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Narration, description et segment dédié à l’itinéraire dans récit de voyage

Nous avons montré que le discours du RV est hétérogène, structuré sur une al-ternance entre segments (et/ou séquences textuelles dans le meilleur des cas) ayant pour type fonctionnel le récit de l’itinéraire, la description du réel et le récit fiction-nel. Nous citons à ce propos Magri-Mourgues dans La description dans le récit de voyage[Magri-Mourgues, 1996] :

Le voyageur veut reconstituer un parcours, celui de son itinéraire réel. Comme le voyage a été jalonné par des paysages ou des scènes orientales, le parcours discursif est balisé par des séquences descriptives. Les conséquences de ce parti pris descriptif sont doubles :

– Le récit de voyage suit pour l’essentiel l’ordre chronologique qui reproduit la succession aléatoire et contingente des étapes du voyage référentiel. Les des-criptions sont alors confrontées au danger de l’émiettement, du fragmentaire non motivé et simplement juxtaposé. A ce règne du hasard s’oppose le principe logique du texte de fiction où toute séquence apparaît comme maillon nécessaire d’un schéma narratif d’ensemble, comme serti dans une chaîne de causalité. De fait, une histoire au sens narratif est susceptible d’être résumée puisqu’elle

com-5.7. NARRATION, DESCRIPTION ET SEGMENT DÉDIÉ À L’ITINÉRAIRE DANS RÉCIT DE VOYAGE DU XIXÈME SIÈCLE

porte une situation initiale et une succession d’évènements hiérarchisés qui font aboutir logiquement à une situation finale. Chaque évènement, agencé en vue d’une finalité bien précise et préconçue, a dans ce contexte une fonction princi-pale ou secondaire.

[...] Le résumé d’un récit de voyage ne peut être en définitive que l’énumération des lieux traversés accompagnés des dates qui les inscrivent dans une durée, et il peut se réduire simplement à une carte géographique sur laquelle on au-rait retracé l’itinéraire réel. Les séquences descriptives qui se succèdent ont une égale importance et doivent être placées de front, pareilles aux grains d’un long chapelet qui relierait le début à la fin du voyage.

– De nouvelles relations espace-temps sont instaurées : dans ce type de récit en effet, espace et temps deviennent interchangeables. A chaque date, correspond un lieu, à chaque lieu une date, si bien que n’importe quel fait peut être identifié soit par la mention de la date à laquelle il s’est produit, soit par celle du lieu où il s’est produit. La contiguïté spatiale se mue en proximité temporelle lors du voyage réel et se trouve restituée par la juxtaposition textuelle dans le récit de voyage. C’est là une façon de (re)structurer le réel en lui imposant d’abord l’arbitraire du parcours réel et en lui surimposant ensuite la grille du texte écrit. [...]

On peut en effet déceler des analogies et des récurrences de motifs, ce qui donne une structure profonde au récit de voyage comme pour compenser l’absence de structure apparente inhérente au genre même. Le désert, par exemple, motif-clé du voyage en Orient, se trouve décrit par touches successives, par bribes qui as-surent la cohérence du récit. Mais la seule motivation de l’ordre des séquences descriptives reste celle de l’itinéraire réel du voyageur, promu seul héros de l’aven-ture et dont les déplacements relient les lieux décrits ; dès lors, puisque les des-criptions écrites coïncident avec des étapes de son voyage, on pourrait parler, plutôt que d’une subordination de l’une à l’autre catégorie, d’une équivalence entre description et narration. La description n’est nullement une pause dans le récit[Genette, 1972].

On peut déduire de ces observations ainsi que de notre étude que le récit est majo-ritairement une narration séquentielle des visites des lieux effectuées par le voyageur. La narration permet donc de décrire un itinéraire qui a eu lieu dans le réel. Au sein de cette structure fondamentale, s’incrustent des passages descriptifs, eux aussi cruciaux dans le déroulement de cet itinéraire, et dans le travail littéraire visant à rendre le plus authentique possible le voyage. On peut donc dire que le récit de voyage a une struc-ture fortement contrainte par une chronologie reflétant le réel qui permet de décrire un itinéraire "référentiel", et c’est sur cette état de faits que l’on peut s’appuyer pour extraire l’itinéraire automatiquement d’après le corpus. On peut en déduire aussi une alternance entre narration et description. Mais cela reste à explorer plus en détail. Nous avons vu que très peu d’usages métaphoriques des verbes de déplacement sont présents dans le corpus, ce qui nous permet de nous appuyer sur le verbe en premier lieu pour analyser sémantiquement les déplacements énoncés. Le niveau 3 de la figure 5.2 sera donc privilégié, donnant la granularité nécessaire à la détection des itinéraires, mettant en relief les déplacements et localisations au sein de séquences textuelles diverses.

5.8 Conclusion

Notre portrait du RV a permis de mettre en relief différents points :

– le récit est structuré sur la chronologie globale de l’itinéraire "référentiel" – les séquences textuelles sont donc des récits de l’itinéraire auquel on a greffé des

descriptions du réel et des récit fictifs

– au sein des ces séquences il nous faut ordonner temporellement les segments relatant des déplacements et localisations

– dans la représentation sémantique de ces segments on veut obtenir les informa-tions spatiales

– pour obtenir ces informations sémantiques, une analyse s’appuyant sur la dé-tection des segments correspondant à un ou plusieurs patrons lexico-syntaxiques semble judicieuse dans une partie des cas (entre 63 et 85 % des cas pour le patron de Pierre Loustau [Loustau, 2008] évalué sur une partie du corpus ITIPY), néan-moins, une analyse sémantique à partir de l’analyse syntaxique profonde semble judicieuse pour les expressions des déplacements n’obéissant pas aux patrons proposés.

Par ailleurs, nous avons montré qu’une approche hybride allant de la séquence tex-tuelle au segment et du segment à la séquence textex-tuelle trouverait toute légitimité ici, d’une part pour ne traiter que le récit propre à l’itinéraire, et de l’autre pour repérer les segments isolés.

Ces différents raisons nous ont poussé à approfondir le système de Verkuyl, Binary Tense [Verkuyl, 2008], qui propose une représentation sémantique compositionnelle de la temporalité des éventualités. Ce système a été adapté à la temporalité verbale du français du XIXème siècle et par conséquent du français contemporain comme nous le montrerons dans le chapitre suivant. Cette adaptation a pour être objectif d’être intégrée à GRAIL, notre analyseur syntaxique[Moot, 1999] afin de donner une représentation sémantique fine des éventualités de déplacement et de localisation comme une première étape pour l’extraction d’itinéraires.

Chapitre 6

Adaptation du système Binary

Tense

Nous abordons maintenant l’adaptation du système Binary Tense [Verkuyl, 2008] pour le français du XIXème siècle à nos jours. Afin de cerner au mieux les adaptations nécessaires, nous nous appuyons sur une étude diachronique fine menée sur le français du XIème au XXème siècles par Caudal et Vetters [Caudal et Vetters, 2007]. Nous nous penchons par-ticulièrement sur le cas du passé simple et sa valeur sémantique aoriste, partagée avec le passé composé à ce moment particulier de l’évolution du paradigme sémantique des temps verbaux. Nous introduisons en premier lieu une réflexion sur les valeurs sémantiques des opérateurs PERF et IMP (pour perfect et imperfect) définis comme étant des opérateurs purement temporels et non-aspectuels dans Binary Tense, système à destination de l’analyse de langues d’origine germanique. Nous donnons notre concep-tion de l’interacconcep-tion entre temps, aspect et énonciaconcep-tion au sein du système et confrontons les analyses produites avec des exemples en français. Puis nous proposons une adaptation éclairée du système et de son interpréta-tion pour couvrir les usages de ces deux temps centraux dans le récit de voyage.

6.1 Introduction

Suite à nos travaux sur la structuration du récit de voyage dans le chapitre précé-dent, nous proposons une analyse sémantique temporelle intégrée à Grail en adaptant

le système Binary Tense. En conservant l’atout majeur de ce système, la composi-tionnalité, nous l’adaptons afin de l’appliquer au français du XIXème siècle, l’objectif étant d’automatiser l’analyse sémantique temporelle des segments constituant les ré-cits d’itinéraires dans des réré-cits de voyage. Comme nous l’avons montré dans le cha-pitre précédent, le récit de voyage privilégie une structure chronologique du récit de l’itinéraire sur laquelle il semble pertinent de s’appuyer en vue de l’extraction d’infor-mations temporelles. Néanmoins, il nous faut décrire précisément les différents temps du français utilisés afin d’évaluer la proposition de lexique sémantique de la tempora-lité verbale, Binary Tense au discours auquel on désire l’appliquer. Deux facteurs sont limitant dans ce cas, l’adaptation au français d’un système créé pour des langues d’as-cendance germanique, et d’un point de vue diachronique, la description du paradigme des temps verbaux en français du XIXème siècle au sein de l’histoire de ses évolutions sémantiques.

Nous montrons que l’enjeu majeur de ce paradigme est un usage concurrent du passé composé et du passé simple d’un point de vue aspectuel, qui influence grande-ment la sémantique temporelle. Le point sur lequel nous nous attardons est la distinc-tion entre perfect et aoriste.

Nous donnons en premier lieu une définition de l’aoriste, puis nous confrontons le système à des exemples en français afin de mieux décrire notre point de vue sur l’arti-culation entre temps, aspect et énonciation. Puis nous synthétisons les résultats d’une étude diachronique du français de Caudal et Vetters [Caudal et Vetters, 2007] afin de cerner au sein des évolutions du paradigme temporel verbal les enjeux du XIXème siècle. Par la même occasion, nous montrons que l’état des temps au XIXème siècle a gardé globalement la même sémantique jusqu’à nos jours, nos résultats au niveau de l’analyse du segment sont alors valables aussi pour le français contemporain.

Ensuite nous proposons une adaptation de Binary Tense permettant de respecter les contraintes présentées, c’est-à-dire la sémantique spécifique au français du perfect et de l’aoriste. Nous abordons tout d’abord l’impact de l’introduction d’un opérateur aoriste sur le système puis nous décrivons cet opérateur et son interprétation au sein du lexique proposé.