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Il me faut maintenant aborder les référents théoriques ayant servi de repère à la formulation des problématiques guidant ce texte. Alors que le passage précédent adopte une présentation chronologique de mon ethnographie, décrivant les aléas de ma progression et les itérations de sujet qui en découlent, ce passage-ci se présente sous forme de synthèse. Je me concentre ici sur l’inscription de ces recherches dans le champ disciplinaire plus large de l’anthropologie : en effet, Michael Gilsenan met en garde avec raison contre les dangers de perte de contact avec les débats généraux de la discipline qui guettent l’anthropologie du Proche-Orient, celle- ci ayant émergé à l’ombre de l’orientalisme et des instituts interdisciplinaires consacrés aux area studies.29 Il faut cependant noter que cette double proximité originelle, qui peut mener par occasion à un certain hermétisme dans le choix des sujets traités pour qui ne connaît pas le Monde arabe, a suscité des efforts de distanciation accrus aux formes anciennes de domination symbolique présentes en anthropologie chez les chercheurs consacrant leurs travaux à cette région. Face à un contexte souvent tendu, il a fallu expliciter les rapports aux États occidentaux que l’enquête implique et la constitution des ordres de généralité postulés dans les recherches (islam, Orient, etc.) Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si trois des figures tutélaires de l’anthropologie réflexive, Paul Rabinow, Vincent Crapanzano et Kevin Dwyer, ont mené leur terrain au Maroc.30

Ce survol préalable aborde les axes principaux de ma recherche : l’appréhension anthropologique des sentiments et de la subjectivité, en m’appuyant sur les travaux de Marcel Mauss, de Michel Foucault et de Pierre Bourdieu, les revendications autonomes de vérité dans la pluralité de champs de savoir et la définition de la classe moyenne comme vecteur de traduction privilégié apte à concilier les ordres de vérité hétéroclites avançant sous la bannière de la modernité. Les éléments évoqués ici vont être repris et traités plus en détail tout au long de l’ouvrage. Il s’agit donc avant tout pour l’instant par un exposé préalable de certaines

29 GILSENAN. Very like… op. cit., pp. 224-230 30

CRAPANZANO Vincent. Tuhami, Portrait of a Moroccan. Chicago : Chicago Univ. Press, 1985 ; DWYER Kevin. Moroccan Dialogues : anthropology in question. Baltimore : J. Hopkins Univ. Press ; RABINOW Paul.

Un ethnologue au Maroc : réflexions sur une enquête de terrain. Paris : Hachette, 1988 [1977]. Le texte de

Rabinow précède certes d’un an la parution de l’ouvrage célèbre d’Edward Said sur l’orientalisme (1978), mais les débats entourant cette discipline émergent dès les indépendances (SAID Edward. Orientalism : Western

Conceptions of the Orient. London : Penguin, 1985 [1978] ; MACFIE Alexandre (dir.) Orientalism : a reader.

New York : New York Univ. Press, 2000. Sur l’anthropologie réflexive, GHASARIAN Christian (dir.). De

l’ethnographie à l’anthropologie réflexive : nouveaux terrains, nouvelles pratiques, nouveaux enjeux. Paris : A.

36 options théoriques gouvernant ce texte d’éviter que surgissent des malentendus pouvant nuire à la compréhension de l’ensemble dans l’usage des concepts.

Dire ses émotions : autour de Mauss, Foucault et Bourdieu

L’étude des émotions a fait l’objet d’une abondante littérature en anthropologie. A l’interface entre corps et parole, médium incontournable de notre relation au monde et de nos rapports intersubjectifs, elles ne pouvaient être ignorées. Il serait dès lors trop ambitieux de vouloir résumer ici l’ensemble des débats ayant traversé les sciences sociales quant à leur appréhension. Un réélaboration systématique de l’approche à celles-ci a été entreprise à partir de la fin des années 1980, constituant un champ de recherche propre, l’anthropologie des émotions31. Ces tentatives de synthèse mettent en exergue les tensions entre visions universalistes des sentiments, qu’elles font remonter en général à l’éthologie darwinienne ou à la psychologie, et visions dérivées du constructionnisme, mettant quant à elles l’accent sur les déterminants culturels et sociaux présidant à la définition et à l’expression des sentiments. Ces textes programmatiques reprochent aux auteurs antérieurs de négliger de fournir une définition claire des émotions auxquelles ils font pourtant référence dans leurs écrits. Les émotions semblent soit y aller de soi, en tant qu’universels non sujets à discussions, ou être vues comme l’objet exclusif de la psychologie comme science constituée, dont l’anthropologie se contenterait d’appliquer les résultats pour illustrer la variation des cultures. Par conséquent, les émotions induites par un évènement, la performance d’un rite ou l’écoute d’un récit sont très souvent présentes implicitement dans les descriptions ethnographiques, sans toutefois que les auteurs jugent nécessaire d’en établir le fonctionnement propre.

Un débat sous-jacent lie appréhension des émotions et inscription dans la recherche en sciences sociales de considérations psychologiques sur l’intériorité des individus socialisés. Si les émotions sont considérées comme des invariants universels dérivant des mécanismes généraux de la psychè individuelle, un dilemme leur est posé. En effet, la psychologie est une discipline distincte des sciences sociales, y introduisant de la sorte un discours hétéronome et créant par conséquent un possible problème de légitimité pour les anthropologues et

31 LUTZ Catherine et Geoffrey WHITE. The Anthropology of Emotions. Annual Review of Anthropology, XV, 1986, pp. 405-436 ; LUTZ Catherine et Lila ABU-LUGHOD (dir.) Language and the Politics of Emotion. New York : Cambridge Univ. Press, 1990 ; KLEINMAN Sherryl et Martha COOP. Emotion and Fieldwork. Newbury Park : Sage, 1993 ; LEAVITT John. Meaning and Feeling…, op. cit. ; ROSENWEIN Barbara. Worrying about Emotions in History. American Historical Review, CVII 3, 2002 (en ligne, dernière consultation le 23 février 2012 : http://www.historycooperative.org/journals/ahr/107.3/ah0302000821.html).

37 sociologues dans leur approche des émotions32. Marcel Mauss, dans un article de 1921 intitulé « L’expression obligatoire des sentiments », tente d’expliciter la relation qu’entretiennent émotions et sociétés33. Prenant appui sur des données de terrain collectées parmi les Aborigènes australiens, il s’interroge sur l’aspect conventionnel qu’il pense pouvoir dégager dans leurs expressions de deuil : les intervalles des sanglots seraient régulés, les formes de cri employées seraient toujours les mêmes et les groupes chargés de la tâche de pleurer le défunt seraient strictement définis par des critères de genre et de parenté. Mauss, pour expliquer cette situation, recommande de considérer l’expression des sentiments comme les symboles d’un langage :

Toutes ces expressions collectives, et simultanées, à valeur morale et à force obligatoire des sentiments de l’individu et du groupe, ce sont plus que de simples manifestations, ce sont des signes, des expressions comprises, bref un langage. Ces cris, ce sont comme des phrases et des mots. Il faut les dire, mais s’il faut les dire, c’est que tout le groupe les comprend34.

Ses conclusions, faisant de ces manifestations émotionnelles un langage, doivent bien évidemment être remises en question. Si l’expression des sentiments inclut bien des éléments communicationnels, la part d’indicible et d’incertain que ceux-ci recèlent les rend nécessairement inaboutis et sujets à reformulation. La dimension physiologique des phénomènes émotionnels rend d’autant plus précaire l’effort pour fixer ceux-ci en mots, puisque leur empire semble établi aux confins du langage descriptif.35

Confronté sur mon terrain à des méthodes thérapeutiques faisant de l’expression des émotions la condition de l’accomplissement personnel au sein de la société, les propositions de Mauss, bien qu’incomplètes, m’apparaissent pertinentes comme expression d’un programme partagé par mes interlocuteurs plutôt que comme un constat. L’accomplissement personnel et la

32 Georg Simmel exprime particulièrement bien ce dilemme, sans doute parce que les socio-types qu’il cherche à établir sont empreints de psychologie. Lorsqu’il cherche à dessiner les contours du domaine de la sociologie dans un article de 1917, il s’applique à distinguer clairement celle-ci de l’étude de certaines caractéristiques selon lui universelles des individus dont peut s’occuper la psychologie – la sociologie doit s’occuper quant à elle des phénomènes de socialisation et de l’évolution des ensembles historiques (SIMMEL Georg. Individualismus der

modernen Zeit. Frankfurt/Main : Suhrkamp, 2008, pp. 7-28). Dans la même ligne, le refus d’Émile Durkheim

d’inscrire la psychologie individuelle dans le programme de travail de la sociologie est notoire (DURKHEIM Émile, Les règles de la méthode sociologique. Paris : PUF, 1990 [1894]). Seuls les phénomènes collectifs sont appréhendables par les sociologues, selon lui. Cela n’a pas empêché Durkheim pour autant d’attribuer des émotions aux individus des groupes qu’il décrit – à commencer par l’ « émulation » fondatrice du lien social qu’il pense pouvoir mettre en lumière dans les rites aborigènes (DURKHEIM Émile . Les formes élémentaires de

la vie religieuse : le système totémique en Australie. Paris : PUF, 1985 [1912]).

33 MAUSS Marcel. Essais de sociologie. Paris : Minuit, 1969, pp. 81-88 34 Ibid., p. 88

35 LEAVITT, Meaning and Feeling…, op. cit. ; REDDY William. Emotional Liberty : politics and history in the anthropology of emotions. Cultural Anthropology, XIV 2, 1999, pp. 256-288

38 liberté émotionnelle qui y sont rattachés doivent en effet se maintenir au sein de limites définies par les normes sociales régulant l’amour et la sexualité. Mes interlocuteurs s’efforcent de faire de leurs émotions un langage, et par ce processus précaire de traduction de leur ressenti, espèrent concilier les impératifs contradictoires pouvant apparaître chez eux et chez autrui entre aspirations individuelles et conventions sociales36. Cet effort de formalisation des émotions connaît évidemment ses limites et ses échecs, d’une part parce que ces tentatives de mises en mot ne peuvent aboutir que partiellement, de l’autre parce que le discours ainsi obtenu se trouve confronté dans l’énonciation de ses priorités aux attentes parfois divergentes des individus constituant son public.

Cette optique offre de nouvelles clés pour comprendre la diffusion d’un ethos thérapeutique et de l’effort concomitant d’extérioriser ses sentiments au XXe siècle dont Eva Illouz fait le récit.37 Illouz met en garde ses lecteurs de ne pas sous-estimer l’apport personnel que peut offrir cet ethos thérapeutique aux individus. Il permet à fois de s’assurer une place dans le monde social et de se rassurer sur sa propre conduite. Cela permet de mieux situer les dynamiques de pouvoir sous-jacentes à l’œuvre. Ce discours s’inscrit en effet dans un espace social marqué par des hiérarchies et une histoire. Nous disposons par là d’un outil pour saisir certains ressorts de la fabrique des subjectivités. L’objet de cette recherche semble dès lors se prêter idéalement à une approche fondée sur les microphysiques du pouvoir qu’évoque Michel Foucault. En effet, l’incitation au discours dont celui-ci fait le portrait dans La Volonté de savoir semble trouver une parfaite illustration dans le travail du centre de conseil psychologique auquel je me suis consacré38.

36 William Reddy insiste de plus sur le caractère performatif des énoncés émotionnels qui s’ensuit, ceux-ci modulant l’appréhension des situations auquel se trouve confronté un agent. Celui-ci a en effet de toute façon une perception lacunaire des réelles dynamiques subjectives sous-jacentes (REDDY William. Emotional Liberty : politics and history in the anthropology of emotions. Cultural Anthropology, XIV 2, 1999, pp. 256-288). Vincent Crapanzano met pour sa part en avant que l’indifférence même pouvant être qualifiée de sentiment, l’indexation ou non de propos ou d’états physiologiques au registre émotionnel renvoie à des enjeux de pouvoir (CRAPANZANO Vincent. Réflexions sur une anthropologie des émotions. Terrains, n°22, 1994, pp. 109-117) Des parallèles sont par ailleurs faciles à tracer ici avec les travaux sociologiques menés par Arlie Hochschild. Celle-ci cherche à saisir le travail de contrôle des émotions qu’opèrent les individus dans le cadre social. Inspirée d’une lecture goffmanienne de Durkheim, elle prête une grande attention aux interactions comme révélatrices des enjeux de pouvoir au sein de la société. Elle prolonge les réflexions d’Ervin Goffman en y introduisant les notions de « travail émotionnel », de « cadre émotionnel » et de « règles émotionnelles. » Le « travail émotionnel », qu’elle compare au jeu d’acteurs s’inspirant des règles de Stanislavski d’incarnation des émotions sur scène (deap acting), se conforme aux prérequis que semble exiger la situation (le « cadre émotionnel »). Des définitions contradictoires des émotions appropriées face à une situation sont en compétition au sein de la société, selon Hochschild, pouvant conduire à des conflits reflétant les dynamiques de pouvoir traversant la société (HOCHSCHILD Arlie. The Managed Heart : the commercialization of human feeling. Berkeley : Univ. of California Press, 1983.)

37 ILLOUZ Eva. Les sentiments du capitalisme. Paris : Seuil, 2006 38

39 En effet, Foucault se porte en faux par rapport à des conceptions uniquement répressives (ou « négatives » selon ses termes) du pouvoir :

La question « comment aime-t-on le pouvoir ? » ne se pose plus dès lorsqu’on s’aperçoit que le pouvoir, c’est ce qui nous traverse positivement et nous fait faire effectivement quelque chose, et nous donne effectivement des gratifications, nous traverse de toute une machinerie productive dont on est l’agent, le bénéficiaire, jusqu’à un certain point bien sûr, etc. 39

Ainsi, il m’apparaît impossible de rendre compte de l’effet produit par les thérapies de groupe sans évoquer, au-delà des contenus normatifs que recèle le discours dont elles se font les agents, la proximité entre participants et formateurs qu’elles permettent d’établir. Une communauté émotionnelle est de la sorte instituée, des pistes pour l’accomplissement des individus sont mises à disposition et un sentiment de bien-être effectivement fourni à certains, même provisoirement. Ces moments sont centraux dans la tentative de reconstruction des subjectivités dont les centres de conseil psychologique sont porteurs. Le discours d’expertise les encadrant s’accompagne d’une rhétorique affirmant qu’il s’agit par ces dispositifs de briser un « silence » ayant régné antérieurement sur l’intimité des affects. Cette vision participe des revendications de savoir de promoteurs de la psychologie et de la sexologie, en tant que disciplines scientifiques cherchant à accroître leur emprise sur des domaines leur échappant sous bien des aspects, comme l’amour et la sexualité. Reléguant les discours élaborés en dehors de leur ordre de vérité (à travers la jurisprudence islamique par exemple, ou dans les conversations non savantes) au plan de l’inénoncé, ils fixent en même temps les frontières d’un inénonçable ancré au plus profond des consciences individuelles et qu’il appartiendrait à leur savoir de spécialistes de porter à la lumière.

Les pratiques d’extériorisation des sentiments promues de cette façon sont par ailleurs socialement situées. Foucault fait usage du concept de « bourgeoisie » dans la Volonté de savoir, faisant de la « sexualité bavarde » de la bourgeoisie l’un de ses attributs majeurs40. Toutefois, c’est presque à contrecœur, semblerait-t-il, au regard des circonvolutions qu’il emploie41. Pour situer le discours produit dans les centres de conseil psychologique cairotes

39 ANONYME. Entretien inédit entre Michel Foucault et quatre militants de la LCR, membres de la rubrique culturelle du journal quotidien Rouge (juillet 1977) (en ligne, dernière consultation le 23 février 2012 : http://questionmarx.typepad.fr/files/entretien-avec-michel-foucault-1.pdf) Comme évoqué plus haut, Illouz insiste elle aussi sur ce même point.

40 FOUCAULT Michel. La Volonté…, op. cit., p. 168 ; sur le lien entre bourgeoisie et sexualité : ibid., pp. 159- 168.

41 « Enfin, à une échelle plus large, il faut bien reconnaître de grands clivages dans ce qu’on pourrait appeler l’appropriation sociale des discours. L’éducation a beau être, de droit, l’instrument grâce auquel tout individu,

40 au sein du faisceau des hiérarchies sociales, il me faut mobiliser l’œuvre de Pierre Bourdieu. Tenter une synthèse exhaustive des concordances et divergences entre les approches foucaldienne et bourdieusienne dépasse le cadre de cette recherche. Pour réaliser un tel objectif, il faudrait en effet pouvoir conduire une étude systématique de l’ensemble de l’œuvre des deux auteurs42. Il y a cependant un point de divergence implicite qu’il m’apparaît utile de souligner ici : il touche à la relation qu’entretient le sujet au pouvoir qu’il exerce ou dont il devient détenteur. Cette nuance est fondamentale à mon sens. Foucault récuse en effet une approche du pouvoir l’assimilant à travers « une métaphore économique »43 à un objet que l’on possède ou non. Il convient pour lui de se concentrer sur l’exercice du pouvoir, toujours changeant, et les résistances qu’il peut entraîner. Or, Bourdieu fait précisément usage d’une telle métaphore économique avec son emploi élargi de la notion de « capitaux », qu’il place au fondement de la légitimité. A la distribution inégale des pouvoirs correspond une distribution inégale des capacités reconnues à l’exercer. Or, la légitimité est chez Bourdieu ce qui permet de rendre une parole performative, et c’est là la critique qu’il adresse au pragmatisme de John Austin. Pour Bourdieu, un énoncé ne peut prétendre exercer de pouvoir sur la réalité sans que son auteur n’y soit socialement habilité.

Pour qui se détache un instant des dispositifs de pouvoir que peuvent constituer les centres de conseil psychologiques décrits ici pour situer leur discours dans l’éventail des répertoires légitimes pour parler d’amour et de sexe au Caire – comme je m’y essaye à propos de la St Valentin et du harcèlement – le détour par l’approche de Bourdieu se révèle dès lors d’une forte valeur heuristique.

Parler, c’est s’approprier l’un ou l’autre des styles expressifs déjà constitués dans et par l’usage et objectivement marqués par leur position dans une hiérarchie des styles qui exprime dans son ordre la hiérarchie des groupes correspondants. Ces styles, systèmes de différences classées et classantes, dans une société comme la nôtre, peut avoir accès à n’importe quel type de discours, on sait bien qu’elle suit dans sa distribution, dans ce qu’elle permet et dans ce qu’elle empêche, les lignes qui sont marquées par les distances, les oppositions et les luttes sociales. » (FOUCAULT Michel. L’ordre du discours. Paris : Gallimard, 1971, pp. 45-46 – passage souligné par moi) ; « Discours bataille et non discours reflet. Plus précisément, il faut faire apparaître dans le discours des fonctions qui ne sont pas simplement celles de l’expression (d’un rapport de forces déjà constitué et stabilisé) ou de la reproduction (d’un système social préexistant). (…) Le discours est pour le rapport des forces non pas seulement une surface d’inscription, mais un opérateur. » (FOUCAULT Michel. Dits et écrits II. 1976-1988. Paris : Gallimard, 2001, p. 124. Foucault place l’emphase analytique sur le discours même comme agent dynamique que les sujets s’approprient et non sur les hiérarchies sociales dont il peut se faire le reflet).

42 Il est possible de se reporter à cette fin aux travaux de Staf Callewaert et bien sûr au passage consacré à Foucault et Bourdieu par Certeau, ce dernier s’attachant surtout à situer leur œuvre par rapport à son propre projet scientifique. (CALLEWAERT Staf. Bourdieu Critic of Foucault : the case of empirical social science against double-game philosophy. Theory Culture Society, XXIII 6, 2006, pp. 73-96 ; CERTEAU Michel de.

L’invention du quotidien I : arts de faire. Paris : Gallimard, 2005 [1980], pp. 75-96)

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41 hiérarchisées et hiérarchisantes, marquent ceux qui se les approprient et la stylistique spontanée, armée d’un sens pratique des équivalences entre deux ordres de différence, saisit des classes sociales à travers des classes d’indices stylistiques.44

L’usage alterné de Foucault et de Bourdieu ici dénote d’une différence de focale. Aux microphysiques d’incitation au discours trouvant à s’exercer dans les centres de conseil psychologique, soutenant les revendications d’expertise de leur discours savant, se combine une perception plus large comme pratique s’inscrivant dans les hiérarchies sociales. En effet, au Caire, les ascriptions de classe constituent un élément non négligeable de l’ordonnancement du monde social auquel se livrent les individus.

Branchements, traductions, institutions des imaginaires et classes moyennes

Il faut tout d’abord dissiper un malentendu : le débat sur la pertinence ou non du concept de classes sociales a souvent été l’otage de considérations politiques, celles-là mêmes que Robert Nisbet décèle autour de la notion de statut après les révolutions française et industrielle. Parmi