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Les noms propres se référant à des personnages considérés comme des marabouts

CHAPITRE V / ANTHROPONYMES DANS LES PROVERBE LIBYENS

5.2. Les noms propres se référant à des personnages considérés comme des marabouts

5.2.1-Abdilsalam

ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ [`abdilsalām]

Transcription phonétique Proverbe

17 [sā`id sīdak `abdilsalām biḥbīl] ْﻞﯿﺒ ْﺤِﺑ ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ ْكَﺪﯿﺳْﺪِﻋﺎَﺳ

18 [lā yamdaḥ lā īqūl yāsīdī

`abdilsalām]

يﺪﯿﺳﺎﯾ ْلﻮﻘْﯾ ﻻ ْحَﺪْﻤَﯾ ﻻ مﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ

19 [yaḍḥak `abdilsalām ū`bātah rāīḥah] ﺔَﺤْﯾارْﮫَﺗﺎَﺒْﻋو ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ ْﻚَﺤْﻀَﯾ Tableau 12 : Proverbes contenant le nom propre : Abdelsalam

Le prénom ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ [`abdilsalām] est l’un des prénoms arabes formés à partir du préfixe ﺪْﺒَﻋ [`abd] qui dérive d’un verbe signifiant « adorer » ou « vénérer ». Il compose souvent un prénom en étant associé à l’un des mots désignant les 99 attributs29 de Dieu. Ici, ْمﻼَﺴْﻟا [ilsalām] pourrait désigner « la paix », terme utilisé en arabe pour saluer. En effet, ﻢﻜﯿﻠﻋمﻼﺴﻟا [as-salāmu `alīkum] est une expression de salutation portant le souhait de la paix et de la sécurité à celui à qui l’on s’adresse.

Avant d’en venir à l’interprétation des proverbes contenant ce prénom, il est à signaler que tout prénom précédé du mot يﺪﯿﺳ [sīdī] se réfère souvent au mot « cheikh » ou « marabout », comme c’est le cas dans le proverbe (17 et 18). De ce fait, il nous semble nécessaire d’illustrer cette tradition pour pouvoir interpréter correctement cet emploi.

Le cheikh Abdilsalam était un marabout connu dans la ville de ﻦﺘﯿﻟز (Zliten), située à l’est de Tripoli. Né en 1475 dans cette même ville, deux ans avant la mort de son père, il fut élevé par son oncle qui s’est occupé de lui et l’a fait entrer à l’école où il a appris les sciences coraniques et est devenu l’un des savants les plus célèbres d’Afrique du nord. Il a fondé ce qu’on appelle la ﺔﯾواز ou « zaouïa30

» pour enseigner le Coran et les sciences islamiques. Il mourut en 1573 dans sa ville natale où il repose aujourd’hui.

Selon la tradition populaire, le cheikh « marabout » était un personnage à qui l’on prêtait des pouvoirs qui le rendaient capable de rétablir la santé et l’ordre social. De telles croyances poussaient les gens à venir lui rendre visite, et à lui demander de résoudre leurs problèmes. Les fidèles « croyants » organisaient également des cérémonies à la ﺔﯾواز « zaouïa », au sein desquelles des groupes appelés ﺔﻔﺋﺎﻄﻟا [al-ṭāi'ifah] (au pluriel : ﻒﺋاﻮط [ṭawāi'if]) chantaient des chants religieux ﺢﯾﺪﻣ [madih] « dhikr31

».

Cette tradition populaire se pratique à l’endroit où le marabout (ou cheikh) est enterré, et consiste à lui rendre visite et à lui présenter un témoignage de fidélité. En effet, selon les traditions, implorer l’aide des marabouts ne se faisait pas forcément en étant présent devant la tombe dudit marabout, car les « croyants » l’appelaient à tout moment dès lors qu’ils avaient besoin d’empêcher une mauvaise action ou un malheur d’advenir. En ce cas, il suffisait, par exemple, de dire مﻼﺴﻟاﺪﺒﻋ يﺪﯿﺳﺎﯾ [yāsīdī `abdilsalām] comme sorte d’appel au secours. Quel que soit le résultat obtenu, les croyants restaient toujours fidèles à ce marabout.

30 Une zaouïa, également orthographiée zaouiya, zawiya ou zawiyah (ﺔﯾواز), est un édifice religieux

musulman. C'est dans un lieu de culte, la zaouïa, que se réunissent des milliers de fidèles chaque année. 31

« Dhikr » est une tradition religieuse pratiquée collectivement. On y entonne des chants, en s’accompagnant souvent d’instruments de musique, notamment lors des cérémonies de confréries religieuses.

ْﻞﯿﺒ ْﺤِﺑ ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ ْكَﺪﯿﺳ ْﺪِﻋﺎَﺳ

[sā`id sīdak `abdilsalām biḥbīl]

Littéralement, ce proverbe peut être traduit comme signifiant : « Aide le cheikh

Abdilsalam par un cordon », ce qui pourrait signifier la même chose que le proverbe

français : « Aide-toi, le ciel t’aidera. » La moralité serait donc : « Avant d’appeler Dieu, il faut savoir fournir les efforts nécessaires. »

Le nom ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ [`abdilsalām] employé dans ce proverbe et précédé du préfixe يﺪﯿﺳ [sīdī], permet de confirmer que ce nom propre se réfère à un cheikh ou marabout comme indiqué précédemment. Le sens phrastique suppose que ce personnage ait le pouvoir d’aider les autres, à condition que les bénéficiaires participent de cette action bienfaitrice, par un minimum d’efforts fournis. Cet effort étant désigné par le mot ْﻞﯿﺒ ْﺣ [ḥbīl] qui veut dire « cordon ». Remarquons que c’est l’aspect référentiel du nom propre tel qu’employé dans la croyance populaire qui joue un rôle central dans ce proverbe. C’est-à-dire que ce nom propre garde, dans ce proverbe, sa fonction d’individualisation en se référant précisément à une personne connue comme étant un marabout pour indiquer que cette personne (ou soi-même) est capable d’en aider une autre, mais à condition que celle-ci réagisse positivement aux conseils qui lui seront donnés.

[sā `id sī dak `ab dil sa lām bi ḥbīl

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Au plan linguistique, ce proverbe formé d’une phrase dite verbale simple, composée de dix syllabes, ne comprend aucune cohérence rimique. Ce qui exclut, dans ce proverbe, la raison formelle de l’emploi du nom propre en question.

ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ يﺪﯿﺳﺎﯾ ْلﻮﻘْﯾ ﻻ ْحَﺪْﻤَﯾ ﻻ

[lā yamdaḥ lā īqūl yāsīdī `abdilsalām]

Comme dans le proverbe précédent (11), le préfixe يﺪﯿﺳ [sīdī] est présent dans ce proverbe. Le nom ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ [`abdilsalām] employé ici, se réfère donc au même personnage. Ce proverbe peut être traduit littéralement par : « Il ne remercie ni ne dit : Ô Sidi

Abdilsalam », ce qui pourrait être compris comme une sorte de description de l’état d’une personne totalement inactive. La moralité est donc de conseiller de faire un minimum d’efforts afin de mieux agir avec les autres.

Au niveau sémantique, le proverbe propose deux solutions très faciles pour obtenir l’aide des autres. Comme sens phrastique, il pourrait signifier que, pour avoir de l’aide de « Sidi Abdilsalām », il faut au mois l’appeler ou bien le remercier en reconnaissant ses bienfaits. Ainsi, le nom propre ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ [`abdilsalām] désignerait toute personne dont on a besoin. En revanche, la forme négative montre qu’il y des personnes qui ne font aucun effort et attendent l’aide des autres.

lā yam daḥ lā ī qūl yā sī dī `ab dil sa lām

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

Sur le plan linguistique, ce proverbe est une phrase de forme simple comprenant 13 syllabes ne contenant aucune rime. Cela explique que le nom propre employé n’ait pas d’effet métrique qui pourrait participer du sens de la phrase. Ici, seul l’aspect référentiel compte pour expliquer le proverbe.

ﺔَﺤْﯾار ْﮫَﺗﺎَﺒْﻋو ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ ْﻚَﺤ ْﻀَﯾ

[yaḍḥak `abdilsalām ū`bātah rāīḥah]

Littéralement, ce proverbe pourrait être traduit par l’expression : « Abdilsalam est en

train de rire alors que son manteau32 est perdu ». Il s’emploie pour se moquer de

quelqu’un dont la réaction est bizarre et ne comprend pas le malheur qui lui arrive. En d’autres termes, le proverbe porte un conseil, celui de traiter sérieusement les problèmes que nous rencontrons et de donner à chaque sujet l’importance qu’il mérite.

Concernant le nom propre employé et contrairement aux deux derniers proverbes (17 et 18), nous voyons ici que ce nom propre n’est pas précédé du préfixe يﺪﯿﺳ [sīdī]. Cela confirme qu’il ne se réfère pas au même personnage. De fait, il nous semble que ce nom est ici employé sans connotation. À moins que ce proverbe n’ait pris place dans un récit

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Nous utilisons le terme « manteau » pour désigner l’habit traditionnel en Libye. Il est constitué d’un morceau de tissu que les Grecs portaient, le « chlamyde grec ». Cet habit était l’objet de première nécessité que toute personne même pauvre devait posséder. Il est ainsi l’objet empblématique que l’on puisse garder.

dans lequel, l’énoncé proverbial aurait été formulé ainsi, à la base. Mais malheureusement, nous l’avons pu trouver l’origine de ce proverbe, lequel ne nous indique aucunement s’il se réfère ou non à un personnage réel. La possibilité la plus forte est que ce nom propre pourrait être employé pour désigne n’importe quelle personne.

Sur le plan sémantique, le mot ْمﻼَﺴْﻟا [ilsalām] fait partie des composants du nom propre en question. En cela, son emploi pourrait, en lui-même, donner son sens au proverbe. Comme nous l’avons déjà présenté, ce mot est l’un des noms de Dieu et pourrait être traduit littéralement comme « la paix ». D’autre part, la situation consistant à perdre

son manteau et la réaction consistant à êtreen train de rire, sont en contradiction.

En effet, le fait d’avoir perdu son manteau suppose que la personne soit en colère, comme réaction naturelle et logique. Mais être en train de rire pourrait refléter que la personne est en situation de sécurité et de paix. Ainsi, il nous semble que c’est le sens lexical du nom propre ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ [`abdilsalām] qui marque le sens véritable du proverbe : la paix intérieure relativise les malheurs subis.

yaḍ ḥak `ab dil sa lām ū `bā tah rāī ḥah

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Sur le plan linguistique, ce proverbe est de structure binaire, composée de (11) syllabes. La première phrase, qui contient le nom propre ْمﻼَﺴْﻟاِﺪْﺒَﻋ [`abdilsalām] présenté comme sujet, décrit l’état de ce sujet « en train de rire ». La deuxième phrase décrit l’état de son manteau « perdu ». Comme nous le remarquons, il n’y a pas de rime dans ce proverbe, ce qui renforce l’hypothèse selon laquelle l’emploi de ce nom propre dans ce proverbe pourrait servir d’objectifs sémantiques.

5.2.2- Abouajaila

ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑ [bū`jīlah]

Transcription phonétique Proverbe

20 [kī ḍnā bū`jīlah al-lī īnūḍ minhum yaqṭa` al-tāb`ah] ْﻢُﮭْﻨِﻣ ْضﻮﻨْﯾﻲﻠْﻟاﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑﺎﻨ ْﺿﻲِﻛ ﺔَﻌْﺑﺎﺘْﻟا ْﻊَﻄْﻘَﯾ Tableau 13 : Proverbes contenant le nom propre : Abouajaila

Le nom ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑ [bū`jīlah] ou ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑأ [abū`jīlah] est un nom d’origine arabe. Il est formé du préfixe ﻮﺑأ [abū] et d’un prénom ordinaire pour signifier « le père ». Dans ce cas, le nom est lié à l’un(e) des fils ou à l’une des filles de ce dernier. Par exemple : نﺎﯿﻔﺳﻮﺑأ ['abū sfyān], ﺔﻤِطﺎﻓﻮﺑأ ['abū fatima], لﻼَﺟﻮﺑأ ['abū jalāl].

Mais, quand il est suivi d’un nom commun, il signifie « la personne ayant .... » : une expression qui permet d’identifier la personne ayant un caractère qui lui est propre. En effet, le terme سارﻮﺑأ ['abū rās] désigne la personne qui se caractérise par « sa tête », ﻞﺠﻨﻣﻮﺑأ ['abū mnjl] pour désigner la personne dont le métier se fait avec « la serpe », tandis que ﺔﻨﯿﻨﺳﻮﺑأ ['abū snīnah] désigne la personne caractérisée par « ses dents ». En effet, certains parents ont donné à leur enfant, comme prénom, un nom composé. Quant au nom propre ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑ [bū`jīlah] ou ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑأ [abū`jīlah], il est composé de deux mots dont le deuxième ﺔَﻠﯿِﺠْﻋ [`jīlah] pourrait avoir plusieurs significations :

ﺔَﻠﯿِﺠْﻋ [`jīlah] : est le diminutif du mot ﺔَﻠ ْﺠِﻋ [`jīlah] et pourrait signifier le petit de la vache.

ﺔَﻠﯿِﺠْﻋ [`jīlah] est le diminutif du mot ﺔَﻠَﺠَﻋ [`jalah] et pourrait signifier la roue. ﺔَﻠﯿِﺠْﻋ [`jīlah] est le diminutif du mot ﺔَﻠَﺠَﻋ [`jalah] et pourrait signifier l’urgence. En effet, l’interprétation du proverbe en question indique que le nom propre employé se réfère sans aucun doute possible au « marabout » ou cheikh ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑ [bū`jīlah] qui existait dans une ville dont l’appellation pourrait être dérivée de son propre nom «تﻼﯿﺠﻌﻟا [al-`ajīlāt] 33

».

Le cheikh ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑ [bū`jīlah] connu sous ce nom, avait en réalité comme véritable

nom يرﺎﺼﻧ ْﻷا تﺎﻛَﺮَﺣ ْﺪﱠﻤَﺤُﻣ[muḥammad ḥarakāt al-'anṣārī]. Ce personnage était un sujet

obéissant à Dieu et connu pour sa générosité. Selon les légendes, il était pauvre et ne possédait qu’une petite vache qu’il avait égorgée lors de la réception de convives pour leur donner à manger. Ce petit bovin « ﺔَﻠﯿِﺠْﻋ [`jīlah] » était, selon ces mêmes légendes, à l’origine de son nom ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑ [bū`jīlah]. Selon la croyance populaire, ce marabout avait le

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pouvoir de « barrer la malchance ». C’est pour cela qu’après sa mort, les gens vinrent sur sa tombe pour mettre fin à la malchance.

ﺔَﻌْﺑﺎﺘْﻟا ْﻊَﻄْﻘَﯾ ْﻢُﮭْﻨِﻣ ْضﻮﻨْﯾ ﻲﻠْﻟا ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑ ﺎﻨ ْﺿ ﻲِﻛ

[kī ḍnā bū`jīlah al-lī īnūḍ minhum yaqṭa` al-tāb`ah]

Ce proverbe pourrait être traduit littéralement par : « C’est comme les enfants de

Bouajaila, n’importe lequel peut (barrer le mal) ». Pour illustrer cela, signalons que

pendant la visite de la tombe du cheikh, certaines personnes profitèrent de la situation pour trouver un métier rentable. Ils proposèrent en effet des vestiaires et des rites destinés à « barrer la malchance » pour toute personne intéressée.

La référence faite à cette histoire nous permet de comprendre que ce sont ces « profiteurs » qui sont désignés dans ce proverbe comme étant « les enfants de Bouajaila ». Selon la légende, ces individus font croire aux personnes venues sur la tombe du cheikh, qu’ils ont reçu l’autorisation de ce dernier de mener à bien des rites, alors même que le décès du cheikh remonte à plusieurs siècles. Pourtant, les gens continuent à les croire. De ce fait, l’image métaphorique de ce proverbe sert à décrire la situation de personnes ou groupes de personnes qui, du fait de ne plus avoir de dirigeant (en l’occurrence le cheik), se fient au premier venu sans faire jouer leur sens critique.

Le nom propre ﺔَﻠﯿِﺠْﻋﻮﺑ [bū`jīlah] pourrait être employé alors en tant que référence à une chose réelle mais donnant lieu à l’énoncé d’une image métaphorique très intéressante visant à amener l’auditeur à saisir le message que l’énonciateur veut lui transmettre.

kī / ḍnā bū `jī lah al- lī īnūḍ min hum yaq ṭa` al- tā b`ah

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

Sur le plan linguistique, cette phrase proverbiale est structurée en 15 syllabes. Il s’agit d’un énoncé comparatif commençant par une conjonction de comparaison ﻲِﻛ [kī] « comme ». Dans cette structure, le nom propre employé n’a pas de rôle au niveau formel et ne constitue aucune sorte de rime avec les autres composants de la phrase.

CHAPITRE VI / LES NOMS PROPRES DES MARABOUTS ET DES