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Partie 2 Cadre théorique

C. Les Gestes professionnels pour C Alin

La formation des enseignants, l’analyse des pratiques, la transmission de l’expérience sont au cœur des travaux de C Alin (Alin 1996, 2010). C’est dans ce cadre qu’il ancrera ses recherches sur les gestes professionnels.

Il nous invite par le partage de ses expériences et de ses réflexions théoriques à comprendre comment ce métissage permet une « réelle analyse des pratiques » (Alin 1996 p.31). Il nous permet, par les chemins qu’il emprunte et la confiance qu’il fait au lecteur de prendre conscience de l’importance de l’enjeu de ses travaux concernant « l’Être enseignant » ou l’Être formateur ». Pour lui, une des routes à explorer est celle de « l’analyse de son implication dans l’acte d’enseignement ou de formation » (Ibid p.30) ; c'est-à-dire de sa propre subjectivité, dans ce rapport à l’autre.

Si la place du corps prend une part importante dans le vécu d’enseignant puis de chercheur de C Alin (professeur agrégé d’EPS, Professeur des universités et chercheur au sein notamment du CRIS52), on notera dans ses travaux l’importance accordée à la langue, au langage, aux

mots, aux récits et au discours. C’est cette approche très spécifique qui le caractérise et le différencie de ses collègues travaillant dans le champ de la recherche sur la formation des enseignants et de leurs formateurs.

« Si comme pour tout métier, « l’Être » se saisit dans ses actes et ses produits, il peut aussi se saisir dans ses dires, surtout si, comme c’est le cas pour « l’Être enseignant » ou « l’Être formateur », la plupart de ses dires sont des actes. » (Ibid. p 31)

En situation d’enseignement ou de formation, se côtoient en permanence et de manière singulière le langage verbal et le non-verbal. Ainsi, C Alin propose une approche cherchant à « situer les en-(je)ux pragmatiques de la parole et de l’énonciation dans les enjeux de communication. » (Ibid. p.32). Pour lui, l’écoute et le langage sont des points essentiels dans ces situations de vie professionnelle. Elles sont avant tout des rencontres dialogiques entre les sujets ; « sujets de langage ». Il cite à ce propos dans sa quatrième étude consacrée au « sujet de langage et à la sémiologie des pratiques » les travaux J Coursil (en référence également aux travaux de F Saussure). « Une sémiologie est un système de signes correspondant à l’inscription dans une langue, d’une pratique sociale concrète » (Coursil 2000 cité par Alin 2010 p 140). C Alin offre un regard pluriel par des approches multi référentielles (dont la linguistique, sémiotique, philosophie, psychanalyse, herméneutique, ergonomie, anthropologie) pour partager sa compréhension et son analyse des situations de travail des enseignants et des formateurs. On notera l’importance de l’approche sémiotique, permettant une analyse des discours, et un accès au sens des pratiques professionnelles.

2. Définition du Geste professionnel

Dans son ouvrage « La geste formation » (Alin 2010) Alin nous propose ainsi plusieurs regards. C’est l’entrée par « l’analytique du langage » (une méthode relevant du raisonnement logique) qu’il choisit d’utiliser pour définir le « geste ». La focale est mise sur les usages de la langue et leur cohérence (validité) afin de dégager le concept porteur de sens pour un terme dans une situation donnée. Cette méthode vient en complément d’autres utilisées pour attribuer du sens (analyse de contenu, analyse du discours, sémiotique). Elle permet de mettre « à jour l’esthétique et l’éthique des pratiques. » ainsi que leur « symbolique profonde ». (Alin 2010 p.42) Ainsi, il peut étudier le terme de « geste » dans le langage « commun » du quotidien et observer également ce même terme dans l’usage concernant les situations d’analyse du travail. Il faut alors nécessairement prendre en compte ces « contraintes de langage » en situation de travail réel. Il caractérise le geste ainsi :

 la métonymie du corps est inscrite dans le concept de geste

 le geste peut s’inscrire paradoxalement dans le langage d’un francophone pour manifester une action qui ne se réalise pas »

Comme pour A Jorro, le geste signifie. Il est adressé et s’effectue en fonction d’un but opératoire. Il est porteur de valeurs. Cependant, ici, se précise l’implication du sujet porteur du geste. Le geste est double signification pour celui qui le fait et celui qui le reçoit.

C’est ce travail qui le conduira en étudiant les gestes des enseignants à en dégager les aspects techniques qualifiés d’actes concrets (but de l’action en cours) et les en(je)ux symboliques (intentionnalité professionnelle du geste). C’est cette combinaison qui définit pour C Alin le geste comme professionnel.

« Le concept de geste professionnel par sa double constitution d’un geste technique assorti d’un enjeu symbolique atteste d’un pouvoir-savoir et d’une signature professionnelle reconnue par le métier et l’histoire du métier auquel appartient ce geste. » (Ibid. p. 124) Il propose une définition en quatre points :( Ibid p 54)

1. « Les gestes professionnels représentent la forme discursive et codée d’actions d’expertise, au sein d’une pratique culturellement et socialement identifiée. Ils se traduisent en discours. » 2. « Les gestes professionnels visent des actions suffisamment génériques du métier

professoral. »

3. « Les gestes professionnels ne relèvent pas des disciplines classiques (psychologie, didactique, pédagogie). Ils sont transversaux et établissent les actes fondamentaux, techniques du métier. »

4. « Les gestes professionnels, au-delà de leur caractéristique technique, portent et traduisent avant tout la symbolique des principales actions, actes gestes ou micro-gestes techniques d’un métier (dicter, questionner, corriger au tableau, se déplacer, noter, évaluer, etc.). »

Dans ce travail de recherche, 12 gestes professionnels53 (dont la liste n’est pas exhaustive) de

l’enseignant sont identifiés et caractérisés par leur en(je)u symbolique et définis dans leur domaine d’action. En voici quelques exemples :

 Intervenir- Le dialogue

 (Se) prendre en main- le contrôle  Transmettre- Le partage

D’autres travaux plus spécifiques aux « gestes de conseil » en formation sont présentés dans l’ouvrage, nous les évoquerons plus précisément par la suite.

Comme pour Anne Jorro, l’aspect performatif du geste professionnel est évoqué. Ici, Alin fait le lien entre la « maîtrise technique et symbolique du geste professionnel associé ou non avec d’autres gestes professionnels » et la présence de « compétence professionnelle ». (Ibid. p124).

3. Les obstacles didactiques professionnels : un concept nouveau.

S’approprier les gestes professionnels demande aux enseignants ou formateurs de dépasser certaines difficultés, certains obstacles. C Alin les nommera ici, des « obstacles didactiques professionnels ». Ce concept prenant appui sur celui « d’obstacle épistémologique » introduit par Bachelard (1938). Il s’agit d’erreurs répétées et persistantes faisant obstacle à un nouvel apprentissage. Par la suite, Guy Brousseau en distingue trois types :

 Obstacle épistémologique (spécifique à la tâche d’apprentissage)  Obstacle ontogénique (spécifique aux capacités de l’apprenant)  Obstacles didactiques (relevant des choix ou stratégies de l’apprenant)

Pour C Alin les obstacles didactiques professionnels sont « des actions, des actes, des moments qui à la fois sont des éléments clés d’une pratique experte du métier et à la fois qui contiennent des tensions, des problèmes, des différentiels de représentation qui masquent, bloquent, empêchent la construction du geste professionnel et/ou de la compétence professionnelle […] (Alin 2010 p.61) Ils constituent des enjeux de formation. Ils sont essentiels pour comprendre la construction de l’identité professionnelle du sujet s’inscrivant à la fois dans l’expérience de vie de celui-ci mais aussi dans « l’ethnohistoire du métier ». Chaque obstacle identifié est présenté sous deux facettes technique et symbolique permettant de dégager les en(je)ux de formation. Le chercheur en a identifié douze pour le métier d’enseignant et huit pour le « conseil ». En précisant que cette liste n’est pas exhaustive, Alin laisse la porte ouverte au partage et à l’enrichissement de ses travaux par d’autres. Ceci nous parait particulièrement intéressant pour notre recherche en cours.

Exemple d’obstacle didactique professionnel :

« Les allants de soi- Théorie personnelle de l’action- une théorie qui permet d’agir et de lutter contre les représentations à priori (élèves, métier), d’apprécier les tensions, habitus des élèves/habitus des enseignants. » (Ibid. p.64)

4. Gestes professionnels et agir professionnel

La réflexion et la recherche sur les gestes professionnels s’inscrit également pour C Alin dans le cadre plus large de « l’agir professionnel ». L’activité professionnelle de l’enseignant ou du

formateur se développe dans des situations concrètes et singulières vécues par les acteurs. Ainsi chacun dispose de « marges de jeu » pour agir.

Alin distingue quatre marges de jeu :

 La marge d’autonomie (dépendance/indépendance)

 La marge d’autorisation (décisions propres au sujet/ rapport social)  La marge de conflictualité (rapport de soi au conflit)

 La marge de tolérance (rapport à l’altérité, valeurs)

Cet agir professionnel s’inscrit dans des rapports de communication : « le rapport au pouvoir, le rapport à la maîtrise, le Rapport à l’altérité, le Rapport à l’Éthique ». Ils sont chacun sous- tendus par des en(je)ux de communication mettant en évidence des cadres et des champs d’énonciation (rupture, négatricité, autorisation, expertise, écoute) mais aussi des positions énonciatives telles que l’affrontement, la confirmation, le déni, l’écoute, l’évitement, l’inhibition ou le laisser-faire. (Ibid. p77-78)

Ce cadre théorique constituera un élément de compréhension lors de l’analyse et l’interprétation des données recueillies.