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Après m’être concentré dans la section précédente sur les référents mobilisés comme instances de contrôle de la société égyptienne, j’aimerais maintenant proposer un autre récit, lui aussi porteurs de normativité : celui des attentes amoureuses des hommes et femmes du Caire. Évoquer celles-ci est un exercice difficile : en effet, elles peuvent être contradictoires, chacun n’ayant qu’une expérience personnelle limitée en la matière, ne pouvant dès lors mesurer pleinement les possibilités qui sont les siennes et les implications des choix finalement pris. Le rapport des individus aux objets de leur amour et désir est souvent de plus empli de paradoxes impossibles à élucider et justifier pour les individus eux-mêmes. Les attirances amoureuses et sexuelles peuvent venir troubler par instants les résolutions les plus fermes, prendre des contours inattendus et mener à des dilemmes impossibles à résoudre, plongeant dès lors les sujets dans une confusion parfois inextricable des sentiments. Il s’agit là en effet d’un domaine privilégié des « arts de faire »108, pratiques rétives à toute totalisation discursive et où chacun en dernier recours doit s’appuyer sur son expérience pour orienter son devenir. Toutefois, l’amour est aussi un référent débattu. La place à accorder aux sentiments dans les choix conjugaux est l’objet de déclarations parfois conflictuelles. L’indexation telle qu’elle apparaît à l’étude des documents des valorisations de l’amour sur la modernité et une religion correcte d’une part, de la prédominance du choix parental dans la formation du couple et d’une expression restreinte des sentiments sur la tradition de l’autre, dessine les contours d’un modernisme amoureux dont l’influence se doit d’être prise en compte.

Sa généalogie est ancienne. Beth Baron évoque ainsi des pièces de théâtre représentées avec grand succès au tournant du XXe siècle mettant en scène la victoire de l’amour sur les calculs matrimoniaux des familles, les textes de femmes de la haute société mettant en avant l’importance des sentiments dans le mariage et les romans traduits et publiés au début du siècle dernier – dont Zaynab, de Muh̩ ammad H̩usayn Haykal en 1914, célébré aujourd’hui

comme le premier roman de la littérature égyptienne et racontant les amours malheureuses d’une paysanne. Elle conte de plus une affaire ayant défrayé la chronique médiatique en 1904, celui du mariage S̩ afiyya ‘Abd al-Khāliq al-Sādāt, issue d’une grande famille, et de ‘Alī

Yūsuf, un journaliste enrichi issu d’une famille pauvre. Le père de la mariée chercha à faire annuler judiciairement cette union, mais abandonna finalement devant l’obstination de sa

108

68 fille109. À partir de cette époque se développe une industrie culturelle de masse se développe en Égypte. La célébrité de chanteurs comme Umm Kalthoum et Muh̩ ammad ‘Abd al-Wahhāb

prend ensuite son envol à partir de la seconde moitié des années 1920. De même, le cinéma égyptien bénéficie rapidement d’un large succès commercial. Dès les débuts, films et chansons mettent en exergue l’amour.

Évoquant une période plus tardive, les années 1950, le psychanalyste Mustafa Safouan explique à propos de ses analysants, qu’il identifie comme appartenant aux classes supérieures, que :

Un phénomène marquant concernant mes patients cairotes, en particulier les musulmans, était la fréquence avec laquelle il souffrait « d’amour sans espoir ». Ici, il s’agit (…) d’un effet de la culture au niveau érotique. Je me réfère à la tradition de l’amour dit virginal. (…) Dans cette poésie, il s’agit de chanter – de jouir de – l’amour interdit par des impossibilités sociales110.

Les travaux de Samuli Schielke offrent un éclairage complémentaire intéressant sur les attentes amoureuses telles qu’elles s’expriment en Égypte. Pour Schielke, ce qui caractérise les conceptions de l’amour romantique dans le pays, c’est la perception de celui-ci comme un absolu sans partage, pouvant mener facilement à la folie et à la mort. Schielke évoque à ce sujet lui aussi la pérennité d’idéaux amoureux calqués sur ceux de l’amour « virginal » (‘udhrī) dont la passion impossible de Maǧnūn et Laylā, personnages d’une épopée célèbre, seraient emblématiques111. Il compare cette conception de l’amour à celle de l’islam que défendent les salafistes : toute possibilité d’adaptation aux circonstances vécues est réfutée comme une compromission de l’idéal proclamé, renforçant de la sorte son sublime, mais entraînant par contrecoup de nombreuses démissions devant l’impossibilité de s’y conformer complètement ou de faire face aux exigences contradictoires que recèle la société.

Steffen Strohmenger a demandé lui aussi à ses interlocuteurs comment ils définissent l’amour. Il cite ainsi par exemple Rashīd, étudiant en Lettres à l’Université du Caire, âgé de 25 ans, qui lui déclare :

109 BARON Beth. The Making and Braking of Marital Bonds in Modern Egypt. In : Nikki KEDDIE et Beth BARON (dir.) Women in Middle Eastern History : Shifting Boundaries in Sex and Gender. New Haven ; London : Yale Univ. Press, pp. 275-291

110 SAFOUAN Mustafa. Five years of Psychoanalysis in Cairo. Umbr(a), 2009, p. 36

111 SCHIELKE Samuli. Ambivalent Commitment : troubles of morality, religisioty and aspirations among young Egyptians. Journal of Religion in Africa, n° 39, 2009, pp. 158-185 ; Sur l’amour ‘udhrī, LAGRANGE Frédéric, Islam de jouissance…, op. cit., pp. 187-192.

69 L’amour est quelque chose de très important pour la vie, parce qu’il lui procure une chaleur constante, il rend les gens heureux, il promet de l’espoir pour le lendemain, il offre à l’humain un but face à lui, car l’amour rend la vie douce et belle, laisse les humains puiser espoir, il procure tranquillité et satisfaction, il rend les gens heureux112.

Lorsqu’il interroge ses interlocuteurs sur la signification de l’amour pour eux, « espoir », « l’amour est beau », « excitation », « illusions », « don de soi », « accomplissement », « tout ce dont j’ai besoin », « Dieu », « famille », « complétude », « respect », « satisfaction », « donner », « souffrir », « admiration », « être soi-même », « tristesse » et « bonheur » sont les définitions qu’il récolte. Les réponses se partagent, nous le voyons, entre exaltation romantique et aspirations à fonder une famille. L’idéal consiste à pouvoir concilier les deux. Certains, enfin, affichant une attitude désabusée, considèrent que l’amour est une lubie de jeunes gens irresponsables, des « illusions » qui auront tôt fait de se dissiper113.

Le magazine al-Shabāb, pour son numéro spécial de 2009 consacré à la St Valentin, pose à un groupe de jeunes étudiants lui aussi la même question : « l’amour de ton point de vue qu’est- ce que c’est ? »

Muh̩ ammad Fārūq – 22 ans – étudiant en Droit à l’Université du Caire : L’amour, c’est la vie, et il n’y a

pas de vie sans amour.

Muh̩ ammad H̩usayn – 21 ans – bachelor de la Faculté de Commerce de l’Université de ‘Ayn Shams :

L’amour est ce qu’il y a de plus beau dans l’existence, et sans amour, les gens s’entretuent.

Sāmih̩ ‘Ādil – 21 ans – étudiant à la Faculté de Commerce de l’Université du Caire : L’amour, c’est de

tenir à un être humain que tu aimes et avec lequel tu te sens bien. Le plus important de tout, c’est de lui être fidèle jusqu’à la fin.

Muh̩ammad ‘Abd al-Salām – 21 ans – étudiant en Lettres à l’Université du Caire : J’ai appris que l’amour, c’est la loyauté et que chacun supporte l’autre jusqu’au bout.

Ah̩mad al-Nādī – 24 ans – étudiant en ingénierie à l’Université du Caire : l’amour, c’est la coexistence à deux, et il commence avec la liaison. A mon avis, il n’y a pas d’amour avant la relation officielle. Wā’il Mah̩mūd – 24 ans – bachelor de la Faculté de Commerce de l’Université de Helwân : l’amour, c’est de s’appartenir mutuellement, qu’un être humain en absorbe un autre qu’il aime (el-ih̩tiwā’). L’amour véritable n’apparaît qu’une seule fois, parce que ceux qui aiment plusieurs fois, ce n’est pas de l’amour114.

112 STROHMENGER Steffen. Kairo : Gespräche über Liebe. Wuppertal : P. Hammer, 1996, p. 60 113 Ibid., pp. 117-119

114 Al-Shabāb [Les Jeunes], n° 379, février 2009, p. 14. L’auteur de l’article ne spécifie pas selon quelles modalités il a recueilli ces propos, ni comment il a sélectionné ses interlocuteurs.

70 De même, les deux étudiantes d’al-Azhar, début la vingtaine et non mariées, m’expliquaient vouloir « être toutes les femmes à la fois » pour leur futur époux. Nombreuses sont les références à l’éternité supposée des sentiments d’amour dans les propos recueillis. Cela s’accorde avec la grande valorisation de la jalousie (el-ghayra) en amour115, l’exclusivité du sentiment étant considéré comme condition essentielle de son authenticité. La finalité affirmée d’une telle relation est nécessairement le mariage116.

Toutefois, les partenaires possibles d’une union ne sont pas laissés seuls dans leurs choix. Cet impératif s’exprime dans l’affirmation souvent entendue de la bouche de personnes âgées que le véritable amour ne prend forme qu’après le mariage, dans la douceur répétée des gestes du quotidien. De la sorte sont délégitimées les passions juvéniles, jugées au mieux futiles et sans lendemain, au pire vues comme un véritable danger pour l’avenir, que ce soit parce qu’elles poussent les jeunes gens à abandonner leurs études ou de crainte qu’elles mènent potentiellement à des relations sexuelles secrètes déshonorantes. L’autorité des parents sort renforcée de ce discours : ils sont à même d’imposer le choix de la raison, dicté par l’expérience de la vie. La cohabitation silencieuse entre mari et femme apparaît ici comme seul moyen de réaliser le véritable amour, selon une conception défendue par grand nombre de partisans des mariages où prime le choix des parents concernant les partenaires, et où les époux n’apprennent à se connaître que sous étroit contrôle durant les fiançailles et surtout une fois l’union conclue. « De tous ces conseils, il n’y en a aucun qui marche ! » s’exclama un jour Ǧamāl, un vieil ingénieur, alors que je lui parlais des centres de conseil conjugal sur lesquels j’enquêtais. « Cela marche avec l’interconnaissance… l’interconnaissance de tous les jours ! », compléta-t-il. À l’amour silencieux, mais profond, des gens mariés (‘ishra, ma’rifa) s’oppose selon ces conceptions celui bavard, mais superficiel, des jeunes gens117.

Les mariages arrangés sont aujourd’hui dénommés « mariages de salons (ǧawāz s̩ālūnāt) » en référence aux salons d'appartement où se rencontrent les conjoints potentiels et leurs familles respectives pour trouver un accord sur une union future. Autre façon de mettre des mots sur ces tensions, la définition dans les discours de deux types d’union ; celles « traditionnelles » ou « majoritaires » aux dires d’interlocuteurs étudiants, où le sentiment ne jouerait qu’un rôle minime dans le choix du partenaire et s’effacerait totalement des préoccupations du couple

115 STROHMENGER Steffen. Kairo… op. cit., pp. 170-179

116 Une telle vision de l’amour explique aussi sans doute une part des difficultés provoquées par les remariages polygames, souvent ressentis comme une trahison par la première femme, et ce malgré la reconnaissance légale du droit pour les hommes d’avoir jusqu’à quatre épouses.

117 Walter Armbrust souligne bien la façon dont le patriarcat, en matière de conjugalité, se définit nécessairement en Égypte en articulation avec le mariage d’amour. ARMBRUST Walter. Long Live Patriarchy : love in the time of ‘Abd al-Wahhab. History Compass, vol. 7, n° 1, 2009, pp. 255

71 une fois le mariage conclu ; celles au contraire « romantiques », fondé sur l’amour et où celui-ci se maintient tout au long de la vie conjugale. Un interlocuteur, étudiant en Histoire à l’Université du Caire, m’affirmait ainsi que 70 % des mariages sont des « mariage de salons » et 30 % seulement des « mariages d’amour ». Ne disposant de toute évidence pas de statistiques à l’appui d’un tel chiffre, il s’agissait par là pour lui d’affirmer l’existence d’un standard dont le contre-modèle serait le mariage d’amour. Dans un ouvrage de conseil pour candidats au mariage, l’auteur, Akram Rid̩ ā, distingue « mariage d’amour » et « mariage

traditionnel » - citant un sondage mené sur cent personnes dans « un magazine » aboutissant au résultat que 90 % des femmes préfèrent le mariage traditionnel et 100 % des hommes le mariage d’amour. Il interprète ces nombres en arguant que les femmes sont à la recherche de stabilité, alors que les hommes sont guidés par la quête de jouissance118. La référence au mariage « traditionnel » comme opposé du mariage d’amour révèle les ambivalences face à la norme et au passé où elle était censée régner sans partage. Les noces conclues en vertu d’accord entre familles peuvent être rattachées à la « tradition » avec indifférence, comme constat taxinomique : « J’ai fait un mariage traditionnel avec une cousine », explique ainsi le courrier d’un jeune homme à la sexologue Heba Kotb, dont il sera plus longuement question dans le prochain chapitre. Il peut enfin être violemment rejeté, comme dans le cas de cet auditeur de l’animatrice de radio Buthayna Kāmil traitant les parents d’une jeune fille qu’il souhaite épouser de « rétrogrades » parce qu’ils refusent une telle union fondée sur l’amour119. « Si c’est comme ça, je vais me marier traditionnellement », affirme de même par dépit amoureux la protagoniste principale du film Z̩ arf T̩āriq (Le charme de T̩āriq)120, lorsqu’elle croit devoir se résoudre à suivre les choix matrimoniaux de ses parents. De même, il peut être valorisé – comme dans les propos d’interlocuteurs âgés précédemment invoqués. Ces options possibles sont source de dilemmes et de questionnements, comme l’illustre ce courrier adressé au même numéro précédemment cité du magazine al-Shabāb :

Je suis une jeune fille qui rêve d’un mariage heureux, et je suis fatiguée d’entendre parler de problèmes terribles rencontrés tant par des épouses s’étant mariées après de longues histoires d’amour que par celles ayant fait un mariage traditionnel. J’ai peur de l’échec et déteste [l’idée] que devoir vivre en époux me prenne à la gorge. Est-ce qu’un mariage de salons peut réussir ? Vaut-il mieux un mariage

118

RID̩Ā Akram. ‘Alā ‘itāb al-zawāǧ (Au seuil du mariage). Al-Ǧīza : Dār Alfā, 2005, p. 57. Rid̩ā est par ailleurs identifié comme l’un des pionniers du développement personnel islamique par Patrick Haenni (HAENNI Patrick. L’islam de marché : l’autre révolution conservatrice. Paris : Seuil, 2005, pp. 77-78).

119 KĀMIL Buthayna, I‘tirāfāt layliyya (Confessions nocturnes). Al-Qāhira : Maǧmū‘a Āfāq, 1998, p. 182 120

72 d’amour ? Comment me comporter avec un fiancé traditionnel ? Que pensez-vous de la recherche d’un époux à travers internet ou les agences matrimoniales ?121

Dans sa réponse, la journaliste se prononce en faveur du mariage de « salons » avant tout, n’évoquant le mariage « d’amour » que pour mettre en garde les lecteurs contre le mariage coutumier. Elle avertit de plus les jeunes filles qu’il est inconsidéré de choisir son époux en fonction de son apparence, tout en précisant qu’il importe qu’il y ait quand même un bon sentiment envers lui. Face à un « fiancé traditionnel », elle prône de se comporter avec retenue, « se tenant droit et les deux pieds bien ancrés au sol », montrant sa pudeur sans être paralysée par la timidité pour autant. Quant à internet et aux agences matrimoniales, l’auteure y voit surtout des repaires d’escrocs.

Le mariage d’amour peut donc aussi être présenté comme un choix dangereux assimilable à un mariage secret. Il convient de préciser que l’opposition entre mariage d’amour et mariage arrangé est relative – il s’agit plutôt là de deux pôles d’un continuum offrant plusieurs options122. Entre un mariage fait en opposition frontale avec les parents ou au contraire un choix dicté uniquement par les parents se présentent en effet diverses possibilités : des mariages par exemple où le couple s’est rencontré de façon autonome, mais a obtenu la bénédiction des parents. Les fiançailles (al-khut̩ ūba) sont de plus une période de test où les

potentiels époux mettent à l’épreuve leur compatibilité l’un pour l’autre123. Un auteur comme Rid̩ ā, qui met en garde contre le mariage d’amour, ne voit ainsi pas d’obstacle, au contraire, à

l’expression de ce sentiment dans ce cadre contrôlé. Il prône néanmoins la présence permanente d’un chaperon pour surveiller les fiancés124.

En même temps, une fois l’union conclue, les attentes étant souvent immenses, les époux courent le risque d’amères déceptions. Il peut y avoir un grand dépit antérieur au mariage d’abord, lorsque les parents de l’un des membres d’un jeune couple amoureux refusent d’accepter les choix de leur enfant et s’opposent à leur union ; de même, la gestion du quotidien conjugal n’est pas nécessairement chose aisée. Les relations nouées avant le mariage, toujours à la limite de la transgression et de l’inconvenable, persistent de la sorte comme un regret chez nombre de couples mariés. Cette tension s’exprime aussi dans l’image même de couples se détachant l’un de l’autre souvent évoquée dans les discussions que j’ai pu

121 Al-Shabāb, n°379, op. cit., p. 111 122

SPRINGBORG Robert. Family, Power, and Politics in Egypt : Sayed Bey Marei – his clan, clients, and

cohorts. Philadelphia : Univ. Of Philadelphia Press, 1982, pp. 29-30 ; ARMBRUST Walter. Long Live… op. cit. De même façon existe en Inde la catégorie de « love-cum-arranged marriage ».

123 STROHMENGER Steffen. Kairo… op. cit., pp. 68-69 124

73 recueillir. Le mariage est donc souvent représenté comme une rupture avec le romantisme, la cohabitation quotidienne et le souci des responsabilités familiales venant dissiper les rêves d’amour idéal précédemment affichés. Les récits couramment délivrés par des hommes comme des femmes d’amours de jeunesse contrariés dans leurs inclinations amoureuses par l’opposition inflexible des parents sont de plus un moyen de formuler une critique sociale. Un professeur d’université faisant étal lors de l’une de nos rencontres de son attitude critique face à l’état de l’Égypte avança même l’opinion que de très nombreux cas de frigidité chez les femmes dans le pays remontent à la nostalgie de relations d’amour nouées durant leur jeune âge. Se révèle par là une tension persistante entre respect dû aux décisions des parents et désirs individuels.

Le mariage conclu, les époux sont pourtant fréquemment exhortés à exprimer de la tendresse et de l’attention l’un pour l’autre. Il est possible par exemple de citer les déclarations lors d’un prêche de Muh̩ ammad H̩assān, un célèbre cheikh salafiste :

Sache que tu ne posséderas le cœur de ton époux ou de ta femme que grâce à l’amour. N’imagine pas que ce soit possible par l’argent. Même si tu la couvres d’or, tu n’auras pas son cœur. Il te faut lui montrer que tu l’aimes et l’estimes. Je vous ai donné un exemple : je vous ai dit que si un frère, impressionné par ces propos et voulant les appliquer, prenait son Satan portable – je veux dire, son téléphone portable – et appelait sa femme pour lui dire : « Salām ‘alaykum, comment vas-tu, amour de mon cœur ? (…) » La femme regardera d’abord le téléphone [le cheikh marque un silence en regardant

la paume de sa main – rires de l’assistance]. Je le jure par Dieu, elle regardera son téléphone et se dira :

« C’est vraiment son numéro ! » Puis elle répondra en disant : « Tu veux m’annoncer une catastrophe… [rires de l’assistance] Tu t’es marié une seconde fois ? Dis-moi tout ! Tu joues la comédie ! » Elle n’a pas entendu ces mots auparavant, elle ne s’y est pas habituée… Tu es un homme de décence (shahm) – un Sī Sayyid (…) qui se dit : « C’est réprouvable (‘ayb) de dire à ma femme que je l’aime ! » Qui t’a dit cela ? La femme mendie pour des mots doux du mari et un sourire partagé. À l’extérieur, tu es parfait, et la première personne appropriée pour ces mots est ta femme. Fais-les-lui entendre, mon frère ! Ces mots feront fondre une montagne de glaces remplissant du début à la fin la vie conjugale de quantité de problèmes ! Fais-lui entendre des mots doux ! Fais-le en observance des ordres de l’Envoyé de Dieu [l’assistance : « Que Dieu le bénisse et le salue »]125.

Des hadiths sont ensuite cités à l’appui de ses propos. H̩ assān dépeint comme figure négative