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La nature et la survie de la personnalité morale au regard de la jurisprudence de la CJCE

Dans le document Le transfert international de siège social (Page 94-99)

transfert international de siège social

SECTION 1 : La survie de la personnalité morale de la société migrante au cours de l’opération

D- La nature et la survie de la personnalité morale au regard de la jurisprudence de la CJCE

106. Depuis l’arrêt Daily Mail138 confirmé par les arrêts Überseering139 et Cartesio 140,

« une société créée en vertu d’un ordre juridique national n’a d’existence qu’au travers de la législation nationale qui en détermine la constitution et le fonctionnement ». Il ressort de ces décisions que l’Etat membre d’origine d’une société est toujours libre de fixer les conditions selon lesquelles une société peut se constituer et se rattacher à son territoire. Ceci avait déjà été constaté par l’Avocat général Darmon au cours des conclusions qu’il avait exposé dans le cadre de l’affaire Daily Mail. Ainsi, il devait conclure que « …le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’un Etat membre impose à une société y étant établie, en raison de son établissement dans un autre Etat membre par transfert dans ce dernier de son administration

137 Point 112 de l’arrêt Cartesio

« En effet, dans ce dernier cas, la faculté, évoquée au point 110 du présent arrêt, loin d’impliquer une quelconque immunité de la législation nationale en matière de constitution et de dissolution de sociétés au regard des règles du traité CE relatives à la liberté d’établissement, ne saurait, en particulier justifier que l’Etat membre de constitution en imposant la dissolution et la liquidation de cette société, empêche celle-ci de se transfomer en une société de droit national de l’autre Etat membre pour autant que ce droit le permette » et

Point 113 de Cartesio

« Un tel obstacle à la transformation efective ‘une telle société sans dissolution et liquidation préalable en une société de droit national de l’Etat membre dans lequel celle-ci souhaite se dépalcer constituerait une restriction à la liberté d’établissement de la société concernée , à moins qu’elle ne soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, est interdite en vertu de l’article 43 CE »

138 Point 19 de l’arrêt Daily Mail 139 Points 67 et 81 de l’arrêt Überseering 140 Point 104 de l’arrêt Cartesio

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centrale, l’apurement de sa situation fiscale au regard de la partie du patrimoine social

concernée par ce transfert et évaluée au jour de celui-ci »141.

107. Dans les développements qui ont précédé, une partie a été consacrée à la nature de la personne morale : devait-elle être considérée comme une réalité ou une fiction ? En tant que réalité, elle préexiste à la reconnaissance de la société en tant que personne morale par l’Etat dont la loi lui est applicable, cette reconnaissance ne conférant à l’entreprise bénéficiaire, que la qualité de sujet de droit. En tant que fiction, une société ne peut exister en dehors du champ d’application du droit de l’Etat qui lui a conféré la personnalité morale, alors conçue comme une création juridique. Elle n’est pas préexistante à la reconnaissance de la société en tant que sujet de droit par la législation de l’Etat où l’entreprise s’est constituée. Il a été établie que le droit positif français fait application de ces deux théories l’une venant compléter l’autre, car la jurisprudence vient compléter les dispositions légales et en préciser le contour. Suite à ce rappel, il convient de considérer la jurisprudence de la CJCE.

108. La Cour européenne déclare qu’une société ne peut avoir d’existence qu’au travers

de la législation nationale qui lui est applicable en tant que lex societatis142. En considération

de ce point développé, il semblerait que la Cour de Luxembourg considère la personnalité morale comme ayant une nature fictive qui ne peut avoir d’existence qu’au travers de l’ordre juridique d’un Etat membre. Ceci s’inscrit dans le cadre d’une interprétation littérale de l’article 48 CE qui considère comme ressortissante européenne, la société constituée en

conformité de la législation d’un Etat membre143. En effet, à la lecture du texte de cet article

141 CJCE, 27 sept 1988, The Queen c. H.M. Treasury and Commissioners oh Inland Revenue, ex parte Daily

Mail and General Trust PLC, Aff 81/87, Rec, page 5504

142 Point 81 de l’arrêt Überseering

143 CJCE, 16 déc 2008, n°C210-06, Cartesio, note Thomas Mastrullo, Gazette du Palais, 24 mars 2009 n°83, page 12

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du Traité, deux éléments se dégagent du premier alinéa144 : un critère de rattachement

permettant de déterminer quelle société relève du domaine d’application du droit communautaire et une règle générale de reconnaissance des sociétés qui entrent dans ce domaine d’application où elles sont assimilées aux ressortissants personnes physiques de l’Union européenne et bénéficient de fait des libertés accordées par le droit communautaire, telle la liberté d’établissement.

109. Cependant l’arrêt Cartesio est venu nuancer cette approche de la personnalité morale d’une société par le droit communautaire. En effet, si une société ressortissante européenne ne peut acquérir la personnalité morale en droit communautaire qu’au travers du filtre des législations nationales des Etats membres, il lui est possible une fois acquise de la conserver dans le cadre d’un transfert international de siège social impliquant un changement de lex

societatis à moins qu’une raison impérieuse d’intérêt général ne l’en empêche145. Cette

opération conduit à écarter les restrictions à l’exercice de la liberté d’établissement d’une société ressortissante européenne si elles ne relèvent pas de l’intérêt général et si l’Etat d’accueil vers lequel la société veut migrer est prêt à la recevoir en la rattachant à son système juridique par un changement de loi applicable. Il est à noter le terme de « transformation

effective »146 utilisé par la CJCE dans le cadre de cette hypothèse de transfert international de

siège social.

110. Cette conception de la personnalité morale qui découle de la jurisprudence de la CJCE se rattache bien à la théorie de la fiction. Cependant il serait possible de croire que le

144 Revue des Sociétés 1999, page 394-395, note Parléani 145 Point 113 de l’arrêt Cartesio

146 Point 113 de l’arrêt Cartesio ; Veronika Korom, « La liberté d’établissement des personnes morales et l’affaire Cartesio : un pas en arrière ? », Lamy Sociétés commerciales 2008, mars 2009, chronique

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maintien de la personnalité morale au cours d’un transfert international de siège social accompagné d’un changement de lex societatis serait une application de la théorie de la réalité. Il n’en est rien. En effet, il faut répondre à la question suivante pour comprendre ce point : pourquoi la CJCE emploie-t-elle l’expression de « transformation effective » pour parler du transfert international de siège social avec changement de lex societatis ? La réponse est simple. Le droit communautaire s’applique dans l’Union Européenne qui constitue un espace juridique sui generis, autonome et cohérent. Par conséquent, il est possible de faire un parallèle entre le transfert international de siège social tel que défini par la CJCE et le transfert de siège social à un niveau national. Le déplacement du siège social d’une société est possible au sein de l’Union Européenne car un changement de lex societatis implique une transformation des statuts d’une société européenne tout comme le déplacement d’un siège social au niveau national implique une transformation des statuts de la société. Dès lors, l’opération conçue comme un simple déplacement au sein d’un espace juridique unitaire et cohérent est possible et doit forcément relever de l’exercice de la liberté d’établissement dont la finalité est de réguler les mouvements et les déplacements des personnes physiques et morales au sein de l’Union Européenne : l’opération devient une modalité d’exercice de la

liberté d’établissement147. Il est aisé alors de concevoir que pour maintenir la personnalité

morale en accord avec l’article 48 CE qui s’applique dans l’espace juridique communautaire, il soit nécessaire de maintenir le rattachement étatique d’une société avec le système juridique d’un Etat membre qui lui conférera la personnalité juridique.

147 CJCE, 16 déc 2008, n°C210-06, Cartesio, note Thomas Mastrullo, Gazette du Palais, 24 mars 2009 n°83, page 12

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111. L’orthodoxie de la décision Cartesio apparaît clairement : cet arrêt respecte à la lettre les articles 48 CE et 43 CE et en fait une application stricte. Dès lors la nature fictive de la personnalité morale mise en œuvre par la jurisprudence de la CJCE conformément aux articles précités est compréhensible et il n’y a pas d’application de la théorie de la réalité de la personnalité morale dans le cadre de l’Union Européenne. Ceci est cohérent avec la jurisprudence de la CJCE et des principes qu’elle a dégagés concernant l’hypothèse d’un transfert de siège social d’une société qui désire passer outre le critère de rattachement choisi par son Etat de constitution. Cette opération ne peut logiquement relever du domaine d’application de la liberté d’établissement car elle rompt le lien entre un Etat membre et la société migrante qui dès lors ne peut plus bénéficier de la personnalité morale qui lui est accordée à raison de ce lien : la société « met en jeu la personnalité juridique et la qualité de société que lui a conférées son pays d’origine ; dès lors, les prérogatives communautaires ne

s’adressent plus à elle »148.

112. En conclusion, la survie de la personnalité morale dans le cadre de l’Union Européenne est possible à condition que l’opération de transfert de siège social implique que l’Etat d’accueil de la société la reconnaisse en tant que personne morale afin que l’entreprise migrante puisse continuer de bénéficier de la personnalité morale dans l’espace juridique européen conformément aux termes de l’article 48 CE. Les restrictions que pourraient poser l’Etat d’origine de la société ne sauraient constituer une restriction à cette opération qu’à partir du moment où elles relèveraient de l’intérêt général. Dès lors, il apparaît que le pouvoir d’intervention de l’Etat de constitution pour contrôler la réalisation d’une opération de

148 CJCE, 16 déc 2008, n°C210-06, Cartesio, note Thomas Mastrullo, Gazette du Palais, 24 mars 2009 n°83, page 12

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transfert de siège devient relatif depuis l’arrêt Cartesio : d’acteur actif dans le cadre d’un transfert sans changement de lex societatis, il devient quasi passif dès qu’un changement de

loi applicable intervient149. Au regard des propos qui viennent d’être développés, il convient

maintenant de s’intéresser à la seconde condition pour déterminante de la possibilité de réaliser un transfert international de siège social : il s’agit de la reconnaissance de la société migrante par son Etat d’accueil.

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