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Quatre référents principaux pouvant être invoqués pour la régulation des rapports de couple : la religion, la loi, la santé et les bonnes mœurs. Ils apparaissent étroitement entremêlés tout en obéissant à des logiques propres. Les lieux d’autorité commandant à leur énonciation sont en effet diversifiés : mosquées, tribunaux, agences de développement, hôpitaux et universités s’inscrivent dans des champs propres appuyant leur légitimité sur des procédures distinctes. Quant aux règles gouvernant la réputation énoncées dans les ruelles du Caire, elles ont aussi une part d’autonomie dans leurs formulations. Néanmoins, comme indiqué en introduction, un rapport d’analogie prévaut entre les différentes énonciations du vrai, du juste et, partant, du bien, au nom de l’unité de la vérité. Juste renvoie donc à justice, mais aussi à justesse, exemplifiant le lien entre norme, normalité et morale70. Ces liens sont porteurs de convergences, mais aussi de conflits entre ordres de vérité distincts, comme il apparaît à l’étude des optiques se combinant sur l’amour et la sexualité.

Une approche de l’influence des normes religieuses sur l’amour et le sexe pourrait consister à rechercher les éléments d’une doctrine islamique unifiée sur ces questions dans le Coran et les hadiths, récits faisant autorité de la vie du Prophète et de ses compagnons, ainsi que dans le fiqh, ensemble de textes jurisprudentiels élaborés sur la base de ce corpus, et les écrits des théologiens71. Très riches en détails quant aux définitions juridiques de la pénétration ou aux conditions d’exercice de la polygamie par exemple, les travaux se fondant sur une telle appréhension doivent toutefois être remis en contexte pour comprendre les pratiques amoureuses et sexuelles en Égypte aujourd’hui, car ils s’attachent à de préoccupations doctrinales avant tout. Certains traits y sont de la sorte mis en valeur : principes du mariage, condamnation de la fornication (zinā’), règles de purification après l’acte sexuel (ghusl) et précautions entourant celui-ci notamment. Les catégories de h̩arām et de h̩alāl, d’illicite et de licite, ainsi que les catégories intermédiaires de mandūb (recommandé), mubāh̩ (toléré) et makrūh (détestable, mais non illicite) permettent en islam une classification des actes entrepris en fonction du regard attribué à Dieu et structurant l’énonciation des normes religieuses. Elles peuvent s’appliquer à l’amour et au sexe à l’instar des autres activités humaines.

70 GARFINKEL Harold. Recherches en ethnométhologie. Paris : PUF, 2007 [1967] [trad. Michel Barthélémy, Baudouin Dupret, Jean-Manuel de Queiroz et Louis Quéré]

71 BOUSQUET George-Henri. L’éthique sexuelle de l’Islam. Paris : Maisonneuve et Larose, 1966 ; BOUHDIBA Abdelwahab. La sexualité en Islam. Paris : PUF, 1975.

54 La logique du commentaire sur texte72 implique certaines contraintes d’adaptation à la référence originelle, même si les discours qui en résultent peuvent prendre une pluralité de formes. Il en va de même concernant le corpus religieux. Un corpus religieux ne se présente qu’idéalement en un tout cohérent appréhensible de façon simultanée au regard des croyants, mêmes spécialistes des textes. Les individus, inscrits dans différents champs discursifs, découvrent et sélectionnent des bribes plus ou moins importantes de ceux-ci à leur usage. La métaphorisation de passages des textes constitue une stratégie supplémentaire d’adaptation de ceux-ci aux enjeux spécifiques de situations. La plasticité relative aux situations qui s’ensuit est comprise en termes d’universelle validité du message aux yeux des partisans d’une religion. Cette sélection, si elle peut parfois paraître relever de la pure justification opportuniste de pratiques, se présente néanmoins systématiquement comme l’aboutissement d’une quête de savoir. Dans le processus de traduction et d’amalgamation de référents hétéroclites, comme celui qui s’opère par exemple entre la psychologie et l’islam, d’importantes reformulations d’éléments choisis sont opérées par les agents. C’est à ce niveau qu’interviennent les figures d’autorité à même ou non de valider une lecture. L’inscription ou non de comportements dans les catégories de h̩alāl, de h̩arām ou de l’un de leurs intermédiaires, change évidemment selon la personne à l’origine de l’énonciation, et l’impact de l’interprétation normative émise par celle-ci diffère selon les réseaux d’autorité sur lesquels elle peut s’appuyer.

Différents courants s’expriment en islam – aux confréries soufies, constituées autour de pratiques mystiques d’évocation de Dieu et placées sous l’autorité de cheikhs garants de lignées d’enseignements, s’opposent ainsi des groupes salafistes privilégiant un littéralisme sévère. Les nuances de positionnements sont infinies entre ces deux extrêmes. Au sein de l’Université islamique d’al-Azhar, il est ainsi possible de trouver des représentants d’approches très différenciées de l’islam. Les Frères musulmans, souvent dépeints comme fondamentalement hostiles au soufisme, ont un rapport en réalité bien plus nuancé à celui-ci, que ce soit à travers la figure de leur fondateur, Hassan al-Banna, ancien membre de confrérie, ou aujourd’hui dans leur communication politique, le président nouvellement élu, Mohammed Morsy ayant récemment tenu la prière du vendredi dans un mausolée de Haute Égypte73. Aujourd’hui, néanmoins, la référence au texte coranique et aux hadiths prime sur l’autorité des lignées saintes, du moins au sein de l’espace public, et en vient à définir

72 GOODY Jack. La logique de l’écriture : à l’origine des sociétés humaines. Paris : A. Colin, 1986

73 Inqisām s̩ ūfī h̩awla s̩alā Mursī fī masǧid al-Qinā’ī (Dissensions soufies autour de la prière de Morsy à la mosquée d’al-Qinā’ī). Al-Mas̩rī al-Yawm, 4 août 2012

55 l’appartenance même au sunnisme74. Toutefois, au-delà des différences d’interprétation du corpus religieux et du rapport à entretenir à l’autorité des cheikhs, les spécialistes du religieux doivent composer avec les porteurs d’autres savoirs, qui, dans un contexte national où le référent religieux apparaît omniprésent, s’en réclament eux aussi au nom des vérités dont ils se réclament. Les considérations religieuses sur l’amour et le sexe sont discutées et le cadre des pratiques négociées socialement, en prenant en compte les différents protagonistes impliqués : cheikhs de tendances exégétiques variées, experts scientifiques, parents, hommes politiques, activistes, intervenants étrangers, etc… il s’agit là d’autant d’agents alliant souvent d’ailleurs plusieurs de ces fonctions et pouvant les invoquer alternativement pour assoir leur autorité.

Les dispositifs institutionnels viennent renforcer cette confusion. Les catégories du juridique et du religieux, de l’illégal et de l’illicite, sont ainsi fréquemment confondues, par le fait de l’importance de la référence à la charia dans la législation égyptienne en matière de droits personnels, de même que la formulation des impératifs censés entourer la réputation des femmes font souvent référence à l’islam comme source de légitimation. Il faut prendre garde de ne pas considérer la charia comme un texte, ce que peut faire penser l’expression trompeuse « appliquer la charia », courante dans les médias et les programmes politiques. En effet, le mot désigne un idéal à atteindre, celle d’une justice en tous points conforme aux desseins de Dieu. Néanmoins, les procédures pour en comprendre les principes sont complexes et soumises à des considérations divergentes. Quatre grandes écoles d’interprétation de la Loi islamique dominaient anciennement la pratique des tribunaux chariatiques : les madhhab-s (voies) malékite, chaféite, hanafite et hanbalite. Avec la codification de la loi entreprise au XIXe siècle sur le modèle du droit positif européen, les conditions d’exercice de la justice se sont transformées radicalement. Maleka Zeghal et Marc Gaborieau soulignent toutefois à mon avis avec raison l’importance du rôle que l’État, qu’il soit califal, monarchique ou républicain, a toujours joué en dernier recours pour trancher les différends, que ce soit par le fait du prince ou au travers de fonctionnaires nommés par celui- ci, comme aujourd’hui en Égypte le Mufti de la République et le cheikh d’al-Azhar75.

Les lois de statut personnel et de façon subsidiaire le Code pénal régissent le droit de la famille. Un renforcement progressif du rôle de l’État peut s’observer à travers le temps,

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JOHANSEN Julian. Sufism and Islamic Reform : the Battle for Islamic Tradition. Oxford : Clarendon, 1996 75 GABORIEAU Marc et ZEHGAL Malika. 2004. Autorités religieuses en islam. Archives de Sciences sociales

des religions, n° 125, pp. 5-21 ; sur la charia : ZUBAIDA Sami.Law and Power in the Islamic World. London :

I. B. Tauris, 2003 ; SAAIDIA Oissila. Droit musulman. In : Olivier Christin (dir.) Dictionnaire…, op. cit., pp. 133-144

56 renforcement paradoxal parce que se réfugiant systématiquement dans un discours de légitimation religieuse des réformes entreprises. A la faveur de ces réformes émerge par exemple cette notion même de lois de « statut personnel », al-ah̩wāl al-shakhs̩iyya, fraction du droit régissant les règles matrimoniales tout en affirmant reprendre les principes de la charia quant aux normes qu’elle applique76. Trois aspects apparaissent dès lors prédominants à l’analyse : la juridisation croissante du mariage et du divorce, parallèle à la centralisation progressive de l’appareil judiciaire, entamée au XIXe siècle ; les politiques étatiques de promotion des droits des femmes et leur incidence sur le droit de la famille ; enfin, la répression des pratiques sexuelles hors mariage, que ce soit les relations préconjugales, la prostitution ou plus récemment l’homosexualité.

A partir du XIXe siècle, dans un mouvement initié par les ordonnances (tanz̩īmāt) ottomanes du milieu du siècle, les instances de pouvoir judiciaire se voient progressivement inféodées à l’État. Deux processus parallèles concourent à ce résultat : d’une part, la mise en place d’institutions judiciaires distinctes des cours chariatiques ; d’autre part, par la codification du droit, y compris lorsque celui-ci revendique la charia comme source, codification validée par l’État, celui-ci s’instituant comme garant d’application des textes77. Le droit de la famille n’échappe pas à ces évolutions. Autour de sujets comme la polygamie, la répudiation, ou encore les droits d’héritage différents entre hommes et femmes se sont livrés de violents combats. Les législateurs ont librement puisé dans l’ensemble du corpus jurisprudentiel musulman78. Dès les années 1920, les contrats de mariage sont soumis à la supervision de l’État à travers une standardisation des procédures et la présence obligatoire d’un fonctionnaire religieux (ma’dhūn) pour valider l’acte légalement. L’âge minimum pour le mariage est quant à lui fixé en 1931 à 16 ans pour les filles et 18 pour les garçons, âge qu’après les réformes de 2000 l’époux comme l’épouse doivent avoir atteint pour qu’un mariage soit reconnu officiellement. Les tribunaux chariatiques ont été finalement abolis en 1956, les tribunaux civils héritant de leurs prérogatives. Néanmoins, chrétiens et musulmans restent soumis à des législations différentes.

Cette intrusion des instances étatiques dans le fonctionnement du mariage s’accompagne de la diffusion d’un discours familialiste faisant de l’unité familiale « la base de la société reposant sur la religion, les mœurs et le patriotisme », comme le stipule par exemple l’article 9 la

76 HASSO Frances. Consuming Desires : Family Crisis and the State in the Middle East. Stanford : Stanford Univ. Press, 2011, p. 40

77 ASAD Talal. Thinking about Secularism and Law in Egypt. ISIM Papers, n°2, 2001

78 ABDEL GAWAD Mohammed. L’évolution du statut familial en Égypte. In : Systèmes de parenté : entretiens

interdisciplinaires sur les sociétés musulmanes. Paris : EPHE, 1959, 42-50 ; BERNARD-MAUGIRON Nathalie.

57 Constitution égyptienne de 197179. Le droit apparaît comme outil à la fois de défense et de réforme de la famille. Il définit en fixant les attributs des unions légitimes, périmètre de son action, les conditions d’une relation saine et fonctionnelle entre les conjoints, ainsi qu’avec leurs enfants. Les règles du divorce ont elles aussi constitué de longue date un domaine privilégié d’intervention étatique80. Les instances législatives se sont efforcées d’une part de limiter les droits unilatéraux du mari à la répudiation, de l’autre, elles ont introduit diverses procédures pour permettre aux femmes de mettre fin plus facilement à une union. Elles se sont heurtées dans cette entreprise à la résistance de juges considérant ces mesures comme contraires aux commandements religieux : ainsi, la décision imposée en 1979 par Sadate d’autoriser les femmes à demander le divorce pour cause de remariage du mari sans avoir à justifier de torts subis en conséquence est tout d’abord refusée par des tribunaux considérant que la mesure contrevenait à l’article 2 de la Constitution édictée par le même Sadate, selon laquelle « la charia est la source principale de la législation », avant d’être annulée pour vice de forme par la Haute Cour constitutionnelle81. La réforme en 2000 de la loi sur le statut personnel, introduisant le khul‘, divorce unilatéral demandé par la femme en échange du remboursement de la dot et de l’abandon de toutes prétentions à des compensations financières pour torts subis a elle aussi rencontré de vives résistances. Des intervenants dans les médias mettant alors en garde contre les risques d’une vague de divorces irraisonnés pouvant en résulter et d’une tyrannie des femmes s’ensuivant.82 En contrepoint, Jihane el- Sadate et Suzanne Moubarak étaient dépeintes comme des figures tutélaires de ces réformes, à l’avant-garde des efforts d’émancipation féminine83. En 2000 est de plus fondé sur ordre du président égyptien un Conseil national de la Femme (al-Maǧlis al-qawmī li-l-mar’a) en charge d’agir pour la cause féminine.

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Sur la généalogie de ce discours : POLLARD Lisa. Nurturing the Nation : the family politics of modernizing,

colonizing and liberating Egypt, 1805-1923. Berkeley : Univ. of California Press, 2005

80 KHOLOUSSY Hanan. For Better… op. cit. , pp. 77-98

81 BOTIVEAU Bernard Loi islamique et droit dans les sociétés arabes. Paris : Karthala ; Aix en Provence : Iremam, 1993, pp. 244-251 ; BERNARD-MAUGIRON Nathalie Bernard-Maugiron et Baudouin DUPRET. Breaking Up the Family : Divorce in Egyptian Law and Practice. Hawwa : Journal of Women of the Middle East

and the Islamic World, n° 6, 2008, pp. 52-74

82 SONNEVELD Maria. If only there was khul’... ISIM Review, n°17, 2006, pp. 50-51 83

Toutefois, comme l’attestent par exemple les cas des militantes féministes Doria Shafiq (1908-1975) ou de Nawal El Saadawi (1931- )83, méfiance et répression caractérisent historiquement les rapports de l’État à des initiatives pouvant potentiellement radicaliser les revendications féministes dans le pays. Doria Shafiq, publiciste et militante féministe active dans les années 1940-1950 pour la participation politique des femmese et fondatrice de l’Association Bint al-Nīl (Fille du Nil), est astreinte à résidence en 1957 par Nasser suite à une grève de la faim contre la mainmise autoritaire sur le pays de ce dernier (NELSON Cynthia. Doria Shafik, Egyptian

Feminist : A Woman Apart. Gainesville ; Tallahasee ; etc. : Univ. Press of Florida, 1996) Nawal El Saadawi est

une psychiatre et militante féministe emprisonnée sous Sadate en 1981 (EL SAADAWI Nawal. A Daughter of

58 Les pratiques sexuelles hors mariage sont de la sorte soit ignorées par la loi et, de ce fait, soustraites à sa protection, soit criminalisées sous la désignation de « prostitution », d’« outrage à l’honneur » (hatk al-‘ird̩), de « comportement indécent sur la voie publique » (fi‘l fād̩ih̩ ‘alanī) ou d’« attentat à la pudeur féminine (khadsh h̩iyā’ al-unthā) » 84. Ces chefs d’accusation permettent aux magistrats d’intervenir en matière de mœurs là où n’existe pas de texte de loi spécifique. En 2001, lors de la razzia policière sur le Queen Boat, un lieu de rencontres homosexuelles, le chef d’accusation principal contre les condamnés était celui de s’adonner à la prostitution. En 2008 dans un cas célèbre de harcèlement sexuel, l’affaire Nuhā Rushdī, c’est « l’atteinte à l’honneur » que retiennent les magistrats85. Les juges conservent par ailleurs une large part d’appréciation personnelle dans leurs décisions. A ce propos, la remarque de Nathalie Bernard-Maugiron sur les distinctions qu’ils opèrent entre les milieux sociaux des plaignantes pour évaluer les préjudices subis est intéressante, parce que s’y retrouvent des considérations différenciant entre strates sociales pour qualifier les comportements amoureux sur lesquelles je reviendrai :

En matière de divorce, le juge égyptien considère comme préjudiciable tout tort causé par le mari à sa femme, qu’il consiste en des actes ou des paroles ou même en une omission. Le juge n’exige pas que le préjudice se répète, il suffit que le mari ait battu ou insulté son épouse une seule fois pour qu’elle puisse obtenir le divorce sur ce fondement. Le juge opère toutefois une différenciation dans l’appréciation du préjudice selon le milieu social des individus, considérant que le critère du préjudice est personnel et non matériel et varie selon les individus. Les femmes venant d’un milieu social défavorisé seraient donc capables d’endurer plus de mauvais traitements que les femmes d’un milieu social élevé.86

Le planning familial constitue un autre discours d’autorité endossé par des agents de l’État, mais cette fois au nom de la santé et de la lutte contre la surpopulation. Les premiers signes de préoccupation étatique touchant à la sexualité se font jour durant le règne de Mohammed ‘Aly (1805-1848), en lien avec l’armée, dans le souci de protéger les soldats des maladies

84 Dans une approche s’inspirant de la notion de concepts nomades développée par Olivier Christin, il serait intéressant de mener enquête aussi sur les termes qualifiant les crimes sexuels en Égypte aujourd’hui, sachant que le code pénal y est dérivé de la loi française. L’ « atteinte à l’honneur » égyptienne et l’ « attentat à la pudeur » français renvoient à des attendus différents qu’il faudrait pouvoir explorer avec une plus grande profondeur. Pourtant, c’est en équivalents que les pose le Nouveau dictionnaire juridique français arabe, publié en 1996. (NAJJAR Ibrahim (dir.) Nouveau dictionnaire juridique français-arabe. Beyrouth : Librairie du Liban, 1996, p.71.)

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Pour plus de détails sur l’épisode du Queen Boat, MASAAD Joseph. Desiring Arabs. Chicago : Univ. of Chicago Press, 2007, pp. 181-188, LAGRANGE Frédéric. Islam d’interdits, islam de jouissance. Paris : Téraèdre, 2008, pp. 181-183, DUPRET Baudouin. Le jugement…, op. cit., pp. 321-450. Je reviens sur l’affaire Rushdī dans le chapitre 3.

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59 vénériennes. À cette fin, la prostitution et les visites des conjointes sont régulées. En parallèle, en 1832, une école de sages-femmes (h̩akīma-s) est fondée. Elles sont chargées aussi du contrôle médical de la sexualité des femmes, notamment en intervenant comme expertes lorsque la virginité d’une femme est en jeu87. La lutte contre les maladies vénériennes se diffuse progressivement à tous les aspects de la société, sous l’égide d’intellectuels nationalistes cherchant à promouvoir une descendance saine aux Égyptiens, à même de s’occuper du pays. Dans les années 1920 et 1930 viennent s’y mêler des préoccupations néo- malthusiennes et eugénistes88. La réforme de la sexualité des habitants du pays occupe dès lors sans discontinuer les instances étatiques et l’intelligentsia égyptienne. Aux efforts soutenus par les autorités coloniales puis les organisations de développement pour mettre en place des programmes en faveur du contrôle des naissances font face les critiques du planning familial le décrivant comme un outil d’assujettissement visant à affaiblir le pays en le dépeuplant.

Le régime nassérien adopte les conceptions néo-malthusiennes ayant émergé dans le pays deux décennies plus tôt. En 1954 est mise en place la Commission nationale des problèmes de populations, dont les travaux aboutissent en 1965 à la fondation du Conseil suprême du Planning familial89. Après la prise de pouvoir d’Anwar al-Sadate en 1970 et le rapprochement avec les États-Unis qui s’ensuit, certaines agences internationales gagnèrent en influence, notamment l’Agence étasunienne pour le Développement internation (United States Agency fot International Development, USAID), le Population Council basé à New York et le Fonds des Nations unies pour la Population (FNUPA). Ses agences reformulent l’agenda néo- malthusien dans les termes de la théorie de la transition démographique élaborée dans les années 1940 à Princeton sous la direction de Frank Nosenstein. Elles recommandent de créer un Conseil national de la Population, organisme qui est effectivement créé en 198590. Sous l’influence des courants visant à contourner et vider l’État de ses prérogatives acquises durant la première moitié du XXe siècle, une insistance nouvelle prend corps au début des années