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1.1. Etymologie du terme nāyaka

Si les Nāyaka sont aujourd’hui bien connus comme fondateurs des dynasties du même nom, l’origine du terme nāyaka n’est pas sans fluctuer.

Le sanskrit attribue au terme des acceptions multiples mais homogènes, qui dérivent directement du sens premier : « qui guide, qui conduit ». L’épithète de nāyaka est alors appliquée pour désigner un chef, un dirigeant, un meneur, un général d’armée, mais aussi un souverain.

Il existe également une signification se rapportant à un caractère exceptionnel –

nāyaka pouvant aussi signifier « héros », ou qualifier tout exemple d’acte noble ou

chevaleresque – et à une idée de domination et de centralisation. Dans le même esprit, il peut prendre parfois le sens de « joyau ». On l’emploie d’ailleurs de manière métaphorique pour désigner la pièce maîtresse d’un collier.

Le terme se réfère ainsi à une notion générale de commandement mais aussi de paradigme, le mot nāyaka étant associé au nom de celui qui devient l’exemple type, et qui doit être suivi. C’est à partir de ce qualificatif que se développe le titre qui apparaît dans l’environnement administratif du XVe

siècle et qui désigne plus généralement un chef à la tête d’un contingent armé.

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1.2. Origine des futurs rois du Tamil Nadu

Le contexte politique et historique, depuis l’avènement de l’empire de Vijayanagara dans les années 1330, se caractérise par un développement rapide et brutal de la militarisation du pays. Le XVe siècle est en effet une période agitée par des conflits armés, intermittents mais réguliers, à la fois contre les sultanats du Deccan sur la frontière nord et à l’intérieur de l’empire. Les armées de Vijayanagar bénéficient en peu de temps des apports techniques et des innovations militaires d’origine islamique, tels que l’utilisation de la cavalerie sur les champs de bataille. De même, on constate une diffusion notable de l’emploi des armes à feu, tant dans l’infanterie que par la création de l’artillerie, comme le montrent les nombreux vestiges des premiers types de canons de cette période. C’est donc en toute logique que des places fortes voient le jour, positionnées sur des points stratégiques frontaliers ou contrôlant un passage entre plusieurs grands axes de communication. Des fortifications sont aménagées autour d’agglomérations importantes déjà dotées d’édifices religieux et constituant parfois des centres de pèlerinages réputés, tels que Madurai et Tirucirāppaḷḷi, et Vellore et Senji dans le nord. Les échanges commerciaux s’intensifient par suite de l’arrivée en nombre croissant d’Européens sur le sol indien, missionnaires, officiers et agents commerciaux, qui développent notamment l’approvisionnement en matériel militaire et en chevaux, ces derniers importés du Golfe Persique.

Cet accroissement des échanges s’accompagne de mouvements migratoires importants depuis le nord du Tamil Nadu, et en particulier de la région du Kongu Nadu, dans le nord-ouest de cette région. Aux environs du milieu du XVe siècle, une population de culture et de langue télugu, composée pour la plus grande partie d’agriculteurs, mais également constituée de membres de castes marchandes comme les Balija, ou de groupes armés, se déplace vers le sud, occupant progressivement certaines régions du pays tamoul jusqu’aux environs de Tirūnelvelī75

. Généralement qualifiés de vaḍuga, signifiant « nordique, habitant des régions nord », ils semblent avoir évité les zones les plus densément peuplées du Tamil Nadu – notamment à cause de la difficulté de s’insérer dans des structures sociales tamoules préexistantes –, s’installant de préférence dans les périphéries des grandes villes et

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Cf. SUBRAHMANYAM, S.: The political economy of commerce southern India, 1500-1650. Cambridge University Press. Cambridge, 1990, pp. 16-19.

63 développant ainsi l’agriculture dite sèche76

. On considère souvent que ce sont les pressions des sultanats Bahmanī aux frontières septentrionales de l’empire qui provoquent cette fuite des vaḍuga vers sud et, bien que cet argument ne soit pas incorrect, il doit être nuancé, afin de ne pas accentuer outre mesure la notion d’opposition entre les musulmans envahisseurs et les libérateurs hindous, un concept souvent utilisé à l’excès par des historiens pour justifier les évènements de cette période.

Les bandes armées plus ou moins importantes qui participent à cette migration depuis l’aire culturelle télugu vont jouer un rôle essentiel dans l‘organisation de la défense du sud de l’empire, car ils constituent une élite guerrière qui n’existait pas jusqu’alors, et de là, vont modifier profondément l’organisation sociale tamoule. C’est à ces groupes, souvent qualifiés de mercenaires, que les souverains vont confier la tâche de protéger le territoire et d’assurer l’autorité de l’empereur, et leur situation va fortement évoluer au cours des XVIe

et XVIIe siècles77.

Si l’étymologie du terme nāyaka donne une idée assez claire de sa signification générale, et confirme que l’épithète est d’abord utilisée comme un titre avant d’être un nom dynastique, il faut retracer ses occurrences dans le contexte historique. Il semble que les premières apparitions du terme se manifestent dans des inscriptions Kākatīya d’Andhra Pradesh de la seconde moitié du XIIIe siècle. Elles indiquent que le terme se réfère à des catégories de chefs guerriers, qu’il est utilisé bien avant l’installation des souverains de Vijayanagara, et qu’il compose l’expression nāyamkāra, dont l’équivalent tamoul

nāyakattanam se retrouvera dans l’épigraphie du XVIe

siècle. Basé à Warangal, l’Etat Kākatīya est fondé sur un système essentiellement militarisé, dominé par les « agriculteurs-guerriers » Reḍḍi et Velama, dont les chefs portaient le titre de nāyaka78. Au Tamil Nadu, on remarque la présence de ce terme dès le XIVe siècle, dans des inscriptions de Kūmara Kaṃpana, dans lesquelles il est rapporté que le général récompense des chefs de troupes armées télugu et kannadiga par des dons de terres79 appelés amaranāyaka, amaranāyamkāra, ou nāyakattanam.

L’étude de l’épigraphie qui consigne ce type de transaction – qui formera la base de la relation entre les souverains de Vijayanagara et les Nāyaka – permet de comprendre que les

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Agriculture qui ne nécessite qu’une irrigation très réduite en raison de labours très profonds et adaptée aux régions semi-désertiques.

77

Cf. BRANFOOT, C.: Gods on the move. Architecture and ritual in the South Indian temple. Society for South Asian Studies and British Academy. Londres, 2007 (a), p. 10.

78

Cf. RAO,V.N.,SHULMAN,D.,SUBRAHMANYAM,S. Op. cit. 1992, pp. 36-37.

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récipiendaires sont considérés comme des agents de l’empire, sous l’autorité de deux catégories hiérarchiquement supérieures, les mahamaṇḍaleśvara et leurs subordonnés, les

adhikari. Les premiers sont, comme on a pu le voir, l’équivalent de vice-rois d’une vaste

région, et les seconds des administrateurs directs. Vers les années 1430, la gestion catastrophique de certaines provinces de l’empire par les adhikari – qui accablent la population locale de lourdes taxes et s’approprient des terres sans justification – provoque une révolte paysanne des agriculteurs et des artisans contre les propriétaires terriens et les administrateurs peu scrupuleux, jacquerie documentée par les inscriptions80. Dans celles-ci, on constate que la position des nāyaka évolue, avec leur participation à des actes de rémission de taxes qui s’étaient multipliées, et de restitution des terres injustement accaparées. Ils semblent alors modifier leur stratégie d’administration des territoires qui leur sont alloués par l’empereur, et se présentent progressivement comme des défenseurs de la culture locale, et notamment des temples et de leurs divinités, plutôt que comme des oppresseurs étrangers. Ce processus se développer dans la seconde moitié du XVe siècle.