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3. Division nationale et portrait de l’immigration nord-coréenne

3.1 Historique de la division et construction nationale

3.1.3 Nationalisme et identités antagonistes (post-1953)

Après la guerre, le régime de Syngman Rhee devient de plus en plus dictatorial et corrompu. Il sera forcé de partir en 1960 après une révolte étudiante. En 1961, c’est le général Park Chung-Hee qui prendra le pouvoir par la force. De son côté Kim Il-Sung purge systématiquement toute opposition politique et crée un système centralisé qui lui accorde des pouvoirs illimités et génère un formidable culte de la personnalité (Armstrong 2003; Oberdorfer 2001).

Avec une nation à reconstruire, une grande présence militaire américaine sur son territoire et un gouvernement hostile au Nord, la Corée du Sud s’engage dans un processus de mobilisation et de modernisation de la nation. Le processus violent et coercitif de formation sociopolitique et économique intégrera la construction d’un régime anticommuniste et le façonnage de ses citoyens pour qu’ils soient fidèles à la nation (Moon 2005, 2). Pendant les années de dictature de Park, 1961 à 1979, le manque de cohésion sociale des Sud-Coréens a permis à Park l’application de mesures coercitives afin de les former en citoyen modèle et forger leur nouvelle subjectivité politique.

Cette mobilisation s’articule autour du terme kungmin, qui signifie « citoyen consciencieux, pieux », et qui donc, répond docilement à l’appel de la patrie pour la défendre contre l’envahisseur communiste. Les multiples exercices militaires intégrés au système d’éducation en 1961, l’utilisation de média de masse à des fins de propagande, ont servi à la légitimation de l’identité sud-coréenne militarisée et anticommuniste. Ce patriotisme militaire est en lien direct avec la construction d’une nation anticommuniste et la peur constante d’une attaque de la Corée du Nord.

Au départ, le discours militaire est né de la crainte de l’autre, de l’invasion, ce qui sert à soutenir la légitimité du régime anticommuniste de Park. Le discours nationaliste du

kungmin est construit autour de la nation moderne, mais aussi sur les rapports binaires entre

les médias de masse ont joué un rôle primordial dans le remodelage des attitudes, des pensées, des conduites et des mouvements pour venir soutenir l’idéologie anticommuniste nécessaire à la sécurité nationale et au régime politique (Moon 2005, 35). C’est cette crainte perpétuelle de la guerre qui soutient le discours de mobilisation de la nation coréenne face à l’état communiste nord-coréen.

Ce fût Chun Doo-Hwan qui prit le relais en 1980, toujours sans élection libre, mais on observa un assouplissement du régime et des politiques plus centrées sur l’économie et l’assistance sociale. La contestation de l’identité nationale dans les années 1980, pour intégrer des idées d’unification de la péninsule et de démocratisation, a réussi à transformer la « nation coréenne » en reformulant le nationalisme autour de la conception des liens du sang et de la descendance commune d’un ancêtre mythique.

Au Nord, l’identité nationale s’est développée dans un nationalisme organique, défensif, chauviniste, ressemblant à ce que prônaient les nationalistes coréens du début du siècle face au péril de la nation, « la survie nationale dans un environnement international hostile » (Shin 2006, 93). Les principes du socialisme ont été adaptés au nationalisme postcolonial avec un fort ressentiment antiaméricain et antijaponais, créant un socialisme particulier au pouvoir en place. La Corée du Nord développe son régime sur les bases du socialisme, mais aussi du nationalisme et du familialisme, définissant les Nord-Coréens comme une famille, un « organisme sociopolitique » qui partage la même lignée familiale que Kim Il-Sung, qui se veut la figure paternelle de la nation (Cumings 1997, 398-419). La Corée du Nord se rapproche plus d’un royaume néo-confucéen que d’une république socialiste. Pour les Nord-Coréens, le communisme a été un instrument à s’approprier pour leur propre but nationaliste.

L’expérience de guérilla en Mandchourie sous la direction de Kim Il-Sung, constitue le cœur de la mythologie du Juche. L’idéologie Juche a été développée par Kim Il-Sung, s’inspire du communisme et a pour but la réunification de la Corée. Elle repose sur l’indépendance politique, l’autonomie militaire et l’autosuffisance économique ainsi

qu’un nationalisme militant et anti-impérialiste. Le Juche deviendra l’idéologie suprême du pays, dirigeant les politiques, l’économie et la sécurité de la Corée du Nord (Hassig et Oh 2009, 171-193). Le fils du dictateur, Kim Jong-Il, fera son entrée dans les coulisses du pouvoir en 1974 et prendra la tête du pays à la mort de son père en 1994. Il utilisera le terme « kimjungilisme » pour faire référence à l’idéologie de son père et l’élever au rang d’idéologie dominante comme celle du stalinisme et du maoïsme (Shin 2006, 89).

Dans les années 1950 à 1970, l’industrialisation de la Corée du Nord était plus rapide que celle de la Corée du Sud. La chute du bloc socialiste dans les années 80 a fait perdre à la Corée du Nord ses principaux partenaires économiques. Alors que la Chine s’ouvrait, la Corée du Nord a choisi de rester un « royaume ermite » et s’est campée dans un nationalisme hostile (Shin 2006, 95). La situation économique continue de se détériorer après la mort de Kim Il-Sung et les inondations de 1995 affectent 30% du pays, dévastant la production agricole. C’est le début de la Grande famine qui fera plus de 2 millions de morts9 en 3 ans et sera l’événement déclencheur des mouvements migratoires vers la Chine et la Corée du Sud.

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