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La normalisation : une « mise en ressources » globalement appréhendable de la diversité des écritures du monde.

UNICODE ET LA TEI, DEUX STANDARDS EMBLÉMATIQUES DES EXIGENCES DE NORMALISATION DANS L’ART D’ÉCRIRE EN LIGNE.

2.2. La normalisation : une « mise en ressources » globalement appréhendable de la diversité des écritures du monde.

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Ce BMP est identique à la fois dans le standard Unicode et dans la norme ISO/IEC-10646-1.

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J’avais fondé avec Nadine Lucas un séminaire mensuel sur ce sujet : « Unicode et après ? ». Celui-ci a fonctionne à l’AUPELF (actuellement AUF, Agence Universitaire Francophone) sous la coordination de Sylvie Baste (courrier électronique : baste@cnam.fr). S’y sont réunies en synergie des compétences linguistiques culturelles et techniques très diverses : langues orientales, occidentales, africaines, mais aussi écritures anciennes, langues des signes, codification multimédia, problèmes technologiques. Un certain nombre de ces intervenants ont contribué au n°3-4 de Document numérique, 2002, ( déjà cité).

Les usagers des différentes langues ont inventé ou adapté des systèmes d’écriture par définition toujours complexes et qui présentent des caractéristiques dont la typographie alphabétique occidentale donne une bien faible idée de la diversité réelle.

Elles peuvent être alphabétiques, syllabiques, idéographiques, idéographiques et syllabiques (japonais) ou idéographiques et alpha syllabiques par composition (coréen). Elles peuvent s’inscrire dans toutes les directions du plan d’écriture : haut en bas, gauche à droite, droite à gauche162, être en mots croisés et surtout elles peuvent présenter tous les hybrides de

déroulements possibles ; s’inscrire de gauche à droite, puis de droite à gauche alternativement (boustrophédon), ou simultanément dans la même ligne (en arabe par exemple pour la notation des nombres). Les écritures peuvent présenter de nombreuses ligatures, ou au contraire des scissions de lettre en deux parties venant encadrer une ou plusieurs lettres. Certaines lettres peuvent s’empiler (digrammes ou trigrammes des écritures indiennes) ce qui nécessite de gérer simultanément un déroulement horizontal et vertical ; mieux, les lettres peuvent s’agencer en matrices syllabiques (coréen).

Les alphabets occidentaux sont traditionnellement ordonnés selon un ordre dit alphabétique qui est en référence universelle avec un ordre issu des premiers alphabets en Mésopotamie. Il est d’ailleurs passionnant et extrêmement utile (pour ce qui est de l’équivalence écriture à écriture, et langue à langue) de chercher à mettre en correspondance les glyphes homothétiques de différents alphabets. Cela permet de comparer des valeurs phonétiques d’un alphabet à d’autres, ou de suivre l’adaptation ou l’évolution historique des différentes lettres. Le suivi comparé de l’évolution graphique de chaque lettre est tout aussi passionnant et chargé d’enseignement. Il répond à des règles bien connues des historiens de l’écriture : natures des supports, directions conventionnelles des tracés de lignes, économie graphique, ergonomie du tracé, lisibilité, etc.

Les alphabets d’origine indienne sont ordonnés selon des conventions qui répondent à une logique phonétique partant des sons émis avec la gorge pour finir avec les dentales. Cette logique alphabétique phonétique se retrouve sur tout le continent indien, au Japon pour ordonner les katakana et les iragana, et en Corée pour les caractères sino-coréens163. Enfin

pour terminer ce tour d’horizon de ce qu’une culture linguistique considère comme ordre de base, il faut souligner, que les cultures idéographiques (Chine, Japon, Corée) ordonnent leurs

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L’alphabet tifinagh, l’écriture touareg et berbère, présente la particularité de s’être écrit, à des époques historiques, dans toutes ces directions. Cf : FEVRIER (James), Histoire de l’écriture, Paris, éd. Payot & Rivages,

1948, rééd. 1995.

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idéogrammes selon l’ordre conventionnel des clefs subdivisées ensuite par le nombre de traits associés à la clef de base.

L’utilité de l’ordre alphabétique ou de ce qui en tient lieu est un paradigme important de l’activité informationnelle. Les fichiers informatiques, les encyclopédies, les dictionnaires, de nombreux catalogues suivent l’ordre alphabétique et là encore la diversité est de règle. L’écriture latine connaît plusieurs ordres alphabétiques dans différentes langues disposant de lettres ou de signes diacritiques spécifiques, les scandinaves, par exemple, renvoient le E dans l’A (Æ) à la fin de l’alphabet, les Espagnols regroupaient à la fin de la lettre N toutes les occurrences du N avec tilde (Ñ), mais ils ont changé de convention et banalisent maintenant tout les N avec ou sans tilde.

En bref, il existe plusieurs conventions alphabétiques, plus ou moins applicables au niveau international, selon différents points de vue : bibliothèconomique, lexicographique, de celui de la gestion d’un fichier de patronymes (annuaire), des bases de données ou de celui des fabricants de dictionnaires. Certaines conventions permettent de modifier localement la forme d’une écriture, son style, pour rendre possible la lecture d’un texte à plusieurs niveaux. Ainsi en écriture latine, grecque ou cyrillique, il nous apparaît naturel de distinguer l’italique, du souligné ou du caractère gras ; ces conventions perdent toute signification dans d’autres cultures et d’autres systèmes d’écritures, mais les équivalents inter-scripturaux de cette utile diversité, s’ils sont bien connus au niveau calligraphique164 ou philologique, sont peu ou pas

étudiés dans une optique communicationnelle transculturelle.

Pour la première fois nous disposons d’une méthode univoque de description et de catalogage des éléments atomiques de l’écriture (les caractères). C’est le cadre général d’un espace trans- scriptural universel conforme à la norme ISO/IEC10646.

À partir de cet ordre nous avons la possibilité de construire un savoir qui sera la base théorique primordiale d’une grammaire du multilinguisme du XXIe siècle. Comme tout savoir il ne peut être le seul catalogue des éléments, il doit être nourri conceptuellement d’une masse importante de règles et de faits qui constituent tout savoir et toute expertise. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui est cependant à notre portée technique et intellectuelle. Ce

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En arabe par exemple on distingue traditionnellement un certain nombre de styles d’écriture : Kufi : style utilisé pour la décoration architecturale ; nashi : le style le plus employé aujourd’hui dans l’édition ; tuluti : le mot signifie “un tiers” ; les courbes représentent le tiers de la ligne écrite ; c’est un style utilisé pour les titres, les têtes de chapitre, les inscriptions calligraphiées ; ruqai : le style de l’administration ottomane pour écrire des missives (actuellement employé pour la correspondance, les gros titres de journaux et la publicité) ; magribi : un style autrefois utilisé dans les pays du Maghreb, en Espagne musulmane et au Soudan ; c’est à partir du style magribi que les arabes occidentaux ont créé les chiffres gubar (mot signifiant poussière en référence aux abaques à poussière). Ce sont ces chiffres qui ont été transmis en Europe pour donner nos chiffres arabes. Cf. : ZGHIBI (Rachid), L’écriture arabe et sa codification : de l’ASMO-449 à l’ISO/IEC-10646 et Unicode , Mémoire

de DEA de l’Université de Paris 8, 1999. Et pour les chiffres cf. : IFRAH (Georges), Histoire universelle des

chiffres, l’intelligence des hommes racontée par les nombres et le calcul, Paris, ed. Robert Laffont, 1994, tome II pp. 199 à 340.

chantier a déjà été entrepris par les gros industriels de l’informatique confrontés à la nécessité de concevoir des traitements de texte, non seulement dans la diversité des caractères des écritures du monde entier, mais aussi dans la diversité de leurs grammaires d’écriture qui ne peuvent fonctionner que si a déjà été développé un environnement informatique ad hoc.

2.3.Faire écrire un ordinateur selon les règles pour partie non écrites de la grammaire