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B) Les incohérences familiales

1) Introduction

« En psychanalyse, quand il s’agit du sujet, il est toujours essentiel de reprendre la question de la structure. C’est cette reprise qui constitue le véritable progrès, c’est elle seule qui peut faire progresser ce que l’on appelle improprement la clinique »106.

« Le concept de structure a évolué en psychanalyse, depuis les premières indications freudiennes jusqu’à la pratique lacanienne. La structure n’est pas

104

O. Verschoot, Du déni au crime, Paris, Imago, 2015, p. 121-122.

105

G. Bayles, Clivages; Moi et défenses, Paris, Puf, 2012. p. 23.

106

126

un modèle théorique, c’est une sorte de machine originale qui met en scène le sujet dans le champ de l’expérience. (…) La structure ordonne l’ensemble des effets produits par le langage : elle se montre, écrit Lacan, dans les effets que la combinatoire pure et simple du signifiant détermine dans la réalité où elle se produit (…). La structure c’est le réel dira Lacan en 1968 (…). Autrement-dit, les notions de sujet et de structures sont indissociables : le sujet est, d’un côté déterminé par sa structure, tout en étant, de l’autre, responsable de l’effet qu’il est. »107.

Dans ce troisième chapitre, nous entrerons dans la clinique du passage à

l’acte transgressif afin de saisir les ressorts de cette psychopathologie. Bien

évidemment, nous supposons que le recours à l’acte peut advenir à partir de faits

cliniques variés mais aussi que l’acte transgressif est impulsé de manières

différentes selon la structure psychique du sujet. De par ces faits, afin que

l’approche ne rétrécisse pas le champ de la compréhension, nous diviserons notre

recherche à partir de quatre repères psychopathologiques en lien avec la

dimension structurale.

À

savoir que nous choisirons des patients se trouvant soit

dans la catégorie clinique des psychoses, des états-limites, des perversions ou des

névroses.

De par les différentes approches des professionnels (psychanalystes,

psychiatres, psychologues cliniciens, projectivistes, etc.) qui n’ont pas les mêmes

repères cliniques et théoriques, nous allons spécifier les quatre catégories.

Effectivement, il existe une grande confusion chez les spécialistes, c’est pourquoi

il est important d’éclaircir les propos concernant cette recherche autour des

différentes structures.

À

titre d’exemple, nous entendons parfois dans le discours

des professionnels : « le patient, il est psychopathe ». La psychopathie est un

symptôme au même titre que la dépression, et il n’est en aucun cas une structure

107

S. Lippi, « Pratique de la structure : le diagnostic différentiel selon l’enseignement de Jacques Lacan », dans Cliniques méditerranéennes, 2014/2, n°90, p.201-206.

127

psychique. Nous pouvons trouver des traits psychopathiques (symptômes) dans le

champ de la perversion mais aussi notamment dans le champ de la psychose. Il est

important de ne pas confondre structure et symptôme. Il en va de même dans la

dépression. Un sujet peut s’engouffrer dans une dépression alors qu’il est névrosé,

au même titre qu’un borderline, etc. Il nous paraît tout à fait essentiel de ne pas

maintenir cette confusion.

D’autre part, certains praticiens ne sont pas certains de la pertinence de la

catégorie clinique des états-limites. Au départ, cette notion fut articulée pour

définir un état psychique passager, notamment celui d’adolescents en crise.

Cependant, du fait de la société contemporaine qui prône la jeunesse éternelle,

mais aussi de la société de consommation qui engendre une nouvelle dynamique

groupale, le « borderline » n’apparaît plus comme un état psychique périodique

mais comme un mode d’être, au même titre que la névrose, la perversion et la

psychose.

«Le social a-t-il une influence sur la construction du sujet? Ce que certains ont appelé le «déclin du Nom-du-père» a-t-il des conséquences sur la construction du sujet et ce déclin aurait-il engendré une forclusion qui entrainerait les sujets vers la psychose ou aurions-nous plutôt désormais affaire à une névrose différente, ou à une nouvelle perversion, voire à ce qui serait alors une quatrième structure ?»108.

Nous sommes d’avis qu’il existe effectivement une quatrième structure,

c’est-à-dire que l’état-limite possèderait une configuration psychique bien

spécifique, qui se différencie pleinement des autres structures. Cette différence se

dessine à partir de la dimension de l’angoisse mais aussi à partir de l’organisation

fantasmatique. Par ailleurs, nous avons travaillé sur cette pathologie pour en

définir les contours et nous invitons le lecteur à se référer au chapitre VI

108

128

Annexes afin d’avoir accès à cette recherche via notre article : « les pathologies

limites ».

Voici l’approche que nous utiliserons pour différencier les quatre

structures :

Psychose :« Je vis dans un monde imaginaire et je me confonds

avec l’extérieur »

Définition :

«Perturbation profonde de la relation du sujet à la réalité qui va rester le critère essentiel de la psychose (...). C'est d'abord la projection du délire par laquelle le malade va projeter à l'extérieur de lui-même ce qu'il se refuse à reconnaitre comme sa propre réalité psychique. (...) C'est ensuite avec J. Lacan, la forclusion d'un signifiant fondamental, barrant l'accès à l'ordre symbolique, à la métaphore paternelle, où il devait s'inaugurer, et à la fonction signifiante du phallus à laquelle s'articule la problématique de la castration»109.

«Ces phénomènes hallucinatoires sont intégrés dans un délire de persécution ou polymorphe. En général le délire est dogmatique ou thématique, c’est-à

-dire qu’il est organisé et vécu comme un roman, une fiction, un complot (…). Ces malades sont surtout influences; parfois ils se sentent possédés par une personnalité seconde qui s’organise au sein même de leur personne»110.

«Ses thèmes, en effet, sont multiples et variables ; on rencontre des thèmes de persécution, de grandeur, des thèmes mystiques, érotiques, des thèmes de

109

J. Postel, Dictionnaire de psychiatrie et de psychopathologie clinique, Larousse, Paris, 1998, p.374.

110

129

transformations sexuelle, de possession, d’influence …»111.

Perversion :« Je t’utilise comme faire valoir. Ma jouissance est

dans la transgression, la toute puissance et l’angoisse que je peux parfois

te faire supporter »

Définition : Propos sadien : « J'ai le droit de jouir de ton corps et ce droit, je

l'exercerai sans qu'aucune limite ne m'arrête dans le caprice des exactions que j'ai

le goût d'y assouvir »

112

. « Le montage pervers est une inclusion réciproque entre

soi et l'autre. Cette loi qu'il veut démentir et fixer, il veut l'arracher à l'invisible,

quitte à s'aveugler avec la drogue secrète qui le nourrit c'est la quête d'identité

avec la loi »

113

.

Au début de la psychanalyse, les perversions étaient entendues comme une

déviance sexuelle, par la suite, ont été introduites dans cette structure les

perversions narcissiques / perversité

114

. Selon Paul-Claude Racamier, ces

dernières émanent « des dénis et des évictions de tout conflit intérieur. Elles font

faire au sujet des économies de travail psychique dont la note est à payer par

autrui »

115

. Le sujet de structure perverse est davantage tourné l’agir (afin d’éviter

toute introspection). D’ailleurs, il aime saisir le psychisme de l’autre, ne pouvant

entrer en contact avec lui-même. Ainsi les psychanalystes décrivent un sujet

(pervers) avec des blessures narcissiques qui se coupe de lui-même et se nourrit

du narcissisme de l’autre. Jean Bergeret estime que le Moi de ces sujets est

lacunaire, incomplet si bien que le narcissisme des autres leur permet de tenter de

combler leur narcissisme personnel.

111

Ibid, p. 59.

112

D. Sibony, Les perversions, dialogues sur des folies "actuelles", Paris, Seuil, 2000, p. 269.

113

Ibid, p.174.

114

S. Germani, « Distinction entre perversions sexuelles et perversions narcissiques », dans la revue EMPAN, 2017/1, p 139-142.

115

130

« La perversion ne fait donc qu'imiter l'apparence du désir du névrosé sous le coup de la castration puisqu'elle vise la part interdite de la jouissance; de ce fait le pervers se rend d'autant plus esclave de l'Autre qui le divise radicalement au point où il tente justement de parer l'angoisse de castration. »116.

« Le désaveu est ce qui surgit lors d'une rencontre entre un regard et un vu ; ce qui, dans ce spectacle, est insoutenable, c'est l'horreur et l'effet de sidération qui se dégagent en cet éclair où se télescopent phantasme et réalité. Au phantasme de castration, source de toute angoisse, la réalité vient répondre : la castration est. Mais cette rencontre ne prend son plein sens qui si nous faisons appel à un troisième terme et plus précisément à cette présence d'un regard Autre : « celui qui voit le sujet regardant ». À partir de ce moment, c'est ce regard qui vise le défit présent dans le désaveu. S'il est vrai que ce désaveu concerne au premier plan la différence des sexes, il me semble que ce qui est par là mis en cause, c'est la question même de la filiation et de la relation parentale dans son rapport avec la Loi»117.

« Le pervers se présente comme celui pour qui la démarche érotique exige la mise en place d'une scène (…) où doit être garantie par une loi qui régit cette sorte d'acte notarié qu'est le contrat que nous pourrions appeler la Loi de la jouissance »118.

NB : Depuis quelques années, il existe différentes perversions qui apparaissent

sous différents termes. Notamment les perversions narcissiques et les perversités.

Ces dernières sont regroupées dans la structure des perversions, mais il important

de rappeler qu’elles possèdent quelques particularités et dissemblances (au même

titre que les névroses avec l’opposition entre névrose hystérique et névrose

obsessionnelle). Nous invitons le lecteur au chapitre VI Annexes, s’il souhaite

116

A. Postel, Manuel Alphabétique de psychiatrie, Vendome, PUF, 1984.

117

G. Rosollato et P. Aulagnier-Spairani, Le désir et la perversion, Seuil, Paris, 1967, p. 46

118

131

distinguer les différences entre les perversions sexuelles et les perversions

narcissiques.

«Contrairement aux idées reçues, la perversion n’est pas toujours sexuelle au sens d’une sexualité déviante et actée. Selon Jacqueline Barus-Michel, le pervers manipulateur va tirer sa jouissance de l’asservissement de l’autre, quel que soit le domaine où cet asservissement se met en œuvre»119.

Etat-limite : « Sans toi je m’écroule car les limites ne sont pas

claires. Tu es mon repère, et je n’envisage en aucun cas une possibilité de

séparation »

Définition :

« Terme le plus souvent employé pour désigner des affections psychopathologiques situées à la limite entre névrose et psychose (...). L'extension de la psychanalyse est pour beaucoup dans la mise en évidence de la catégorie dite des cas-limites (...). Du point de vue théorique, on considère généralement, que dans ces cas, les symptômes névrotiques remplissent une fonction défensive contre l'irruption de la psychose»120.

«Ils sont souvent bien adaptés socialement, mais leurs relations affectives sont instables, marquées par la dépendance "anaclitique" et la manipulation agressive. Ils se défendent contre la dépression faite surtout d'un sentiment de solitude, de vacuité et d'ennui (...). Le règlement des tensions conflictuelles utilise préférentiellement des passages à l'acte, entrainant une instabilité socioprofessionnelle et affective mais aussi des conduites

119

D. Goetgheluck, « Actes, psychoses, perversions : où est le sujet ? », dans Le journal des psychologues, n° 321, 2014/8, p. 21.

120

132

d'autodestruction par impulsion suicidaire ou abus toxiques »121.

André Green définit l’état-limite comme « un sujet en double limite, soit

l’existence d’un double clivage empêchant la construction d’un espace psychique

dans sa cohérence et sa plénitude »

122

.

«L’angoisse est massive et diffuse. C’est une angoisse de perte d’objet avec la dépression comme symptôme. Nous observons à la fois la description d’un passé vécu de façon douloureuse sur le plan narcissique et en même temps l’espérance d’un avenir meilleur, idéalisé, investi dans la relation de dépendance vis-à-vis de l’autre (…). Les mécanismes de défense utilisés dans l’état limite sont plus proches de ceux utilisés dans la psychose : clivage, idéalisation primitive, identification projective, omnipotence et dévalorisation, déni123 ».

Pour François Richard, l’état-limite s’organise autour d’un œdipe

déformé :

«On peut penser avec R. Cahn que les états limites de l’âge adulte résultent de l’inachèvement du processus de subjectivation qui caractérise selon lui, le moment adolescent, et ajouter qu’un tel inachèvement présume une difficulté plus originaire de la différenciation du moi-sujet, du Ich freudien, lors de l’enfance. À côté des états limites, sur fond de pathologie structurelle de la différenciation subjectalisante, on trouve souvent dans la clinique psychanalytique contemporaine, en particulier avec les jeunes adultes, des fonctionnements limites mélangés à une conflictualité névrotique (…). Cet Œdipe déformé est biface, d’un côté le conflit intrapsychique génère une dynamique de symbolisation des représentations pulsionnelles et une réorganisation des instances topiques (ça, moi et surmoi), mais d’un autre

121

J. Postel, Dictionnaire de psychiatrie et de psychopathologie clinique, Larousse, Paris, 1998, p. 182.

122

C. Balier, Violence en abymes, Paris, Puf, 2005, p.323.

123

F. Vigneron, « Le passage à l’acte chez une personnalité limite: l’agir comme acte de parole » dans L’information psychiatrique, 2006/2, p 139.

133

côté, l’envahissement par la libido narcissique, les tendances à la déliaison, des représentations et entre instances, détériorent les gains psychiques résultant de l’élaboration de la conflictualité œdipienne, qui devient moins perceptible »124

Névrose : « Je désire mais je culpabilise »

Définition :

«Affection psychogène où les symptômes sont l'expression symbolique d'un conflit psychique trouvant ses racines dans l'histoire infantile du sujet et constituant des compromis entre le désir et la défense»125.

«Le névrosé tient compte de la réalité à laquelle il essaye constamment de s’adapter: c’est la recherche d’un équilibre dans le déséquilibre. Selon la perspective psychanalytique, le Moi est «coincé» entre des pulsions envahissantes, non détournées dans des activités de sublimation, et un Surmoi exigeant et intransigeant. Toute la dynamique relationnelle est marquée par cet essai d’adaptation et de satisfaction de désirs non assumés. Le névrosé passe son temps à essayer de trouver un compromis entre le désir et le réalité»126.

124

F. Richard, « L’analyse après-coup de l’adolescence dans les cures d’adultes », dans Revue française de psychanalyse, 2013/2, Vol. 77, p. 333.

125

J-Laplanche et J-B Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Puf, 2009, p. 267.

126

134