référence temporelle et celui de durée. Pour chacun de ceux-ci, une catégorisa- tion des adverbes peut être établie de manière à les rassembler en classes homogènes par rapport aux types de traitements à mettre en œuvre. Les deux points consacrés à ces problèmes font principale- ment référence aux différents travaux de Borillo en la matière (Borillo [1983, 1998, 1988]).

Les adverbiaux de référence temporelle

LaPREMIÈRE ANALYSE(1) que nous rapportons provient de Borillo [1983], pour qui les adverbiaux de référence temporelle sont organisés selon une double catégorisation. La première distinction (1a) concerne la relation entre l’adverbe et le moment de l’énonciation. Elle débouche sur quatre classes : les adverbes autonomes, déictiques, anaphoriques et enfin polyvalents (ou neutres).

– Les adverbes autonomes se caractérisent par leur indépendance à la fois par rapport au moment de l’énonciation et au contexte temporel des phrases précédentes du dis- cours. Une catégorisation plus fine consisterait à les répartir en datation calendaire ou historique (« en 1980 », « au Moyen-Âge »), en datation événementielle (« à sa naissance », « avant la réunion ») et en localisation vague (« une fois », « à l’avenir »). – Les adverbes déictiques sont définis par rapport au moment de l’énonciation (« il y a une semaine », « l’an prochain »). Celui-ci implique une division de l’espace du

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temps en trois parties, passé / présent / futur, dans lesquelles viennent s’inscrire ces adverbes.

– Les adverbes anaphoriques (« la veille », « dix ans plus tôt ») sont définis par rap- port à une référence temporelle déjà établie dans le discours. Une fois cette référence identifiée, l’adverbe anaphorique est interprété selon un rapport d’antériorité, de si- multanéité ou de postériorité avec celle-ci.

– Les adverbes polyvalents sont définis comme pouvant fonctionner à la fois en tant que déictiques ou en tant qu’anaphoriques. Dans « Il est arrivé dans la soirée », l’in- terprétation déictique se rapporte à une partie de la journée d’énonciation, alors que son usage anaphorique réfère plutôt à un intervalle contenu dans une autre journée déterminée par le contexte.

La seconde distinction (1b) concerne la nature de l’indication temporelle : ponctuelle, inclusive ou durative.

– Les adverbes ponctuels identifient sur l’axe du temps un repère équivalent à un point (« à cet instant là », « à huit heures »). Ils peuvent être utilisés en combinaison avec d’autres adverbes qui désignent une section temporelle plus grande (« le matin à huit heures »), mais dont la taille maximale est restreinte à la journée (on ne dira pas « la semaine dernière à midi »).

– Les adverbes inclusifs sont assimilables à des intervalles de dimensions variées dans lesquels un événement a lieu (« en 1980 », « dans la semaine », « ce matin »). Cet événement peut se dérouler sur tout ou partie de l’intervalle4.

– Les adverbes duratifs indiquent à la fois une durée et un ancrage temporel (« Depuis un mois, il ne va pas bien »). Les durées seules sont exclues de cette catégorie.

Les deux points de vue exposés ci-dessus constituent deux ensembles de critères que Borillo [1983] croise afin d’obtenir douze catégories illustrées au tableau 4.1.

ADVERBES Ponctuels Inclusifs Duratifs Autonomes à sa naissance en 1980 depuis 1980 Déictiques à l’instant cette semaine depuis hier Anaphoriques à ce moment-là ce matin-là depuis la veille Polyvalents à huit heures dans la soirée depuis l’été

Tableau 4.1 : Illustration de la catégorisation des adverbes de référence temporelle (Borillo [1983]).

UneSECONDE ANALYSE(2) de l’organisation des adverbes de référence temporelle a été proposée par Borillo [1998]. À nouveau, deux axes de caractérisation sont utilisés. Le premier axe (2a) s’inté- resse au type de référence temporelle exprimé par l’adverbe : il peut s’agir d’une localisation directe ou indirecte.

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Selon le temps verbal utilisé et/ou le type d’événement. Par exemple, imparfait et passé composé n’impliquent pas la même interprétation (« En 1980, il (était | a été) en prison ») et un état, activité ou un autre type de procès n’a intuitivement pas la même couverture de l’intervalle temporel (« En 1980, il a (bien) gagné (sa vie | un marathon) »).

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– La localisation directe fournit une localisation sur la ligne du temps à partir de repères établis tels que des dates ou événements historiques (« le 1er janvier 1997 »), de repères liés à des événements supposés connus (« à la naissance de Paul ») ou encore de repères provenant du discours qui précède (« dans les jours qui suivirent »). – Dans le cas d’une localisation indirecte, l’adverbe détermine lui aussi une localisa-

tion sur la ligne du temps, mais par l’intermédiaire d’un calcul basé sur des mesures temporelles (« Il partira dans huit jours »).

Le second axe (2b) concerne le type de repérage opéré par les adverbes : coïncidence ou inclusion d’un côté, limitation de l’autre. Ce critère porte sur le rapport entre le moment désigné par l’adver- bial en entier (R(Adv)) et le moment qui correspond au syntagme nominal contenu dans l’adverbial (R(SN))5.

– Pour les adverbes de coïncidence ou d’inclusion, les deux moments coïncident ou se superposent (« lundi dernier », « toute la journée »).

– Dans le cas des adverbes de limitation, la localisation temporelle de l’adverbe complet ne correspond pas à celle du syntagme nominal qui y est contenu (« avant la fin de l’année », « depuis Pâques »).

À nouveau, Borillo [1998] croise les deux axes mis en évidence, et les catégories qui y sont définies. Le résultat est une typologie de quatre catégories.

– I. Adverbes de localisation directe :

peuvent être constitués de tout type de noms (N1 à N7) ;

– I.A. Adverbes de localisation directe, R(Adv) et R(SN) coïncident :

sont de forme Adv, SN ou Prep SN (« demain », « la semaine suivante », « dans la journée ») ;

– I.B. Adverbes de localisation directe, R(Adv) et R(SN) ne correspondent pas : sont limitatifs à une ou deux bornes et de forme Prep SN (« dès lundi », « depuis dimanche ») ;

– II. Adverbes de localisation indirecte :

ne peuvent faire intervenir que les Ntps de mesure (N2) et quelques N7, les N étant tou- jours précédés d’un numéral ou déterminant quantitatif (« quelques », « plusieurs ») ; – II.A. Adverbes de localisation indirecte, R(Adv) et R(SN) coïncident :

sont des limitatifs qui impliquent une durée, leur valeur correspond à cette durée à partir d’une certaine borne (« Quand nous sommes arrivés, le train était parti depuis quelques minutes ») ;

– II.B. Adverbes de localisation indirecte, R(Adv) et R(SN) ne correspondent pas : adverbes ponctuels dont la valeur est obtenue à partir d’un temps d’origine et d’une durée, sont de forme Prep SN ou « il y a ... », « cela fait ... » (« Il est revenu au bout de trois mois »).

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Si l’adverbial est composé uniquement d’un adverbe ou d’un syntagme nominal seul, il y a de facto correspondance de la localisation temporelle puisque Adv=SN.

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Dans les deux analyses, les deux principaux axes de catégorisation semblent au premier abord rela- tivement similaires. Ils concernent le mode de placement de l’adverbial sur la ligne du temps d’une part et le type de localisation sur cette ligne d’autre part. Les approches adoptées pour définir les catégories à l’intérieur de ces axes présentent cependant certaines différences. Pour le premier axe, la première analyse (1a) propose quatre catégories (direct, indirect déictique, indirect anaphorique et polyvalent) et s’appuie sur un critère soulignant les différences en ce qui concerne les mécanismes de localisation temporelle. La seconde analyse (2a) se base plutôt sur un critère purement morpho- logique scindant les adverbes en deux groupes que l’on pourrait résumer en adverbes basés sur des

unités de mesures temporelles (localisation indirecte) et autres adverbes (localisation directe). En ce

qui concerne le second axe, alors que la première analyse (1b) se penche sur la forme sous laquelle la référence temporelle se traduit sur la ligne du temps (un point, un point dans un intervalle, une durée ou un intervalle ancré temporellement), la seconde analyse (2b) s’intéresse au caractère inclusif ou limitatif de la référence sur cette même ligne (la localisation temporelle de l’adverbial correspond, ou pas, à celle du syntagme nominal qui le compose). En réalité, il s’avère que les deux catégo- risations sont complémentaires, la deuxième analyse pouvant être utilisée pour raffiner la première. Borillo [1998] en apporte l’illustration en étudiant les adverbes anaphoriques au moyen de la seconde analyse exposée ci-dessus.

Avant d’aller plus loin, revenons sur la première catégorisation qui définit les adverbes ponctuels comme étant un repère assimilable à un point, mais toujours de taille inférieure à la journée. Cette restriction est motivée par la volonté de ne pas couvrir des constructions du type « la semaine dernière à midi », qui sont incorrectes. Selon nous, le caractère ponctuel d’une référence temporelle dépend plutôt du point de vue et de la granularité adopté. Ainsi, une année peut tout autant être représentée comme un point qu’une journée ou une heure bien précise (« 2008 fut une excellente année »).

Les adverbiaux de durée

Tout comme les références temporelles, la durée peut, elle aussi, être exprimée au moyen d’adverbes, qu’il s’agisse d’adverbes simples ou d’expressions adverbiales. Borillo [1988] aborde le cas de ces adverbiaux de durée et les partage en deux catégories.

– Pour l’adverbial durée-limite, la durée peut être exprimée au moyen d’un intervalle dont les bornes sont déterminées au moyen d’expressions faisant intervenir des noms de date Ndate6(« de lundi à samedi », « du 14 juillet au 15 août », « d’ici jusqu’à la fin du mois »). Dans certains cas, il est possible que seule une des deux bornes soit renseignée explicitement (« jusqu’à demain »). La borne manquante doit alors être interprétée comme étant soit le moment de l’énonciation, soit un point de référence donné précédemment dans le discours.

– La durée peut également être exprimée sans avoir à spécifier quelque borne que ce

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Un Ndate peut être formé à partir de noms de temps (Ntps), noms de jours de la semaine, de mois de l’année, de saisons, de jours de fêtes, etc. ou au moyen de noms évoquant des événements ponctuels (événements historiques, événements bien connus des participants au discours).

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soit, simplement en indiquant la taille de l’intervalle sans l’ancrer temporellement. Ces adverbes de durée-valeur incluent des expressions qui sont assez approximatives (« pendant un instant ») ou au contraire plus précises (« quelques mois », « trois jours »). Ils sont obtenus en utilisant un ensemble de noms de temps, Ntps, qui doivent être complétés par un quantitatif (un déterminant numéral, un indéfini) afin d’être interprétés en tant que durée. Les adverbes de durée-valeur ne sont cependant pas exclusivement composés d’expressions à base de Ntps puisque les noms de durée (Ndur) peuvent aussi être employés.

Remarque finale sur les adverbes temporels

Il ressort de ces différents travaux qu’il est délicat de définir une catégorisation des types d’adver- biaux temporels. L’adoption d’une nomenclature d’adverbes doit avant tout être dirigée par l’usage envisagé et par l’aspect particulier étudié. Ainsi Gross [1986] explique :

« Toute la difficulté du problème des temps réside dans l’établissement d’une corres- pondance cohérente entre des catégories INTUITIVES comme date absolue (date du calendrier), date relative (date repérée par rapport à un événement), présent, futur,

début, fin, date, durée et les formes que sont les mots isolés ou les constructions. La

méthode principale consistera à se restreindre à un ensemble de catégories intuitives suf- fisamment OPÉRATOIRES pour que les interprétations de phrases soient reproductibles entre locuteurs. » (p. 206)