F) L’irresponsabilité pénale
3) Naissance de la psycho-criminologie
Tout commence à partir du XVIIe siècle, par l’intermédiaire de la
littérature, et notamment avec William Shakespeare dans son œuvreHamlet.
Celui-ci interroge la vengeance et la folie du meurtre : « Car le crime, bien qu’il
n’ait pas de langue, trouve pour parler une voix miraculeuse » (Acte II). C’est par
la tragédie Othello, qu’apparait une tentative d’élucider la question du passage à
l’acte impulsif : « Etre à présent un homme sensé, tout à l’heure un fou, et bientôt
une brute » (Acte II, Scène 3). Les questionnements vont se poursuivre dans la
pièce de théâtre intitulée Phèdre de Racine. Il expose les ravages de la passion
comme celle de la maladie de l’Ame dont le personnage central est victime et sous
l’emprise de ses pulsions : « Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable,
je n’en mourrai pas moins, j’en mourrai plus coupable » (Acte I, Scène 3). « Mes
crimes désormais ont comblé la mesure. Je respire à la fois l’inceste et
l’imposture » (Acte IV, Scène 6). Quant à Corneille dans son œuvre Cinna, il
apporte des interrogations concernant la spirale de la haine et de la violence qui
seraient inhérentes à la psyché humaine: « Mon esprit en désordre à soi-même
s’oppose : je veux et je ne veux pas. Je m’emporte » (Acte I, Scène 2).
Peu à peu, une vision philosophique prend naissance, avec la pensée de
René Descartes qui remet en cause l’aspect et le sens religieux des actes criminels
(sorcellerie, mauvais œil, possession etc.). La dimension diabolique s’efface peu à
peu et elle n’est plus perçue comme une causalité. Elle disparait pour être
remplacée par l’introduction d’une partie intégrante et « obscure » de la
personnalité humaine. C’est avec la parution d’un traité intituléDes délits et des
peines (Beccaria, 1764) que se développe une doctrine pénale. L’auteur et le
magistrat avait pour souhait d’attirer l’attention du citoyen concernant toutes les
monstruosités dont ; les horreurs de la torture, de la peine de mort et de l’injustice.
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comprendre l’individu qui est accusé et inculpé. Une approche de l’individualité
du crime est alors apportée avec, en parallèle de cette démarche, une recherche de
prévention. De plus, il va longuement désigner combien l’éducation est un
élément central pour lutter contre la délinquance.
Durant cette période de remise en cause concernant les aspects
« sombres » de l’humanité, s’articulent quelques rouages préscientifiques,
notamment avec le Traité de physiognomonie (Rouget, 1878). Ce dernier va
étudier les traits des visages appartenant aux criminels, en regroupant et classifiant
les similitudes observées. En parallèle, le philosophe et le théologien Johann
Kaspar Lavatar regroupe certaines étroites ressemblances entre certains individus
et certains animaux sauvages. La perspective de ses travaux de recherche ont pour
perspective de déterminer les traits extérieurs pouvant être significatifs de la partie
animale et « indomptable » du sujet humain. Dans les années 1816, une montée de
la violence inquiète le ministère de la justice, au point de vouloir contribuer au
premier volume de publication du « Compte général administratif de la justice
criminelle » (CGAJC). De nombreuses études de cas transgressifs seront alors
recensées. Ces dernières vont vivement attirer l’attention du corps scientifique,
dont le mathématicien Adolphe Quetelet qui offrira une création de statistiques
sur le délit et le crime présentées dans divers congrès internationaux. Par la même
occasion, le psychiatre Prosper Despine rédige trois volumes d’ouvrage où la
question des facultés intellectuelles serait une sorte de paradigme des
comportements criminels. Ses travaux vont succéder aux études psychiatriques de
Philippe Pinel, Pierre-Jean Cabanis et Jean-Etienne Esquirol qui interrogent les
éventuels liens entre la maladie mentale et le crime.
Au XIXe siècle, s’ouvrent de nouvelles perspectives de réflexion dans le
champ des sciences. Entre-autres, le médecin Cesare Lombroso devient le
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approche anthropologique des passages à l’acte transgressifs. Le crime devient
alors un objet d’étude scientifique. Il introduit les critères centraux de la
discipline : observations, interprétations des faits et vérifications par une
expérimentation aiguë et structurée. Cet auteur s’inspire des travaux de Charles
Darwin, avec l’idée que les criminels sont des sujets qui se figent dans
l’archaïsme de l’évolution. Il met en évidence la parenté des comportements
criminels avec ceux des animaux sauvages comme caractère inné des délinquants.
Il va de ce fait inaugurer une nouvelle approche du droit pénal en introduisant les
risques de dangerosité et de récidive. Avec ces nouvelles perspectives, la
« criminologie » va alors se constituer et se définir par le croisement et la
dialectique entre l’anthropologie criminelle, la psychologie clinique, la psychiatrie
et le judicaire. D’ailleurs, plusieurs expressions sont utilisées pour évoquer la
psychologie appliquée au domaine de la justice : psychologie légale, psychologie
judiciaire, psychologie criminelle. De la notion « criminologie » (étude du crime
qui serait difficile à distinguer du droit pénal) nous passons peu à peu à
l’appellation de « psycho-criminologie » (étude de l’individu criminel). Notons
que cette dernière notion est de loin la plus répandue dans le domaine des
Sciences Humaines.
Entre 1935 et 1960, la criminologie est dominée par les apports d’Etienne
De Greeff, médecin anthropologue à la prison de Louvain et professeur
d’anthropologie criminelle. Il délaisse les hypothèses faites sur la question du
déterminisme et introduit l’idée d’une évolution psychique. Il étudie davantage la
maturation psychologique qui conduit au passage à l’acte criminel, avec l’idée
principale que le processus en question s’étale dans le temps avec l’accumulation
de nombreux affects: sentiment d’injustice, processus de revendication, et
légitimation de l’acte. Dans les années 1974, Jean Pinatel intervient dans l’histoire
de la criminologie française avec son argument central autour de la non-différence
de nature mais de degrés entre le criminel et les autres citoyens. Selon sa
perspective, quatre traits appartenant à tout à chacun sont intensifiés dans le
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passage à l’acte criminel: l’égocentrisme, la labilité, l’agressivité et un manque
d’émotion altruiste.
Enrico Ferri, homme politique et criminologue distinguera cinq catégories
de criminels : les criminels nés, les aliénés, les criminels d’habitude, les criminels
d’occasion et les criminels par passion. Accompagné par Raffaele Garofalo et de
Cesare Lombroso, ils fonderont l’école positive italienne. Leurs formations
tentent de transmettre une analyse empirique des causes du crime et de la
délinquance. Pour cette école, les facteurs personnels, sociaux et
environnementaux déterminent le comportement criminel. Leurs théories
impliquent l’idée que le fait de vivre dans un milieu dans lequel les valeurs sont
bancales voire inexistantes, pousse les sujets vers la délinquance. C’est ainsi que
Gabriel Tarde, a défendu à la fin du XIXe siècle, l’idée que la transgression est
tributaire du milieu social et de l’environnement. Il introduira des travaux sur la
thématique de l’imitation avec l’idée qu’un sujet peut reproduire une tendance par
le facteur de proximité, par la fascination des supérieurs hiérarchiques, mais aussi
par l’effet de groupe et de mode.
Au XXe siècle, cinq nouveaux courants apparaissent avec divers objets
d’étude pour comprendre le crime : la criminologie clinique et l’étude des
carrières criminelles (études sur le délinquant en tant qu’individu et le
développement du comportement délictueux depuis ses origines), la tradition
Durkheimienne (la sociologie conçoit la criminalité comme la conséquence d’un
défaut de l’organisation sociale), les conflits de cultures (influence apprise et
transmise aux jeunes générations dans une tendance aux comportements
transgressifs normatifs), la réaction sociale à la déviance (la stigmatisation produit
49
rationnel (l’attention se porte sur le délit en tant que situation découlant de résultat
de choix et de stratégies)
29.
Depuis, de nombreuses théories ont vu le jour, avec principalement : les
théories culturalistes (la transgression résulte d’une désorganisation sociale et
morale due à des problématiques de différence sociale et d’immigration. Les
comportements déviants sont corrélés aux conflits de la culture qui engendrent
une rébellion chez l’individu). Les théories de la tension (qui expliquent les
différences entre le désir d’intégrer une société et les difficultés afférentes qui
obstruent les possibilités), les théories rationnelles (qui insistent sur la
responsabilité de l’auteur et de son choix dans les crimes) et les théories dites de
la réaction sociale (avec l’idée de self-fulfilling, pour caractériser l’effet d’une
stigmatisation : en identifiant quelqu’un comme un transgresseur, on renforce la
tendance et on scelle l’intéressé dans cette étiquette. Le regard d’autrui, le regard
de l’institution et des interventions judiciaires pousseraient vers cette
identification). Il existe aussi les théories dites biologiques (avec une approche
biomédicale du criminel).
Quelles que soient ces différentes approches, un point commun semble
faire accord : il faut chercher plusieurs pièces du puzzle pour comprendre les
articulations et les tendances entre le sujet et le crime. D’un côté, nous avons les
cliniciens spécialisés en criminologie qui visent le développement de la
personnalité, d’un autre les durkheimiens qui organisent leurs concepts autour de
l’anatomie puis les culturalistes qui pointent les valeurs de la culture avec ses
incohérences. Cependant, pour tous, il s’agit de comprendre la motivation de
l’acte délinquant ainsi que la psychologie de son auteur.
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Concernant les champs de la psycho-criminologie, celle-ci
cible l’observation de l’environnement du sujet, de sa personnalité et
l’interprétation du crime pour en saisir le déterminisme individuel. Dans cette
approche, il existerait des causalités entre l’environnemental, le développement de
l’individu et le sens de ses symptômes (dont le passage à l’acte). C’est à partir du
croisement entre ces deux disciplines (psychologie clinique et criminologie -
étude du crime -) que se développe la psycho-criminologie française en tant que
telle. A savoir, avec l’introduction d’une méthodologie qui articule l’étude
scientifique de l’environnement, de la personnalité et du développement du
criminel, ainsi que les causes externes pouvant engendrer l’impulsion du crime.
«La définition de Pires (1998) rejoint cette dernière lorsqu’il décrit un champ d’étude et une activité complexe de connaissance interdisciplinaires, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but l’élucidation et la compréhension de la question criminelle au sens large. Depuis, la criminologie représente l’étude pluridisciplinaire du criminel et de la criminalité et concerne les spécialistes issus principalement du droit, de la psychologie, de la psychiatrie et de la sociologie »30.
Comme nous le voyons, de nombreux travaux vont être menés, et de
multiples perspectives vont être envisagées. En France, c’est vraiment avec le
Docteur Alexandre Lacassagne (médecin légiste et expert pour les tribunaux)
qu’une école de criminologie va être fondée. Son hypothèse majeure soutient qu’il
y a une implication mutuelle entre l’individu qui commet l’acte criminel et la
société (le groupe) qui l’entoure de par sa désorganisation et ses incohérences.
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4) Lien étroit entre la criminalité et les incohérences
Dans le document
Rendre compte des passages à l'acte transgressifs : entre épistémologie et pratique clinique
(Page 46-52)