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3. Division nationale et portrait de l’immigration nord-coréenne

3.3 Devenir citoyen sud-coréen

La constitution sud-coréenne stipule que seul le gouvernement du Sud a l’autorité légitime sur la péninsule. Par conséquent, la Corée du Sud accepte tous les transfuges nord- coréens comme citoyen de la future « Corée unifiée ». En 1993, la propagande anticommuniste est en déclin et le gouvernement adopte la « Loi sur la protection des compatriotes transfuges nord-coréens ». Les nouveaux arrivants nord-coréens ne sont plus perçus comme des héros, mais comme une classe de citoyens pauvres qu’il faut soutenir. Pour tenter de diminuer le flot de nouveaux arrivants, les montants d’argent alloués sont coupés de façon importante et aucun soutien à l’emploi ou à la formation n’est offert. Cette loi devient plutôt une barrière à une intégration adéquate (Korea Institute for National Unification, 2004).

En 1997, la « Loi sur la Protection et l’aide à l’établissement des transfuges nord- coréens » apporte de nouvelles modifications; une aide financière plus généreuse et des mesures pour l’éducation et l’aide à l’emploi. Les Nord-Coréens deviennent des « nouveaux arrivants ». Au cours des années, cette loi fût bonifiée de plusieurs façons, bien qu’elle fût critiquée pour son manque d’incitatifs à amener les Nord-Coréens vers

l’indépendance financière. Les modifications à la loi en 2005 vont tenter de transformer cette nouvelle culture de la dépendance à l’aide sociale chez les migrants nord-coréens. Le nouvel arrivant devra maintenant payer lui-même son logement, il n’aura plus accès aux privilèges d’assistance sociale, l’accès aux programmes d’éducation et de formation sera amélioré. D’autre part, le montant « d’aide à la réinsertion », qui était en moyenne de 36 000 $US les années précédentes, a été fixé à 21 000 $US, versé en 2 à 3 paiements (Kim et Jang 2007, 11; U. S. Committee for Human Rights in North Korea 2006, 60). Le montant est aussi proportionnel au ménage.

En 2007 et 2009, différents amendements ont été apportés afin de mieux soutenir les jeunes avec un programme de mentorat ainsi qu’un programme de support financier pour les nouveaux arrivants désirant s’établir à l’extérieur de la province de Gyonggi (Séoul) ou en région rurale (Corée du Sud. Ministère de l’Unification). La diminution du montant « d’aide à la réinsertion » veut encourager l’indépendance financière et adoucir les relations diplomatiques en n’encourageant pas la défection de la Corée du Nord. Par ailleurs, cette mesure visait à empêcher la « migration à la chaîne », puisque nombre de migrants utilisaient leur soutien financier afin de faire venir des membres de leur famille (Chung 2008; Suh 2002; Yoon et Lim 2007). La répartition du montant en plusieurs paiements était pour réduire le risque de fraudes dont certains étaient victimes et aider à la gestion de l’argent, puisque plusieurs dilapidaient l’ensemble de l’aide financière en quelques mois.

Les modifications de ces politiques représentent le changement dans l’attitude du gouvernement envers les migrants ainsi que de la perception de la société sud-coréenne de ceux-ci. Ils sont passés de héros à réfugiés, de réfugiés à nouveaux arrivants et ils sont maintenant perçus comme des migrants de la classe défavorisée de la société sud-coréenne (Chung 2008; Yoon 2001).

3.3.1 Initiation au capitalisme

À leur arrivée à Séoul, les Nord-Coréens sont accueillis par le gouvernement qui organise une réception pour leur souhaiter la bienvenue, suivie de la visite d’un gratte-ciel, symbole du triomphe capitaliste (Chung 2008, 14). Ils seront ensuite amenés à participer à un rituel important de la société capitaliste, le « shopping ». Par la suite, ils seront en détention et interrogés par le ministère de la Défense pendant quelque temps. La durée de détention dépend des informations pertinentes à divulguer ainsi que de la facilité à vérifier l’identité du réfugié. Après quoi, ils sont envoyés au centre de formation Hanawon. Cette installation a ouvert ses portes en 1999 et a pour but d'enseigner le fonctionnement de la société capitaliste sud-coréenne et faciliter l’intégration économique et politique des Nord- Coréens. Hanawon signifie « une nation unie ». La formation enseignée était de 8 semaines, mais les récentes modifications du gouvernement l’auraient étendue à 12 semaines. Cette institution gouvernementale est complètement fermée au public et les Nord-Coréens y séjournent sans contact avec l’extérieur. Hanawon peut accueillir jusqu’à 400 nouveaux arrivants nord-coréens. En 2001, le centre d’éducation pour les moins de 19 ans, Hanadul (qui signifie « une nation, deux cultures ») a été créé et est maintenant rattaché (depuis 2009) à Hanawon. Cette organisation valorise la culture nord-coréenne par les chansons et danses traditionnelles que pratiquent les jeunes nord-coréens. (Kim 2009; Chung 2008)16. Selon les informations du ministère de l’Unification, les cours à Hanawon se divisent en 4 blocs; 1) 27 heures sur la santé mentale et physique 2) 130 heures de formation à l’emploi et de rencontre avec des conseillers en orientation 3) 90 heures d’éducation sur la démocratie sud-coréenne et l’économie de marché 4) 33 heures pour l’explication du processus d’aide et de soutien à l’insertion sociale. Le gouvernement modifie fréquemment les cours et les intervenants pour tenter de mieux s’adapter au contexte.

16 L’anthropologue Chung Byung-Ho est le fondateur d’Hanadul. En 2002, il a cofondé l’école Evergeen qui

reçoit les jeunes orphelins nord-coréens et propose un support éducatif et social .De plus, en 2003, il a créé Hannuri, une école d’aide aux devoirs et de tutorat pour les jeunes étudiants nord-coréens.

3.3.2 Programmes et soutien à l'intégration

Une fois la formation terminée, les nouveaux arrivants reçoivent leur carte de citoyenneté, un agent leur est assigné pour leur sécurité et pour l’adaptation à la société sud-coréenne 17 et on leur attribue une nouvelle demeure. Toutefois, la carte de résidence émise par le gouvernement contient 4 chiffres indiquant le lieu de naissance. Dans le cas des réfugiés, c’est l’adresse d’Hanawon qui leur sert de lieu de naissance. Ceci permettait de les identifier comme Nord-Coréens et causa un problème majeur lorsque le gouvernement chinois comprit le système et refusa de délivrer des visas de touristes pour les citoyens sud-coréens avec ce numéro (Kim 2009, 140-141). Par contre, depuis 2009, les Nord-Coréens peuvent changer (une seule fois) leur numéro s’il le désire et ainsi éviter une certaine discrimination.

Malgré la diversité sociale des migrants nord-coréens, ils reçoivent tous la même orientation, le même montant de transfert et le même type de logement (Chung 2008, 15; Lankov 2006, 60). L’endroit de résidence est désigné au hasard par les autorités, qui tentent maintenant de relocaliser les migrants à l’extérieur de Séoul, malgré le mécontentement de ces derniers. Les nouveaux arrivants souhaiteraient habiter à Séoul, symbole de la richesse ou encore près de membres de la famille ou amis. Par ailleurs, le problème de la désignation arbitraire de résidence amène un isolement et augmente la solitude des nouveaux arrivants qui peinent à sortir de leur logis (Chung 2008; Yoon et Lim 2007). Il existe depuis quelques années des centres (Hanacenter) qui offrent différents services aux Nord-Coréens, mais ces centres n’exercent pas d’actions concertées et sont critiqués pour leur inefficacité. Le gouvernement fournit un certain support (voir tableau 3), mais pour le reste, les nouveaux arrivants sont laissés à eux-mêmes. L’Association des réfugiés nord- coréens coordonne l’action de 67 ONG qui viennent en aide aux migrants une fois qu’ils

17 Selon le niveau de sécurité à offrir, il peut s’agir d’agents assignés à leur protection pour un minimum de

sont établis pour promouvoir certaines activités sociales, religieuses ou encore des services de formation et de placement.

Tableau 3- Formes de soutien du gouvernement sud-coréen en 2010

Catégories Item Description

Support initial financier 6 M de wons par ménage (5 230$ CAD) Support

d’encouragement

Max. de 21,4 M wons pour formation professionnelle, certification et emploi (18 600$ CAD)

Support financier additionnel

Max. de 15,4 M wons pour personnes âgées, handicapés ou malades chroniques (13 400$ CAD)

Résidence Support pour logis 13,0 M wons par ménage (11 300$ CAD) Formation

professionnelle

Min. de 150 000 wons par mois pendant formation professionnelle (131$CAD)

Support à l’emploi (pour employeurs)

La moitié du salaire mensuel pendant 3 ans (moins de 700 000 wons) (612$ CAD)

Aide à l’emploi 55 centres (Hanacenter) à travers le pays pour la recherche d’emploi et orientation

Allocations gouvernementales

Allocations pour « Niveau de vie minimum »; 380 000 wons/mois (331$ CAD)

Admission spéciale au

collège Admissible à une clause d’admission spéciale Aide financière pour

éducation

Aucun frais administratifs pour l’éducation secondaire et dans les universités publiques, 50% des frais dans les universités privées.

Aide-sociale Support à l’installation

Emploi

Source : « Settlement Support », Ministère de l’Unification, 2010 (1 CAD= 1 145 KRW)

Depuis 2005, la nouvelle politique de protection et de support aux Nord-Coréens est axée sur la caractéristique de « migrant » des nouveaux arrivants, plutôt que celle de « transfuge ». La terminologie juridique pour les désigner a elle aussi été modifiée, selon les différentes relations diplomatiques nord-sud. En 1993, on utilisait le terme

« gwisoonbukhandonpo » qui signifie « compatriote déserteur de la Corée du Nord » pour mettre de l’avant l’unité ethnique de la nation, plutôt que l’honneur des « héros » déserteurs qui était précédemment mis de l’avant. Les modifications législatives de 1997 ont officialisé les termes « échappé du Nord » (talbukcha) et « résident qui s’est échappé de la Corée du Nord » (bukhan it’al chumin) qui sont encore populaires dans le vocable courant, mais ont une connotation négative, car le cha donne un sens péjoratif à l’expression. Le terme officiel depuis quelques années est « nouvel arrivant » (saetomin), qui est jugé neutre. Il est contesté par les Nord-Coréens puisqu’il amenuise le sens politique de leur situation et les dépossède d’une pleine citoyenneté sud-coréenne (Chung 2008, 12; Smith 2005, 172). La question de la terminologie n’est pas seulement une nuance linguistique, mais redéfinit l’identité sociale des migrants pour construire de nouvelles revendications quant à leur statut. La terminologie utilisée n’est qu’une fraction du problème d’intégration des migrants nord-coréens.

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