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Partie 2. Un échange de bons procédés

3. Le nerf de la guerre ?

« Il est recommandé que toute ouverture de section sportive scolaire s'appuie sur un partenariat avec une fédération sportive nationale ou avec ses structures déconcentrées régionalement et localement. Le soutien des collectivités territoriales, mais aussi de partenaires privés, d'instances fédérales ou de clubs sportifs, doit être recherché pour l'attribution d'installations et l'aide au fonctionnement de la structure. Dans ce cas, une convention écrite respectant le cahier des charges doit être signée entre les parties concernées. » (MENJ, 2020)

Une section sportive scolaire a un coût. Il semble que ces moyens financiers soient le point de rencontre entre un établissement scolaire, disposant de moyens déterminés, et un cortège d’acteurs extérieurs comme les clubs sportifs par exemple, apportant une contribution d’ordre divers. Le capital économique mis en jeu est justifié par les conditions énumérées dans les points précédents et sous-tend un processus accru de conversion en capital spécifique. Mais alors une section sportive serait-elle une machine à convertir ? Évidemment, le mécanisme est plus complexe.

Aujourd’hui, dans l’académie de Nantes, le partenariat entre l’institution scolaire et l’institution sportive est obligatoire pour qu’une section sportive scolaire soit reconnue par le rectorat (Académie de Nantes, 2019, p. 1). Pour autant, aucune aide financière n’est proposée de manière systématique pour subvenir aux besoins de la structure. À cette fin, le partenariat avec l’institution dirigeante du football français est indispensable. En effet, leur label « section sportive scolaire » offre aux structures la possibilité de bénéficier d’un accompagnement financier, humain et matériel. Cela permet de ne pas trop puiser dans le budget de fonctionnement de l’établissement et dans la dotation horaire globale. En complément, les collectivités territoriales peuvent

58 s’impliquer dans le fonctionnement des dispositifs. Tandis que dans la ville de Mérignac, « une aide aux sections sportives scolaires » (Honta, 2004, p. 118) est attribuée, le soutien de la collectivité locale se matérialise le plus souvent par « la mise à disposition d’équipements sportifs, de personnels, par l’attribution de subventions pour l’achat de matériel ». Le rattachement à une collectivité territoriale – le département pour les collèges, la région pour les lycées – permet également de bénéficier d’aides de leur part alors que l’ancien découpage en SSL, SSD et SSR permettait de cibler facilement l’organisme administratif référent.

Dans le cas du lycée public Pierre Mendes-France, le fonctionnement étaye les modalités précédentes dans la mesure où la section sportive scolaire est agréée par le rectorat et labellisée par la ligue des Pays-de-la-Loire de football. Elle bénéficie donc d’une « subvention de fonctionnement » par la FFF et le comité régional ainsi que d’une « dotation en équipement » (Ballons et tenues de football) comme le précise Stéphane Arnaud. Pour ce qui est de l’implication de la ville de La Roche-sur-Yon, le lycée fait entrer dans sa répartition des installations EPS, les installations occupées par leurs sections sportives scolaires. Il est d’ailleurs prioritaire pour accéder aux installations qui souhaitées par les enseignants, c’est-à-dire le stade Henry Desgranges et trois lignes d’eau à la piscine Arago. Pour autant, le lycée bénéficie d’un « truc qui existe nulle part ailleurs » (Entretien de Michel Mora, 2019). Michel Mora a toujours été au CA puisque « c’est là que se distribue le pognon [sic] ». Grâce aux rallonges demandées chaque année sur le fond des aides de l’établissement, une « ligne budgétaire de 10 000 € » est débloquée annuellement pour le fonctionnement de l’association sportive mais bénéficie aussi aux élèves de sections sportives.

« Par exemple, il y a un truc qui existe nulle part ailleurs (…). Si on n’avait que nos budgets UNSS on ne pourrait pas fonctionner puisqu’on dépense beaucoup plus. On a une ligne budgétaire de 10 000 € qui est dégagée pour nos fonctionnements (…) pour permettre à nos élèves de participer à toutes les compétitions de niveau national. (…) ce sont essentiellement les sections sportives qui utilisent (…) parce qu’ils ont un bon niveau régional, ils vont être champions d’académie. » (Michel Mora, Entretien du 17 décembre 2019)

59 Dans le cas du lycée privé sous contrat Notre Dame du Roc, les forces en présence sont quelques peu différentes puisque l’académie n’est reconnue ni par l’institution scolaire, ni par l’institution sportive. Son financement doit provenir de sources différentes. Pour cela, le recours à la taxe d’apprentissage a été privilégié. La taxe d’apprentissage permet au lycée « de se financer » (Entretien de Stéphane Arnaud, 2020) et plus précisément d’acheter du matériel pour les formations professionnelles. Ce deal avec les clubs est « très important » pour le lycée : « S’ils nous ramènent les entreprises pour la taxe d’apprentissage, l’établissement aide la structure sportive (…) en fonction de ce que l’on a récupéré » (Entretien de Philippe Sulpice, 2020b). En d’autres termes, la taxe d’apprentissage assure indirectement l’auto-financement de « l’encadrement, [des] frais médicaux, [des] professeurs pour les cours de rattrapage » (Entretien de Stéphane Arnaud, 2020). Les partenaires du club deviennent ainsi partenaires du lycée.

Encadré 1. La taxe d’apprentissage

Sources : service-public.fr ; economie.gouv.fr ; education.gouv.fr

La taxe d'apprentissage est un impôt dû par les entreprises pour financer les dépenses de l'apprentissage et des formations technologiques et professionnelles. Cette taxe solidaire consiste en une participation et une collaboration des entreprises à la formation de leurs futurs employés. Elle est inscrite au code général des impôts (CGI) et au code du travail. Elle est régie par les articles 1599 ter A à 1599 ter C, 1599 ter J et 1599 ter K du code général des impôts (CGI). Les articles L6241-1, L6241-2 et L6241-3 du code du travail en définissent les grands principes. « La nature des dépenses susceptibles d'être financées par les fonds reçus en provenance des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage doit être en rapport avec les besoins spécifiques des formations technologiques et professionnelles pour lesquelles la taxe d'apprentissage est perçue. » (Circulaire n° 2007-031 du 5 février 2007 publiée dans le BOEN n°07 du 15 février 2007)

1- Réforme de 2011-2012

Cette réforme de la taxe d'apprentissage vise à limiter les ressources versées aux universités, et accroître celles dévolues aux formations en alternance classique.

60 La taxe d’apprentissage, qui représente 0,5% de la masse salariale, se décompose en deux branches : le quota (52% de la taxe) qui finance exclusivement l’apprentissage et qui ne peut pas être librement affecté par l’entreprise ; le barème (48% de la taxe) qui peut être librement affecté aux établissements habilités de son choix afin de financer les formations initiales.

2- Réforme de 2014-2015

La taxe d’apprentissage a désormais un taux de 0,68% de la masse salariale à la suite de sa fusion avec la contribution au développement de l’apprentissage (CDA). Le montant total de la taxe due est réparti par l’organisme collecteur en trois branches : la part région (51% de la taxe) versée au Trésor public ; le quota (26% de la taxe) qui finance les centres de formation d’apprentis (CFA) et qui peut être librement affecté par l’entreprise s’il en reste de disponible après versement ; le hors- quota (23% de la taxe) qui peut être librement affecté aux établissements habilités de son choix afin de financer les formations initiales.

3- Réforme de 2018-2019 (en vigueur)

La taxe correspond à 0,68% de la masse salariale de l’année précédente et se décompose en deux branches : une première fraction (87% de la taxe) destinée à l’apprentissage versée à un opérateur de compétences (OPCO, ex-OPCA) ; une seconde fraction (13% de la taxe) finance les formations initiales versée directement aux établissements agréés choisis.

La dernière réforme de la taxe d’apprentissage ne va pas en faveur de l’accord passé entre le club de La RVF et le lycée du Roc. Les possibilités de choix de contribution par les entreprises sont « presque à l’inversion ». « Ce n’est pas une bonne nouvelle » s’inquiète Stéphane Arnaud puisque le montant des contributions peut être moindre et donc remettre en cause l’auto-financement de la structure. Ce dispositif, qui est une « ressource pour le lycée, pour le club aussi » vacillerait alors puisqu’il faudrait financer tout ce qui est en place.

Par conséquent, l’autofinancement du dispositif des sections sportives scolaires est le ciment permettant à deux agents issus de deux mondes différents de s’entendre.

61 Dans le cadre de notre étude, cette condition est plus stable dans une structure reconnue par les institutions dirigeantes mais offre des moyens plus limités. Les ressources dont disposent les établissements nécessitent la mise en place de stratégies d’ouverture sur des partenariats avec le monde sportif. Si ce n’est pas le nerf de la guerre, les ressources pécuniaires se portent garantes de l’osmose entre les acteurs compte tenu des conditions optimales qu’elles peuvent engendrer. Élément déclencheur ou émanation de la mobilisation d’un capital social, le capital économique peut être un facteur régulateur du degré de légitimité engendré par le dispositif des sections sportives scolaires. À l’image de l’incertitude qui découle de la réforme de la taxe d’apprentissage, l’équation qui, jusqu’ici, aura permis de proposer des conditions amplement bénéfiques peut être remise en cause.

4. Conclusion

Au terme de ce cheminement, les formes de coopération plus ou moins tacites entre agents scolaires et agents sportifs invitent à se distancier des « discours unilatéralement dénonciateurs qui, au nom des premiers, [discréditent] sans concession les seconds »13 (Cervera-Marzal, 2015, p. 209). Les sections à horaires

aménagés regroupent les acteurs des mondes scolaire et sportif qui, en temps normal, agissent sur une base commune d’individus mais dans une temporalité cloisonnée.

Les négociations économiques entreprises par les agents des deux partis consolident les apports mutuels occasionnés par l’activité d’une section sportive scolaire. Le poids de l’offre scolaire sur l’image d’un établissement est agrémenté par l’existence de ce dispositif partenarial lié au monde sportif. Dans le même temps, la mouvance de l’espace sportif associatif contraint à la captation d’un contingent d’individus rehaussant la compétitivité du club. Cette collaboration directe au sein de l’espace des SSS est bénéfique en vue de défendre leurs intérêts respectifs, dont l’objectif principal est d’enrichir l’attractivité qui est la leur dans leur espace social hiérarchisé.

C’est selon ce dispositif à deux têtes que les stratégies se construisent et se formalisent. C’est-à-dire que, si l’école s’associe au sport, malgré des différences conceptuelles, c’est parce que cette coopération est bénéfique sur la composition

13 L’idée originelle porte sur le cas des journalistes et des militants d’un collectif de désobéissance civile (Cervera-Marzal, 2015).

62 sociale de sa population ; si l’école est sollicitée par le sport, c’est qu’elle monopolise le public et des instants qu’il convoite ; si le club sportif s’oriente dans un second temps vers le privé, c’est qu’il lui permet de multiplier son aire d’influence et de bénéficier de moyens plus poussés. Le statut privé ou public de l’établissement prend ainsi un poids important dans notre analyse tant le terrain d’enquête est marqué par cette disparité. Et l’existence de ce partenariat est nécessairement à penser dans une relation d’interdépendance entre l’institution scolaire et l’institution sportive.

Néanmoins, ces associations ne doivent pas pour autant « alimenter une interprétation irénique qui occulterait les formes de rivalité entre sport et école »14

(Cervera-Marzal, 2015, p. 209).

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