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La notation musicale permet de d´ecrire, transmettre et lire la musique par un ensemble de symboles ayant une s´emantique d´efinie, articul´es dans une partition. [Bennett, 1990] cite trois fonctions principales d’un syst`eme de notation musicale : 1) indiquer `a l’interpr`ete ce qu’il doit jouer, et `a quel moment ; 2) la transmission de la musique ; 3) la r´eflexion et l’analyse. Il note que les deux premiers aspects ne sont plus strictement indispensables avec la musique ´electroacoustique : il n’y a pas n´ecessairement d’interpr`ete, et la trans-mission peut se faire par le biais de l’enregistrement. Opposons `a cela, pour le premier point, que dans le cas de la musique mixte, la notation de la synth`ese sonore permet aux instrumentistes et/ou au chef de suivre le d´eroulement de l’œuvre, par des rep`eres visuels sur la partition ; ou encore qu’une forme de notation entre ´egalement en jeu lorsqu’un interpr`ete est charg´e, d’une mani`ere ou d’un autre, du contrˆole ou du d´eclenchement des processus de synth`ese. De mani`ere g´en´erale, il est en effet difficile de parler de musique “´ecrite” si l’on ne dispose pas d’une notation, sous quelque forme que ce soit.

Le troisi`eme point soulign´e (la r´eflexion formelle sur la musique) reste cependant et sans aucun doute le plus probl´ematique dans l’id´ee d’une notation pour partitions ´electroacoustiques. Par sa fonction de substitution du r´eel, la notation constitue en ef-fet une forme de repr´esentation musicale au sens o`u nous l’avons vue dans le chapitre pr´ec´edent (section 2.1), et joue `a ce titre elle-mˆeme un rˆole important dans la mani`ere de penser et formaliser des id´ees musicales. Pour [Malt, 2000], la transcription de l’imaginaire et des repr´esentations musicales dans un mode de notation a pour but de les passer dans un univers symbolique pour pouvoir les manipuler. Le compositeur a en effet souvent be-soin d’esquisse (graphique) pour fixer les concepts, et avoir une id´ee des r´esultats avant qu’ils ne soient r´eels. [Dufourt, 1991] analyse et soutient ´egalement ce rˆole d´eterminant de l’´ecriture, en tant que projection de la musique et du son sur un espace (plan), que m´ediation graphique, dans la formation de la pens´ee musicale. La notation devient ainsi un langage dans lequel s’expriment de nombreuses id´ees durant le processus de composition [Bennett, 1990]. [Assayag, 1993] note que celle-ci op`ere un lien coh´erent entre des syst`emes d’op´erations combinatoires sur des ensembles de symboles et un univers sonore disposant de ses propres r`egles de fonctionnement perceptif et cognitif, soulignant par l`a son influence sur les processus de composition. La notation ne sert donc pas uniquement `a repr´esenter la musique, elle permet, et oriente aussi la r´eflexion sur cette musique.3

Diff´erentes strat´egies sont ainsi adopt´ees pour noter une partition ´electroacoustique. En donnant des informations sur les processus mis en œuvre, ou sur les op´erations `a r´ealiser pour une interpr´etation de l’œuvre (d´eclenchement de processus, etc.), la notation d´ecrit le “comment faire” de la synth`ese : on se rapproche alors de la notion de tablature plus que

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[Ebbeke, 1990] parle d’un syst`eme de signes [qui], d`es lors qu’il avait atteint `a une forme de validit´e [...], se r´epercutait sur les contenus musicaux que lui-mˆeme avait aid´e `a fixer.

de partition. En utilisant des symboles graphiques se rapportant `a des ´el´ements per¸cus des structures sonores, on obtient une notation approximative qui ne peut g´en´eralement pas rendre vraiment compte du ph´enom`ene repr´esent´e. Ces notations sch´ematiques et autres tablatures ne peuvent donc pas r´eellement d´ecrire la r´ealit´e complexe ni l’intention com-positionnelle port´ee par le son. Des descriptions plus compl`etes des sons et des processus de synth`ese peuvent alors ˆetre donn´ees (g´en´eralement sur des supports distincts, “hors partition”), permettant parfois de reconstruire les processus correspondants, dans la ma-jorit´e des cas de s’en faire une vague id´ee. Dans la mesure o`u elles seraient utilis´ees comme support pour l’´ecriture, l’une ou l’autre de ces formes de notation pourrait cependant avoir un sens dans une d´emarche compositionnelle.4

Mais dans la plupart des cas, la partition a alors pour rˆole celui de simple ordonnateur temporel des “objets” de synth`ese, plutˆot que de vrai support d’´ecriture.

Dufourt oppose ´egalement le probl`eme de la lecture :

“Quand on a de l’´electronique sur une pi`ece instrumentale, on trouve soit une nota-tion purement signal´etique [...] (on ne sait pas ce qui va se passer, on a simplement l’´el´ement de d´eclenchement), soit une repr´esentation mim´etique (on nous dessine en gros l’allure d’un ph´enom`ene [...]), mais en aucun cas il n’y a de r´eelle lecture possible du ph´enom`ene ´electroacoustique...” H. Dufourt.

Le probl`eme de la notation musicale dans le domaine de la musique ´electronique se pose donc sous diff´erents aspects. Celle-ci doit permettre la lecture, la compr´ehension de la musique, et l’identification des sons per¸cus ou imagin´es `a partir de symboles (visuels) qui les rendraient “manipulables” par la pens´ee.

“Le probl`eme est qu’une v´eritable ´ecriture, ce n’est pas simplement une notation, mais quelque chose qui int`egre toute la th´eorie. Or ces fonctions sont encore dissoci´ees en informatique musicale. On contrˆole un ordre, ou un autre, mais on n’a pas cette prise globale, `a la fois intuitive et rationnelle. Il faudrait avoir l’intuition du son et en mˆeme temps pouvoir dire, en analysant l’´ecriture, ce qui est ´ecrit et ce que cela signifie.” H. Dufourt.

Une notation pour la musique ´electroacoustique signifierait donc une possibilit´e de substitution intelligible des ph´enom`enes sonores permettant de signifier les intentions mu-sicales et le r´esultat correspondant. Si l’on consid`ere la notation musicale conventionnelle, et compte tenu de tous les param`etres entrant en jeu dans un ph´enom`ene sonore, cette notation n’en indique qu’une petite partie, mais qui permet d’en exprimer l’intention mu-sicale (`a l’aide de dur´ees, de hauteurs et d’intensit´es). [Dufourt, 1991] note que depuis toujours, la notation est r´eorganis´ee et red´efinie `a l’introduction de nouveaux param`etres dans la musique, ainsi sous-tendue par la notion de “champ fonctionnel `a multiple fac-teurs”. Compl´ementairement `a la repr´esentation compl`ete d’un son que peut constituer un

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C’est par exemple le cas dans certaines paritions de Karlheinz Stockhausen, comme Mikrophonie (voir chapitre 12, figure 12.11).

programme de synth`ese, une notation symbolique exprimerait par de nouveaux facteurs l’intuition et l’intention musicales port´ees par des sons cr´e´es par la synth`ese.

Si la conception d’un syst`eme de notation semble donc d´epasser le cadre de notre travail (celui-ci, s’il existe un jour, se formera certainement de lui-mˆeme, avec le temps et les exp´eriences musicales) il n’est cependant pas sans int´erˆet d’essayer de replacer cette notion, primordiale dans la musique traditionnelle, dans ce nouveau contexte, pour tenter d’entrevoir ce que serait alors une partition rendant compte de processus de synth`ese et de leurs param`etres.

“Il faudra r´esoudre [le probl`eme de la notation] parce qu’on ne peut pas s’en tenir `

a des repr´esentations formalis´ees de type informatique pour faire de la musique.” H. Dufourt.

L’absence d’un consensus sur un syst`eme de notation peut en effet ˆetre vue comme un obstacle `a la constitution de discours th´eoriques sur la musique ´electroacoustique :

“L’oreille est bien oblig´ee de travailler avec des cat´egories qui ne font partie pour l’instant d’aucun consensus. Cela signifie qu’en d´efinitive, ce qui est per¸cu ´echappe pour ainsi dire `a l’analyse.” [Ebbeke, 1990]

Elle peut cependant aussi constituer une ouverture, qui semble pour l’heure n´ecessaire `

a la constitution de d´emarches compositionnelles originales avec la synth`ese sonore. Pour [Malt, 2000] la repr´esentation symbolique choisie pour la notation doit en effet corres-pondre `a une s´emantique graphique personnelle, d´efinissable par le compositeur. On trou-vera ainsi dans la musique ´electronique ou mixte des syst`emes et conventions vari´ees utilis´ees par les compositeurs, manifestant chacun `a leur mani`ere leur travail et leur point de vue sur le son et la synth`ese.

[Assayag, 1993] situe par ailleurs la notation en regard de la notion de langage, dans le cadre du d´eveloppement des environnements de composition assist´ee par ordinateur :

“La notation agit avec un logiciel de CAO non seulement comme mat´erialisation des informations circulant dans le syst`eme mais comme support de l’inventivit´e formelle. A ce titre, la notation devrait ˆetre dot´ee de la mˆeme souplesse, de la mˆeme ouverture (en termes d’extensibilit´e et de programmabilit´e) que le langage mˆeme et constituer, `a terme, le “milieu” naturel d’exp´erimentation de l’utilisateur. Les niveaux du langage et de la notation tendront alors `a se confondre du point de vue de l’utilisateur.” [Assayag, 1993]

Diff´erents environnements informatiques int`egrent ainsi des syst`emes de notation musi-cale programmables et personnalisables, g´en´eralement sur la base du syst`eme traditionnel (voir par exemple [Kuuskankare et Laurson, 2006]). Un des objectifs des environnements de composition actuels, dont il sera question dans les chapitres suivants, sera l’int´egration de la notation et des aspects formels et proc´eduraux dans la construction des structures musicales.