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Le niveau de sécurité du transport aérien : stabilisé sur un plateau

Chapitre 3. Le transport aérien mondial : un système sociotechnique ultra sûr

3.1 Le niveau de sécurité du transport aérien : stabilisé sur un plateau

Les progrès technologiques dans le design des avions, des matériels et des processus de fabrication ont significativement réduit le taux d’accidents entre 1959 et 1970 (Figure 14), alors que ceux attribués aux performances humaines n'ont pas connu le même taux de changement (Hart, 2004). Deux directions ont été suivies : 1. Améliorer la technique pour réduire la fréquence des pannes, puis pour empêcher le survenue d’erreurs humaines ; 2. Développer le retour d’expérience pour mieux estimer le risque de défaillance et prendre des mesures pour que les défaillances observées ne se reproduisent plus (Amalberti, 2001). Dans les années 80, les automatismes et les systèmes d’aide ont envahi les postes de pilotage, chassant de la sorte le troisième homme : l’officier mécanicien navigant (OMN) remplacé par quelques boîtes… L’avion n’a pas échappé au règne de la technologie : systèmes de diagnostics automatiques, interactions multiples et dialogues entre systèmes et sous-systèmes. Ceux-ci présentent de vastes interactions avec l’homme qui doit exercer différentes tâches : surveillance, pilotage, exploitation de dispositifs complexes et maintenance.

Figure 14. Nombre global de décès de passagers par 100 millions de milles parcourus, opérations de transport commercial régulier (EASA, 2009)

Avec un taux de 75% des causes d’accidents imputables aux facteurs humains, l’homme est devenu l’élément de non fiabilité et l’objet de nombreuses recherches. Ainsi les accidents causés par des défaillances structurales ou des problèmes de design avion ont disparu pour faire émerger les « Controlled Flight Into Terrain – CFIT ». Ce terme a été inventé par les ingénieurs de Boeing dans les années 70. Il s’applique aux accidents dont l’avion qui est apte au vol et sous le contrôle de l’équipage, vient percuter le sol, une montagne, l’eau ou un obstacle. En 2008, les CFIT étaient les accidents aériens les plus meurtriers (DGAC rapport sur la sécurité aérienne, 2008).

3.1.2 Le plateau de sécurité

Depuis les années 80, le niveau de sécurité ne progresse plus et stagne sur le chiffre magique de 0,3 accident par millions de mouvements. De 1990 à 2003, le trafic de passagers a augmenté en moyenne de 2,7 % par an en nombre de passagers et de 2,8 % par an en nombre de vols. Entre 2002-2007, le nombre d’avions commerciaux a progressé de 16% (875) aux Etats Unis et de 27% pour le reste du monde (IATA, 2007). En 2009, le transport aérien a confirmé sa qualité de mode de transport très sûr. Le nombre d’accidents mortels de passagers survenus dans le monde en 2009 en services réguliers a été égal à 8. Le nombre de passagers tués dans ces accidents (579) a néanmoins augmenté de plus d’un tiers comparé à 2008. Quels que soient les ratios utilisés (0,3 accident mortel de passagers par million de vols ou 0,14 passager tué par milliard de Passagers Kilomètre Transporté), ces données font du transport aérien un système ultra sûr (DGAC rapport sur la sécurité aérienne, 2010).

Avec le même niveau de sécurité depuis 30 ans, cette augmentation du nombre de mouvements des avions commerciaux implique-t-elle un accroissement du nombre d’accidents ? L’expansion croissante du transport aérien ne s’est pas accompagnée d’une augmentation du nombre d’accidents. En 1996, les responsables de Boeing prévoyaient que « Si le taux d’accidents restait constant par rapport au niveau de 1996, … la croissance prévue du trafic pourrait conduire à un accident grave chaque semaine d’ici 2015 » (Mineta, 1997). Ces prédictions peuvent sous-estimer le problème, parce qu’elles supposent que le taux d’accidents est indépendant de la densité du trafic (O’Leary, 2002).

Si l’on considère le nombre de passagers victimes d’un accident mortel par 100 millions de milles parcourus, on constate qu’il a fallu environ 20 ans (de 1948 à 1968) pour permettre de diviser ce chiffre par 10 et passer ainsi de 5 à 0,5. Ce chiffre s’est encore amélioré et a de nouveau pu être divisé par 10 en 1997, soit près de 30 ans plus tard, lorsque le taux est tombé en dessous de 0,05. Pour l’année 2008, on estime que ce taux est tombé à 0,01 passager

victime d’un accident mortel par 100 millions de milles parcourus (EASA rapport sur la sécurité aérienne, 2008).

Ce plateau n’est pas le reflet du niveau de sécurité de chaque région du monde : le taux diffère d’une région à l’autre. L’Afrique et l’Amérique latine/Caraïbes ne présentent pas le même niveau de sécurité que d’autres régions dans le monde (Figure 15). En 2009, les exploitants aériens d’une région du monde – le Moyen-Orient – ont enregistré un nombre d’accidents mortels de passagers très supérieur à leur contribution à l’activité aérienne mondiale, en raison, notamment, de deux accidents ayant impliqué des compagnies iraniennes. La situation de l’Europe au sens de l’OACI (c’est-à-dire Turquie et Etats de l’ex-URSS inclus) apparaît stable par rapport aux années précédentes, avec une part d’accidents mortels en proportion avec sa contribution à l’activité aérienne totale (DGAC rapport sur la sécurité aérienne, 2010). Alors, au-delà de la technique, les efforts menés depuis les années 80 n’ont pas été vains.

Figure 15. Répartition géographique des accidents mortels en services réguliers survenus en 2009 et de l’activité aérienne (Rapport DGAC, 2010)

Au cours des 10 dernières années, le nombre annuel d’accidents mortels de passagers semble suivre une tendance globalement orientée à la baisse, indépendamment des évolutions – croissance ou décroissance – du trafic sur la période (Figure 16). Ces 10 années se composent toutefois de deux périodes successives : une première période de baisse du nombre annuel d’accidents mortels, puis en 2005 une soudaine remontée de leur nombre et, depuis une nouvelle baisse (DGAC rapport sur la sécurité aérienne, 2010).

Figure 16. Évolution du nombre annuel d’accidents mortels en services réguliers dans le monde (Rapport DGAC, 2010)

3.1.3 Caractéristiques de ce système ultra sûr : entre sécurité et performance

Les systèmes ultra sûrs, comme l’aviation commerciale, ont des caractéristiques spécifiques dont la sécurisation tend à devenir politique plutôt qu’un objet scientifique (Amalberti, 2001). Ce système est encadré par un ensemble de règles internationales (OACI, américaines FAA et européennes EASA), nationales (DGAC) et internes (procédures compagnies), ce qui en fait un système ultra-réglementé. Selon Dekker (2003), suivre les règles est un gage de sécurité et ne pas suivre les règles conduit à des situations non sûres. Dans ce système, la sécurité est une priorité principale à tous les niveaux du système et lui-même un objet d’action (Amalberti, 2006). Les accidents sont rares et il est difficile pour ce système d’apprendre de l’accident. De plus, lorsque l’accident se produit, il y a une intolérance du grand public et des familles des victimes au risque résiduel. Ceci a pour conséquence de déplacer l’analyse des causes en une recherche de responsabilités, par des actions en justice et une politique de réparation. Ce système est performant sur le plan commercial malgré une très forte concurrence interne (i.e. Compagnies aériennes à bas coûts - Low cost) et des autres moyens de transports (i.e. en France le rail) et, l’envolée des coûts liée au kérosène. La note en carburant des compagnies aériennes devrait représenter en 2011, 29% des coûts opérationnels totaux, contre 14% en 2003 (IATA Impact du fuel sur les coûts opérationnels, 2011). La performance économique est bonne (+ 36% de passagers en 10 ans) mais le niveau de sécurité reste stable depuis 30 ans ; dans ce contexte les arbitrages se font au profit de la performance commerciale au détriment de la sécurité (Amalberti, 2000).

Ainsi l’aviation civile est un système sociotechnique complexe ultra sûr et ultra réglé, intégré au sein d’un environnement fortement compétitif, où la sécurité est un des buts majeurs, mais pas le seul.

3.2 L’aviation commerciale et le Système de Management de la Sécurité