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Bien avant que l’Europe n’invente un hymne à la race aryenne au cours du XIXe siècle, l’Inde désigne bien longtemps un lieu de mémoire qui évoque la longue histoire de la colonisation européenne, un espace conflictuel où s’enchevêtrent les intérêts économiques et géostratégiques des pays occidentaux. Dès la fin du XVIe

siècle, les grandes puissances européennes s’étaient empressées de fonder successivement leurs compagnies orientales. C’est que le sous-continent indien était devenu la cible de l’expansion européenne. Au début du XVIIe siècle, après un échec dans l’archipel indonésien largement dominé par les Néerlandais, les Britanniques se replient sur l’Inde et obtiennent la liberté de commercer dans l’ensemble des territoires de l’Empire moghol, accordant la protection aux négociants de la compagnie anglaise des Indes orientales. Avec ce patronage commercial et politique des Moghols qui régnaient sur la plus grande partie du sous-continent indien d’alors, les Anglais réussissent à établir successivement leurs comptoirs notamment à Madras (1639), à Bombay (1668), à Calcutta (1690). De surcroît, ils acquièrent le droit de commander des troupes armées, d’effectuer une activité diplomatique, d’exercer la justice sur leurs territoires indiens. La compagnie anglaise va ainsi devenir une importante organisation capitaliste autonome.

Tandis que se développe l’influence anglaise sur le nord de l’Inde, les Français, quant à eux, pénètrent avec succès dans le continent indien, en fondant des places fortes à Surate (1668) et à Pondichéry (1674) d’où la compagnie française poursuit son expansion vers le sud. La rivalité entre l’Angleterre et la France s’intensifie

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lorsque la guerre de Sept Ans éclate en 1756, et que de nombreux affrontements se produisent en Inde entre les deux monopoles d’État pour le contrôle de territoires. Le conflit est clos par le traité de Paris (1763) dont le bilan favorise l’Angleterre. C’est ainsi que naît l’Empire britannique, espace de domination mondiale tout au long du XIXe siècle. À l’issue de cette guerre, la France, quant à elle, perd son premier empire colonial et n’a plus d’influence importante sur la péninsule indienne. Il ne lui reste en Inde que cinq villes sous la forme des établissements français de Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor. Tandis que la compagnie anglaise étend sa domination sur la majeure partie de l’Inde à travers la première moitié du XIXe siècle, de nombreux soulèvements de soldats indiens contre l’occupation britannique se produisent notamment entre 1857 et 1858. Afin d’éviter des problèmes comme ceux qui causent les rébellions des indigènes, le gouvernement anglais s’attache à mettre les Indes sous le contrôle direct de la Couronne en dissolvant la compagnie britannique. L’Empire moghol en dégradation n’a alors aucun moyen de freiner l’expansion anglaise dans le Deccan, et les Britanniques détrônent son dernier souverain, mettant fin à trois siècles et demi d’histoire. La Grande-Bretagne officialise le Raj victorien en août 1858, et toutes les possessions de la compagnie anglaise appartiennent désormais à la Couronne. L’Inde devient ainsi une colonie.

L’instauration de l’Inde britannique marque un tournant irréversible dans l’histoire de la colonisation française en Asie. La France, qui doit renoncer à son ambition coloniale dans le sous-continent indien, se met, l’année même de l’établissement du Raj, à envahir l’Indochine dans l’intention évidente de se donner un substitut à l’Inde. Cet intérêt français porté sur cette nouvelle cible de la colonisation est implicitement indiqué dans Le Grand dictionnaire universel

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(1866-1879) de Pierre Larousse : l’auteur n’explique pas le terme d’Indochine en détail et renvoie directement à l’article d’Inde transgangétique. C’est que, en dépit de l’existence de plusieurs dynasties, la péninsule indochinoise se définit simplement comme « l’Inde au-delà du Gange »1 et, pour les Français des années 1870, cet Extrême-Orient semble ainsi assimilé à une deuxième Inde, nouvelle colonie française. Il va sans dire que, après la création de l’Union indochinoise en 1887, l’Indochine française représentera « nos grandes colonies d’Extrême-Orient »2 dans les discours coloniaux français face au Raj victorien, et deviendra le pivot de la politique coloniale française du XXe siècle.

L’Inde que l’écrivain Pierre Loti découvre en 1900 n’est donc pas celle des Aryens, mais celle des Britanniques. Pourtant, ces derniers, à part quelques allusions à leur présence, disparaissent presque totalement de L’Inde où l’auteur s’abstient consciencieusement de désigner ces « autres maîtres » 3. Ni les personnages anglais ni le mot anglais n’apparaissent au cours de l’ouvrage. Il faut tenter d’expliquer cette absence radicale des Britanniques du récit indien.

1 – L’Inde fantasmée sans les Anglais

Comme nous l’avons constaté dans la première partie de la présente thèse, l’écrivain Pierre Loti est considéré comme un anglophobe invétéré. Son hostilité contre les Britanniques est souvent exprimée dans son œuvre. Tandis que, dans La Mort de Philæ par exemple, il tend à accuser l’occupation anglaise d’abîmer la vie locale égyptienne, il reste muet sur leur existence dans son récit indien ou

1 Le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, IX, deuxième partie, op. cit., p. 635.

2 L’Inde (sans les Anglais), op. cit., p. 740.

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plutôt cherche à exclure la présence britannique de l’Inde de 1900. Pourquoi les Anglais sont-ils bizarrement absents de l’Inde, qu’ils détériorent comme en Égypte pour des raisons commerciales ? En effet, par rapport à son silence porté sur le peuple anglais dans le monde indien, Loti décrit en détail la vie locale de la ville de Pondichéry. Il faut donc changer de question : pourquoi l’auteur, éliminant la nationalité anglaise de sa vision de l’Inde, s’intéresse-t-il à cette ancienne colonie française qui évoque la présence européenne en Inde ?

a – La Pondichéry des Français

En effet, bien que la domination anglaise dans le sous-continent indien s’étende et s’achève au cours du XIXe siècle, la France a cherché à conserver ses cinq établissements en insistant sur ‘‘son Inde’’, comme s’ils représentaient sa richesse coloniale en Orient. Cette présence française se retrouve dans la fiction d’époque, ainsi dans les romans de Balzac : l’usurier Gobseck de Balzac accumule des richesses à Pondichéry ; dans Eugénie Grandet, le cousin de l’héroïne, Charles Grandet, part pour l’Inde en respectant les dernières volontés de son père qui s’est suicidé après avoir fait faillite ; dans La Peau de chagrin, le père de Pauline, chef d’escadron des grenadiers de la Garde Impériale de Napoléon Ier, va vers l’Inde faire fortune après avoir été fait prisonnier en Russie lors de la bataille de la Bérézina. Cette présence ne se fait pas seulement sentir dans les personnages de roman. L’explorateur Victor Jacquemont (1801-1832) est chargé d’une mission scientifique en Inde et y reste pendant plus de trois ans jusqu’à ce qu’il meure à Bombay en 1832. Son Voyage dans l’Inde, édité en six volumes entre 1836 et 1844, après sa mort, par ses amis, notamment Prosper Mérimée, contribue à ancrer

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l’Inde dans la conscience populaire française en donnant des détails sur la vie indienne. Quant à Baudelaire, il est envoyé vers les Indes en 1841 par son beau-père, qui est maréchal de camp pendant la Monarchie de Juillet. Toutefois, il ne va pas plus loin que la Réunion, et l’Inde où il n’est jamais arrivé reste pour lui un pur fantasme exotique. Ainsi, même après qu’une large part du sous-continent indien fut passée aux mains des Anglais, la France n’a pas facilement renoncé à sa sphère d’influence en Inde, et ses cinq établissements indiens occupent une grande place dans la conscience française au temps de l’expansion coloniale européenne du XIXe siècle.

C’est pourquoi Pierre Loti est, tard dans le siècle, envoyé pour Trivandrum : sa mission, d’aller offrir une croix au maharajah pro-français du Travancore, relève de cette politique coloniale face au Raj britannique. Son voyage indien reflète donc un sujet d’actualité. Pourtant, à part notre voyageur, aucun diplomate français ou anglais n’est impliqué dans son récit. De surcroît, les lecteurs ne trouvent pas un mot sur Bombay ni sur Calcutta, les villes les plus modernisées de l’Inde, comme si l’auteur ne s’intéressait qu’à l’Inde ancienne et traditionnelle.

Il semble en effet que cette écriture ‘‘nostalgique’’ soit faite selon un effet sépia qui transforme l’Inde de 1900 en Orient fantasmé du vieux temps. Quand l’auteur explique la ville de Pondichéry par exemple, sa description semble viser à évoquer aux lecteurs, comme il le dit, « le témoin de notre grandeur passée »1. Il n’utilise pas le mot d’établissement pour la désigner, terme qui pourrait évoquer non seulement l’échec français en Inde mais aussi la réalité de la politique coloniale française. Dès son arrivée à Pondichéry, notre voyageur s’éloigne du temps actuel en évoquant ses rêves d’enfance, comme s’il cherchait de fuir de

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l’Inde moderne des Anglais. Les lecteurs ont l’impression de lire des pages jaunies et vieillottes, quand il ne songe qu’à « quelque scène de la vie coloniale d’autrefois »1 dans cette vieille colonie française, qu’il a déjà peut-être vue à travers son imagination il y a longtemps. Provoqués par le nom de la ville, ses souvenirs d’enfance lui surviennent tout à coup de l’oubli. Passé et présent se rejoignent soudain et fusionnent dans cet ailleurs aussi physique que mentale. On voyage donc dans le temps ou peut-être un espace imaginé, appelé Pondichéry. L’auteur fait de cette ancienne colonie une vieille terre presque idéologique où « tout un passé français »2 sommeille :

Pondichéry !... De tous ces noms de nos colonies anciennes, qui charmaient tant mon imagination d’enfant, celui de Pondichéry et celui de Gorée étaient les deux qui me jetaient dans les plus indicibles rêveries d’exotisme et de lointain. Vers mes dix ans, une grand-tante, très âgée, me parlait un soir d’une amie à elle qui avait habité Pondichéry, et me lisait un passage d’une de ses lettres déjà datée alors d’au moins un demi-siècle en arrière, où il était parlé des palmiers, des pagodes...3

Pondichéry de 1900 est une colonie française déserte où il n’y a que deux hôtels, selon notre voyageur. Cependant, ce n’est pas pour lui une simple vieille ville lointaine, mais un passage vers le passé : c’est le surgissement d’un instant libéré des obstacles du temps. Quand sa description multiplie des adjectifs comme surannée, vétuste, abandonnée, déjetée, aucune indication du temps moderne ne s’y introduit. L’expression notre vieille colonie se répète plusieurs fois en quelques lignes du chapitre XI de la quatrième partie. L’évocation de Pondichéry relève essentiellement de ‘‘l’Inde française du bon temps’’. Loin de « notre affolement, de

1 Ibid., p. 745.

2 Ibid., p. 739.

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notre âpreté, de nos paquebots rapides »1, il découvre la paix délicieusement nostalgique d’« un passé français »2 dans ce lieu d’autrefois, qui le jette « dans les plus indicibles rêveries d’exotisme et de lointain »3. C’est pourquoi l’auteur raconte sa rencontre émouvante avec des élèves indigènes, vêtus comme des petits rajahs, de robes en velours brodé d’or, « sachant faire au tableau des problèmes, des devoirs de français qui embarrasseraient la plupart des petits lycéens de chez nous »4. Leur présence symbolise les conséquences de la politique coloniale française en Inde certes, et cependant ce n’est pas la réalité d’une ancienne colonie mais ‘‘la gloire du passé’’ que l’auteur chante à travers leur évocation. En présentant ce petit épisode avec des Indiens si « français »5 qu’ils « tiennent à notre France »6, l’écrivain cherche à rehausser « ce vieux charme de patrie que rien ne remplace »7. La Pondichéry de Loti semble ainsi arrêter le temps et résider dans le passé. Elle ressemblera (ou est peut-être identique) à celle que le voyageur a imaginée dans ses rêves d’enfance : il ne l’a pas découverte mais la reconnaît à travers cette figure d’autrefois. Elle vit par tradition, systématiquement isolée du reste de l’Inde dominée par « nos hostiles voisins »8, par la modernité.

L’écriture de Loti se veut indifférente aux complexités politiques de la situation indienne d’alors. La disparition des Anglais pourrait aussi faire oublier aux lecteurs français leur échec décisif dans le sous-continent indien, ce lieu de mémoire qui leur rappellerait l’écart apparent de puissance maritime entre la France et l’Angleterre. Le regard du voyageur ne se porte que sur l’Inde

1 Ibid., p. 745. 2 Ibid., p. 739. 3 Ibid., p. 739. 4 Ibid., p. 741. 5 Ibid., p. 741. 6 Ibid., p. 741. 7 Ibid., p. 740. 8 Ibid., p. 740.

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nostalgique dont il exclut des composantes séditieuses qui annoncent la fin d’une grande civilisation orientale prise par la vague de modernisation.

La ville de Pondichéry est pour notre voyageur passéiste une partie de cet Orient fantasmé du vieux temps. C’est une ancienne colonie française, isolée du monde moderne, qui évoque en lui la nostalgie du temps perdu, il s’agit de son enfance. En s’enfonçant dans cette Inde nostalgique, le voyageur remonte jusqu’à sa source et découvre l’image d’une Inde rêvée qu’il a vue autrefois dans son imagination d’enfance. C’est par ce biais que ce voyage spirituel, loin du bruit des contingences historiques, devient une quête intime dans une terre mythique et imaginaire. D’une certaine manière, c’est pour mieux voir un Orient essentiel dont il rêve encore, même après sa rencontre avec l’Inde anglaise de 1900.

2 – L’Inde des Brahmanes

L’Inde de 1900 n’existe donc pas pour Loti. Le titre du livre sert de dispositif pour que l’auteur puisse parler de son pèlerinage non pas au Raj victorien mais aux pays des Aryens. Cette Inde imaginaire d’un voyageur passéiste et l’existence des Anglais, symbolisant la modernisation, s’excluent l’une l’autre. La présence des indigènes, quant à elle, est un élément essentiel et constitutif de l’Orient intime : pour Loti, elle doit être désignée et analysée pour que l’Inde devienne plus ‘‘indienne’’. De ce point de vue, le récit prend l’aspect d’un reportage ethnographique sur le vaste et multiple monde indien. C’est non seulement vers la majorité hindoue que le voyageur dirige ses regards mais aussi vers la présence de minorités ethniques de l’Inde : Bouddhistes, descendants des Chrétiens venus

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dans la péninsule indienne vers le milieu du premier siècle, Juifs émigrés après la seconde destruction du temple de Jérusalem, Musulmans de l’empire moghol, ainsi de suite. Au cours du récit, l’auteur sème des informations supplémentaires sur la composition du peuple indien à l’exception des Européens, et fait de ces lignes aussi anecdotiques que stratégiques une grande liste de religions en Inde, comme s’il voulait transformer le Raj victorien en terre proprement spirituelle.

Il va sans dire que, dans cette mosaïque de peuples et de religions, le voyageur, qui est à la recherche de la sagesse aryenne en Inde, privilégie l’existence des brahmanes. Il porte un grand intérêt non seulement à leur pensée mais aussi à leur physique, comme si l’intériorité enveloppait l’aspect extérieur et le transformait à sa propre image :

On dirait un peuple de dieux, tant sont beaux les visages, tant sont nobles les attitudes, profonds et insondables les regards.1

Sa description des brahmanes est totalement positive et donne l’impression qu’ils sont presque idéalisés en tant qu’hommes de caste supérieure et porteurs de la sagesse des conquérants aryens, idée qui est maintes fois répétée par les orientalistes au cours du XIXe siècle. C’est l’origine de l’Europe dont le voyageur parle (ou rêve), en faisant leur portrait avec des mots éblouis. Le narrateur explique la beauté « impeccable »2 des femmes brahmanes en comparaison des « races d’Europe »3, et affirme qu’elles « ont été les modèles de ces torses de pierre ou de métal que les sculpteurs hindous font à leurs déesses depuis les temps

1 Ibid., p. 678.

2 Ibid., p. 709.

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reculés, et qui sembleraient presque une exagération de la beauté des femmes »1. Ce qui est en question, ce n’est pas seulement la sagesse des Aryens. Les brahmanes sont observés (et peut-être fantasmés) à travers la notion de race, et cette race/mère absolue de l’Europe est glorifiée sans contredit par le voyageur : « C’est assurément dans les hautes castes de ce pays que la beauté des races aryennes atteint son maximum de perfection et de finesse »2.

Son éloge de la ‘‘race aryenne’’ culmine quand le voyageur rencontre deux brahmanes du temple d’Udaipur en cours de route. Le narrateur insiste au maximum sur leur attrait, en exaltant la noblesse de cette ‘‘race supérieure’’ :

Chaque jour, aux heures silencieuses et brûlantes où je ne sors pas, je reçois leur visite discrète, dans la petite « maison du voyageur » qui est en dehors des murs, au milieu d’une solitude de poussière. Ils sont vêtus d’une robe blanche et coiffés d’un mince turban. Ils ont le même visage, d’une finesse exquise, les deux frères, et les mêmes grands yeux mystiques. Leur noblesse de race, sans croisements ni mésalliances, remonte à deux ou trois mille ans : fils et arrière-petits-fils de rêveurs qui, depuis les origines, se sont tenus en dehors et au-dessus de notre humanité vile ; qui jamais ne se sont adonnés à l’intempérance, au commerce ni à la guerre ; qui n’ont jamais tué, même une humble bête ; qui n’ont jamais mangé d’aucune chose ayant vécu. Ils sont pétris d’un limon différent du nôtre et plus pur ; ils sont presque un peu dématérialisés avant la mort, et possèdent des sens moins lourds, capables de percevoir des choses au-delà de cette vie transitoire.3

Dans ces phrases, le brahmane ne désigne pas seulement la classe privilégiée de l’Inde ou le prêtre du brahmanisme : ce « peuple de dieux »4, ce sont, écrit-il, des Aryens de pur sang. Est-ce un portrait de deux brahmanes d’Udaipur ou une

1 Ibid., p. 709.

2 Ibid., p. 790.

3 Ibid., pp. 766-767.

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idée reçue de la race aryenne ? Ils apparaissent ici comme à peine humains : ils ont une présence aussi mythique que symbolique, plutôt qu’ils ne sont des personnes. C’est par ce biais que l’auteur leur confère une portée emblématique dans sa quête métaphysique d’une Inde de rêve, pour qu’ils puissent répondre à la sincère prière d’un pèlerin égaré. Ainsi, s’entremêlent en lui intimement l’idée de sagesse orientale et le mythe de la ‘‘race’’ aryenne.

En exceptant les Anglais et les Français, l’Inde de fin de siècle reste une ‘‘terre encore indienne’’ pour Loti. Ce n’est pas la réalité du Raj britannique, mais l’imagination qui captive le voyageur. Ce n’est peut-être qu’une illusion nostalgique certes, pourtant c’est cet irréalisme qui le guide. : « Les Sages de l’Inde, auprès desquels je m’en vais »1. La sagesse millénaire de l’Orient est donc toujours en Inde de 1900 pour le rêveur. C’est pourquoi l’auteur détache du peuple indien l’existence des brahmanes, qui sont magnifiés ou peut-être modifiés comme détenteurs des pensées de la race supérieure, rêve des orientalistes du XIXe siècle. Il faut savoir que, ici, il n’est plus question d’un certain pays réel mais d’un désir religieux, d’une terre dématérialisée et spéculative, qui pourra répondre à la quête spirituelle du voyageur ou à la recherche de sa foi perdue. Ainsi, l’Inde de 1900 devient un Orient métaphysique pour le pèlerin qui va y chercher ce qu’il pense être sa propre vérité : la sagesse aryenne.

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