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I.5.3.La fonction de séduction

III. La sémiotique, origine et objet

IV.3. La dénomination, acte de dénonciation

IV.3.1. Les noms propres d’origines religieuses

Nous avons recensé 39 personnages désignés par des noms propres. Parmi ces anthroponymes nous avons compté 17 noms propres d’origines religieuses, soit 43.58%. C’est presque la moitié des anthroponymes, ce qui exprime l’importance que donne l’auteur à cette origine dans la trame du roman.

Jalal dit Doc Jalal : Il apparait dès le début du roman. C’est un personnage qui à cause

du « racisme intellectuel » dont il était victime change de camp et devient un pro-jihadiste. Ironiquement, il fut assassiné par les gens qu’il défendait. Son nom signifie « grandeur, majesté » 263

Aicha : est la sœur de Bédouin personnage principal et narrateur. Aicha est le nom de la

fille du Khlalif Abou Bakr et épouse préférée du Prophète. Son nom signifie « vivante »264

Souleyman : fils du ferronnier, c’est un simple d’esprit. Souleyman est le nom du

prophète constructeur du Temple de Jérusalem. Nous avons consacré une partie à l’analyse de ce nom qui signifie « paix ».

Khaled : chauffeur de taxi. Son nom signifie « éternel ; demeurant pour l’éternité au

Paradis »265, C’est le nom de l’ami proche du Prophète, appelé aussi « Le Sabre du

Dieu. »

Bashéer : le nom d’un gaillard. C’est le père de Sayed. Basheer a aussi un surnom « le

Faucon » (laqab en arabe est un nom donné à une personne en plus de son nom.) « Il

peut être honorifique, se rapportant à la religion ou au pouvoir266 »Basheer est un des

SARTRE, J.P, L’imaginaire. Psychologie phénoménologique de l’imagination, Paris, Gallimard, 1940, p.231, cité par JOUVE, Vincent, L’Effet-personnage dans le roman, op.cit., p.40.

263 GEOFFROY, Younes & Néfissa, Le livre des prénoms arabes, Beyrouth. Al-Bouraq, 2000, p. 204.

264 Idem., p. 72.

265 Idem., p.332.

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noms coraniques du Prophète et veut dire : « dont le visage est beau, avenant ; qui

annonce de bonnes nouvelles »267

Omar : ami de Bédouin. Ancien soldat de l’armée irakienne. Son non provient du mot

arabe umr qui veut dire Vie. Egalement, il est le nom l’ami du Prophète et le deuxième Khalif. Ironiquement Omar n’a rien d’une Vie prospère ou même normale, obligé de rentrer à Kafr Karam après la chute de Bagdad, « il vivait très mal la défection de son bataillon , noyant sa honte et son chagrin dans le vin frelaté »( p.48) de retour à Bagdad il est assassiné par Yacine et sa bande.

Yacine : le chef du groupe terroriste, bras droit de Sayed. Originaire de Karf Karam, le

même village de Bédouin. Yacine est le nom de la 36eme sourate du Coran, qui commence par ces deux lettres Ya et Sin. Sourate désigné par le prophète comme étant le « cœur du Coran ».

Bilal : un des jeunes formant le groupe de Yacine. Son nom veut dire « eau,

rafraichissement »268 c’est le nom du premier muezzin de l’islam ; Bilal al-habashi de Habasha l’actuel Ethiopie.

Mike : diminutif de Mikael, qui veut dire « semblable à Dieu » Nous avons consacré

une partie à ce nom dans ce chapitre.

Sayed : un des personnages les plus importants dans le roman, son nom

signifie « maitre, seigneur, qui dirige »269. Sayed est aussi un des noms du Prophète. (Nous avons consacré une partie à ce nom dans ce chapitre)

Haroun: un des jeunes de Kafr Karam. C’est un nom hébreu (Aaron) : Prophète ayant

pour fonction d’être le porte-parole de son frère Moise.

Ibrahim: un des jeunes de Kafr Karam. Nom d’origine herbeuse et veut dire : « père

de la multitude »270

Amr : personnage secondaire, employé de Sayed, son nom veut dire « vie,

longévité »271 nom porté par plusieurs compagnons du Prophète.

267 Idem., p. 178.

268GEOFFROY, Younes & Néfissa, Op.cit., p.304.

269 Idem., p.138.

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Ismail: employé de Sayed. Ismail est le nom du fils d’Ibrahim est signifie « Dieu a

entendu »272

Hassan : un des jeunes de kafr Karam frère de Hossien, membre du groupe de Yacine.

Son nom signifie « beau, bon excellent »273 Hassan est aussi le nom du petit fils du Prophète.

Hossein: frère jumeau de Hassan, est veut dire le diminutif de Hassan. Hossein est aussi

le nom du petit fils du Prophète.

Mohamed: est le nom de deux personnages :

-Le premier est Mohamed Sobhi, syndicaliste irakien enlevé et torturé par le groupe de Sayed avant d’être assassiné.

-Le deuxième est Mohamed Seen, ami de docteur Jalal, un personnage important dans la trame du roman puisqu’il représente avec le caporal Omar les seules voix de la raison dans tout le cercle infernal qui renferme les personnages.

Mohamed veut dire très loué ; «le lieu par excellence de la louange »274.

Ces noms appartiennent au vocabulaire religieux et sont détaillés comme suit : -Noms désignant le Prophète de l’islam : Mohamed, Sayed, Basheer,

-Noms désignant ses femmes ou ses compagnons : Aicha, Bilal, Omar, Amr, Khaled, Hassan, Hussein.

-Noms désignant les autres Prophètes bibliques : Ibrahim, Souleyman, Haroun, Ismail. -Noms désignant Dieu ou ses anges (théophores) : Jalal, Yacine, Mike.

L’inscription de la dénomination des personnages, les plus importants, dans le vocabulaire religieux est très significative. En effet, à l’exception du nom du personnage principal, « Bédouin », les autres personnages, d’origines profanes occupent des rôles secondaires. Le nombre d’occurrence des noms propres d’origines religieuses est le plus

271 Idem., p.328.

272 Idem., p. 53.

273 Idem., p 74.

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élevé ; Sayed apparait (138), Yacine (129), Omar(100). À travers le choix de ces noms, l’auteur dénonce l’exploitation des textes sacrés pour justifier des actes terroristes inhumains. L’inscription du terrorisme et la lutte contre le terrorisme dans le religieux risque de déclencher « une guerre de religions » que l’histoire nous a révélée ses épisodes les plus horribles.

Dans le roman, la fausse représentation de l’autre, et l’exploitation de la religion prennent des formes diverses selon les situations de communications et selon le niveau intellectuel des interlocuteurs. Ainsi dans la dispute entre le barbu Haroun et Malik, ce dernier affiche une critique acerbe à l’interprétation naïve des versets coraniques. Lorsque Haroun surnommé le barbu (un surnom qui évoque les jeunes islamistes conservateurs) parlait des oiseaux d’Ababill qui viennent à la rescousse des victimes civils de Fellouja, la réponse est venue vite de Malik « foutaises ».

Dans cette discussion Malik affiche un esprit cartésien, refusant d’inscrire les opérations militaires de Fellouja dans la métaphysique. Il ajoutait « Je ne vois pas le rapport avec ce qui se passe à Fellouja » et poursuit « ce que je vois, sur cet écran, c’est une ville assiégée, des musulmans sous les décombres, des rescapés à la merci d’une roquette ou d’un missile, et tout autour, des brutes sans foi ni loi en train de nous marcher dessus dans notre propre pays. Et toi, tu nous parle d’oiseaux d’Ababill. Tu mesures un peu le ridicule ? »(p.87)

Haroun, à l’opposé de Malik, longtemps endoctriné par un discours religieux archaïque, qui forme sa conception et lui permet de se positionner en tant que défenseur d’une sainte cause, ne peut accepter l’attitude de son ami. Il croit que Malik est « touché

du diable », mais très sûr de ces repères, Malik renchérit « dès que tu perds pieds, tu fais porter chapeau au diable. Réveille-toi Haroun. Les oiseaux d’Ababill sont morts avec les dinosaures, Nous sommes à l’aube du troisième millénaire, et des salopards venus d’ailleurs sont en train de nous trainer dans la boue »…

Pour Malik les civils de Fellouja et de tous l’Irak sont des innocentes victimes d’une campagne militaire sans foi ni lois. C’est pour cela il se demande pourquoi Dieu n’intervient pas ? Les habitants de Fellouja sont victimes comme ils furent ceux de la Mecque. Faut-il attendre les Oiseaux dont parle Haroun ou vaut mieux faire quelque

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chose avant qu’il ne soit trop tard. « Pourquoi ne bouge-t-il pas le doigt pendant que ces

fumiers bombardait nos souks, et nos fêtes, abattent nos gens comme des chiens à chaque coin de la rue ? Où sont donc passés Ses oiseaux d’Ababill qui réduisirent en pâture les armas ennemies de naguère fonçant sur les terres bénies à dos d’éléphants ? » ( p.88)

Pour Malik, les Irakiens sont laissés à leur sort et doivent trouver la solution par leurs propres moyens. Il renchérit : « je viens de Bagdad, mon cher Haroun. Je

t’épargne les détails. Nous sommes seuls au monde. Nous devons compter que sur nous-mêmes. Aucun renfort ne nous viendra du ciel, aucun miracle ne nous tiendra la perche … Dieu à d’autres chats à fouetter »(p.88)

Certes, les propos de Malik « le blasphémateur » sont choquants dans une société où la religion constitue le premier concept auquel se collent tous les autres sous-concepts. La religion dans les sociétés orientales détermine la façon de voir et de comprendre le monde. Mais, ces propos témoignent du désespoir des Irakiens et de l’amertume qui comble le cœur des jeunes qui voient leurs villes détruites, leurs familles et voisins mourir. Egalement, ils témoignent d’une critique non du texte sacré mais de la manière de l’interpréter.

La vive discussion entre Malik et Haroun est un appel à la réflexion, à la critique de toute une manière de penser. Par les tours de parole des deux personnages l’auteur éveille la conscience et incite à la réflexion pour réviser une vision difformée de l’Islam devenue sacrée et indiscutable. Le nom de Malik signifie « qui tient en ses mains275 » veut combattre les auteurs du crime contre la population civile par « ses main » et ne compte plus sur le surnaturel.

A travers l’onomastique Yasmina Khadra dénonce deux manières contradictoires de penser ; la manière du blasphémateur Malik et la manière des nouveaux derviches tel Haroun et appel à un compromis. Ironiquement, les deux jeunes perdent leurs vies dans un Irak où la mort n’épargne ni croyant ni athée.

De l’inventaire des noms propres d’origine religieuse, deux catégories de noms propres s’imposent : la première est celle des prénoms renvoyant à la religion

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Musulmane ou vaut mieux dire la culture arabo-musulmane tels ; Bilal, Sayed, Yacine, Mohamed, Hassan, Hossein, Bashéer, Khaled, Ismail ; la deuxième catégorie est celle des noms propres appartenant à la culture Judéo-chrétienne comme : Mike, Haroun, Souleyman, Ibrahim. Cette nomination « religieuse », dans la sémiotique du roman, limite la marge de liberté des personnages. En effet, il apparait que ces personnages suivent un parcours qui leur ait été établi. Pour la plupart d’entre eux, le nom propre conditionne la vocation des personnages et les oblige à suivre un modèle qui trouve sa justification dans le nom lui-même.

Les deux catégories auxquelles se rapportent les noms de ces personnages évoquent aussi l’affrontement entre les deux cultures. Un duel qui prend une forme onomastique (voir la partie consacrée à l’opposition onomastique).

Dans Les Sirènes de Bagdad, Yasmina Khadra affiche aussi « une condamnation

des structures sociales passéistes, réactionnaires qui entravent la marche de la société.276 » En effet, à travers le sort du Bédouin il y a une critique des lois ancestrales qui n’ont pas permis au Bédouin de dépasser un affront accidentel pour payer sa vie et « faucher celles des autres ». Pour ce qui est du Bédouin, il a pu échapper au sort qu’on lui avait dressé, même s’il a payé sa vie. Il avait la chance de rencontrer Omar, Mohamed Seen, Dr Jalal, mais les autres jeunes Bédouins (dans les pays Arabo-musulmans, actuellement dans le monde entier), victimes de la propagande terroristes et l’endoctrinement, ils n’ont aucune chance.