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effectivité des dispositions environnementales de la Nouvelle-Calédonie et des provinces ?

Titre 2 La nécessaire ouverture des normes environnementales locales à d’autres légitimités que celle de la stricte démocratie représentative

« Il est contraire à l'étiquette de bâiller en présence d'un roi, lui dit le monarque. Je te

l'interdis. - Je ne peux pas m'en empêcher, répondit le petit prince tout confus. J'ai fait un long

voyage et je n'ai pas dormi... - Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bâiller. Je n'ai vu personne bâiller depuis des années.

Les bâillements sont pour moi des curiosités. Allons! Bâille encore. C'est un ordre. - Ça m'intimide... je ne peux plus... fit le petit prince tout rougissant. - Hum! Hum! répondit le roi. Alors je... je t'ordonne tantôt de bâiller et tantôt de... Il bredouillait un peu et paraissait vexé

».

Antoine de SAINT-EXUPERY

535. Dans la perspective de favoriser l’effectivité du droit de l’environnement local, il est indispensable de questionner les fondamentaux du système d’élaboration des normes juridiques environnementales. En effet, au niveau national, il a pu être constaté que,

« en dépit [d’] aménagements périphériques, le droit traduit au fond un choix de civilisation et de développement néo-libéral qui s’accommode mal d’autres conceptions et notamment de celles des autochtones. Il présente ainsi les caractéristiques d’un droit relativement autoritaire qui laisse peu de place à

l’expression et à la mise en valeur d’une pensée pluraliste de l’avenir des sociétés et du monde. Dans le domaine du développement durable, il en résulte un constat pessimiste pour certains qui se demandent « si la conception moderne du pouvoir et

les moyens modernes d’exercice du pouvoir – idéologiques, institutionnels,

techniques – laissent une possibilité quelconque à l’existence d'un rapport du global au local qui ne soit pas de domination absolue » (V. de la BROSSE, Difficulté, intérêt,

nécessité d'une démarche comparative dans la perspective du développement durable, NSS, n° 1, 1997, p. 49) » 721.

536. Dans un tel schéma, la coercition est l’argument phare de l’autorité en faveur de l’effectivité du droit de l’environnement, qui relève là plutôt de la « force injuste de la loi »722. Or, d’autres pistes méritent d’être explorées.

721

Lucile STAHL, Le droit de la protection de la nature et de la biodiversité biologique dans les

collectivités françaises d’outre-mer, Thèse, de l'université Jean Moulin Lyon 3, 2009, p.229.

722 Pour reprendre les propos engagés de François Mitterrand, lors d’une émission télévisée en

décembre 1984, à propos de la Nouvelle-Calédonie alors secouée par les Evènements : « Ce n'est

pas sous mon septennat, ce n'est pas sous mon autorité que les Gouvernements de la République iront accroître l'injustice, soumettre des populations par la force, ou bien par la force injuste de la loi, bref, par l'oppression, par la tyrannie. »

En Nouvelle-Calédonie, les institutions sont conçues pour, justement, permettre de disposer de normes juridiques assorties aux réalités locales. Néanmoins, s’émanciper des œillères historiques qui empêchent parfois d’imaginer d’autres scénarii que ceux écrits par le droit national, tant en ce qui concerne les modalités d’élaboration des normes que leur contenu, reste un défi à relever. Il convient d’être créatif, de savoir tirer parti des diverses expériences, tout en respectant les contraintes éventuellement posées par le droit national. 537. Si la marge est des plus étroites lorsqu’il s’agit du droit national applicable localement723, une souplesse beaucoup plus importante pour les dispositions de droit local, dont les modalités ne sont que partiellement figées par la loi organique. Non seulement renvoie-t-elle à des dispositions locales pour les modalités d’élaboration des dispositions réglementaires724, mais en outre la loi organique est amenée à être repensée suite aux référendums de sortie de l’accord de Nouméa.

538. Il reste donc à envisager des modalités l’élaboration du droit de l’environnement local favorisant son adaptation aux diverses perceptions des réalités qu’il entend modeler, à entériner le fait que les responsables politiques et les agents publics ne sont plus les seuls à pouvoir déterminer les règles encadrant nos sociétés de façon légitime et pertinente. En effet,

« selon les constitutions démocratiques, les représentants élus du peuple « sont tenus » de réaliser des politiques publiques qui tiennent compte de la volonté et des besoins des citoyens électeurs qui les ont élus. Et cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de questions environnementales, c’est-à- dire de « biens communs » (air, eau, sol, processus de régulation écologique, gestion de la biodiversité…) qui, par

définition, ne sont pas, ou ne devraient pas être, l’apanage d’individus ou de groupes économiques particuliers. »725

Mais ils ne peuvent détenir dans leurs seules mains ni la teneur de la volonté et des besoins du public, ni toutes les vérités. Outre la complétude du diagnostic ouvrant à la nécessité d’une norme juridique, l’enjeu est de soigner la légitimité interne de la norme juridique, de permettre de faire société autour de la pérennité du patrimoine naturel.

539. Deux axes se rejoignent dans cette perspective ambitieuse mais nécessaire. D’une part, la participation du public contribue à obtenir une norme qui tienne compte au mieux de ses destinataires, ce qui présage naturellement d’un meilleur accueil et d’une meilleure effectivité (chapitre 1). Cela permet aussi d’inscrire le développement du droit de l’environnement dans une démarche de transition écologique et sociale, dont l’expérience montre la nécessaire imbrication. En effet,

723

Les dispositions de droit national environnemental applicables localement sont, comme évoqué au chapitre précédent, marginales –du moins en nombre. Conformément à la loi organique, toute introduction, modification ou suppression de dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie fait l’objet d’une consultation du Congrès (Article 90 de la loi organique susmentionnée). Aussi, lorsque l’Etat établit dans les matières de sa compétence des dispositions applicables localement sans être des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie, le Congrès peut adopter des résolutions demandant que soient complétées, modifiées ou abrogées les dispositions législatives ou réglementaires applicables localement (Article 91 de la loi organique susmentionnée).

724

Articles 98, 128, 148, 152 et 167 de la loi organique susmentionnée.

725 Donato BERGANDI, « Environnement, éthique et politique : les limites d’une démocratie

« La réponse doit être sociale, et socialement juste, pour être écologiquement efficace. L’ignorer conduit – nous y sommes – à l’échec : on ne peut maîtriser les consommations et le comportement qu’avec l’adhésion éclairée du plus grand nombre. On ne change les pratiques qu’avec la compréhension de chacun. On ne peut appeler à des efforts que justes et équitables. Et c’est par un surcroît de liberté qu’on peut espérer autant l’innovation qu’une plus grande frugalité. » 726

540. Néanmoins, la participation en soi ne suffit pas à assoir la légitimité morale de la norme juridique environnementale dans une société divisée comme la Nouvelle-Calédonie, où les clivages ethniques et culturels impliquent des perceptions plurielles du patrimoine naturel (chapitre 2). Il s’agit, localement, de mobiliser non seulement les élus mais aussi les responsables coutumiers pour

« concilier les pluralismes (culturels, sociaux, politiques et juridiques) de la Nouvelle- Calédonie du 21èmesiècle, dans le cadre d’un droit négocié, seul garant de l’effectivité du droit pour protéger l’environnement naturel dans un contexte global de

changements environnementaux. »727

726 Thierry TUOT, « Obéir/désobéir et l’environnement », Pouvoirs, 2015, no

155, p.130, https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2015-4-page-125.htm.

727

Victor DAVID, Pour une meilleure protection juridique de l’environnement en Nouvelle-Calédonie