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Partie 2 Cadre théorique

A. Naissance du concept : du geste au geste professionnel

Dans son article « l’inscription des gestes professionnels dans l’action » Anne Jorro explore cette notion pour la première fois. Approche déjà évoquée dans les travaux sur les analyses des pratiques, (Altet, 1994 ; Alin, 1990, 1996). Elle interroge notamment le processus de professionnalisation au-delà de la notion de compétence qui pour elle, reste « extérieure » au sujet. C’est pourquoi elle envisage par une approche phénoménologique et herméneutique une autre analyse des processus de formation.

« Cette question nous taraude au point de proposer une approche des gestes professionnels et d’ouvrir un chantier de réflexion autour des processus de formation qui enchâsseraient dans le cours de l’action une approche compréhensive. » (Jorro 1998 p.4)

Cette introduction fait suite aux travaux de Marcel Mauss sur « les techniques du corps » (Mauss 1934). Pour lui, « Toute technique proprement dite a sa forme. Mais il en est de même de toute attitude du corps. Chaque société a ses habitudes bien à elle. »

Comme l’indique sa racine latine (gestus, participe passé du verbe gerere), le terme de « geste » renvoie au corps, au corps en mouvement mais aussi aux attitudes. En effet le corps bouge et Marcel Mauss nous montre que même si ces mouvements semblent singuliers, pouvant être propres à chaque individu, ils s’inscrivent tout autant dans son environnement (social, culturel, historique) : « Ces « habitudes » ne varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances et les modes, les prestiges. Il faut y voir des techniques et l'ouvrage de la raison pratique collective et individuelle, là où on ne voit d'ordinaire que l'âme et ses facultés de répétition. » (Mauss 1934)

Dans ces travaux, Mauss a pris soin de classer (par âge et sexe des sujets) et d’énumérer les techniques du corps en fonction de leur caractère biographique (de la naissance à l’âge adulte.) S’il énumère des techniques telles que « le sevrage », « la veille », « la course », « la

danse » « la consommation » il est important de noter que dans ces premiers travaux, il n’évoque pas le « langage » et la « communication » (si ce n’est pour « communiquer avec Dieu ») comme des techniques du corps.

Le dictionnaire Larousse nous propose trois définitions du geste.

 Le geste est « un mouvement du corps, principalement de la main, des bras ou de la tête, porteur ou non de signification. » Il me semble que l’on pourrait penser d’avantage cette « non signification » comme signification non conscientisée par le sujet car le geste est toujours « signe ». Il se fait par l’un, et se perçoit par l’autre. Il est nécessairement interprété. Un geste de la main pour dire au revoir, un haussement d’épaule pour signifier que l’on se moque, un écarquillement des yeux pour signifier la surprise, un geste du doigt pour pointer un objet et accéder à une attention conjointe avec l’autre, un sourire d’empathie, un poing frappé sur la table pour signifier la colère. C’est d’ailleurs cette interprétation qui semble poser des difficultés aux personnes avec autisme et en particulier aux jeunes enfants. Ces gestes ne font pas nécessairement sens. Ils ont donc à apprendre cette signification.

 le geste est : « Manière de mouvoir le corps, les membres et, en particulier, manière de mouvoir les mains dans un but de préhension, de manipulation. » Cela renvoie à la fois à l’idée de but et d’intention du geste mais aussi à la « manière de » faire.

 Enfin, le dictionnaire nous indique l’utilisation du mot geste au sens figuré. Alors  Le geste est une « action remarquable par sa générosité ou sa noblesse » Nous

connaissons tous l’expression « faire un geste »

Comme nous l’explicite C Alin (Alin 2011 p 47) « Le mot geste désigne aussi bien l’action accomplie par le geste que la représentation qu’il en donne. Le geste serait donc « mouvement et signification » Le geste ne peut pas se réduire à une simple action. Le corps est « engagé pour signifier ». Il s’engage dans un environnement social, culturel et situé dans l’espace et le temps. Le geste est donc au-delà du mouvement, langage et communication. Nous pouvons alors parler de communication « non verbale ».

Pour Gebauer et Wulf, anthropologues de l’école allemande, les gestes ne sont pas toujours conscients mais relèvent de la « mimésis ». Par un processus « d’imitation créatrice ». L’humain a cette capacité de produire de nouveaux gestes à partir de gestes déjà appris. Il se constitue une forme de répertoire.

Dans notre recherche, sur le terrain, nous allons observer les « gestes » des conseillers et ceux de l’enseignant durant ce temps « d’entretien- conseil ». Comment le « geste » observable par l’œil du chercheur ou de l’acteur lui-même devient-il un « geste professionnel » ? Comment allons-nous pouvoir le caractériser ?

Si nous nous intéressons plus particulièrement aux travaux de recherche menés par A Jorro et Christian Alin, c’est, au-delà de leur qualité, qu’ils se sont tous deux particulièrement intéressés d’une part aux gestes professionnels au sein du monde de l’enseignement et de la formation. C'est-à-dire au terrain qui est le notre pour cette recherche. D’autre part, les modalisations proposées prenant en compte les aspects opératoires, techniques et symboliques avec une place importante au langage semblent convenir à notre l’objet d’étude.