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4.4 Liquide de Luttinger aux bords d’une bande de Hall fractionnaire

5.1.1 Le mystère de l’EHQF à ν = 5/2

Dans le foulée de la découverte de l’EHQF par Tsui et al.(1982) à ν = 1/3, de nombreux plateaux dans la résistance de Hall à d’autres remplissages ont été mesurés dans des échantillons de grande mobilité. Pour des remplissages ν < 1/2 par exemple, l’ensemble des fractions observées dans les hétérojonctions GaAs-AlGaAs, font partie de la série n/(2np + 1), bien décrite par la théorie des fermions composites de Jain (Jain 2007). Pour des remplissages partiels du premier niveau de Landau, i.e. pour 0 < ν < 2, l’ensemble des fractions observées ont toutes un dénominateur impair. Dans le cadre de la théorie des fermions composites, cette propriété est directement liée au principe de Pauli, et ne peut donc pas être transgressée a priori.

Pour des remplissages partiels du second niveau de Landau, 2 < ν < 4, on peut supposer en première brutale approximation (cf. sec. 2.2.3) que le champ magnétique est suffisamment intense de sorte que l’énergie cyclotron ~ωc soit bien plus grande que l’énergie de Coulomb et qu’il n’y ait pas de sauts entre niveaux de Landau. Le premier niveau de Landau est alors considéré inerte, et l’interaction est alors projetée dans le

second niveau de Landau. Cette interaction peut alors être écrite sur la base des orbitales du LLL après une modification de la forme des interactions. Puisque l’EHQF est robuste par une modification minime du potentiel d’interaction, on s’attend à retrouver les mêmes phases dans le second niveau de Landau que celles observées dans le premier. On observe effectivement aux remplissages ν = 7/3 = 2 + 1/3 et ν = 8/3 = 2 + 2/3 des plateaux dans la résistance de Hall. La phase à ν = 7/3 = 2 + 1/3 peut être interprétée comme une simple phase de Laughlin à ν = 1/3 dans le second niveau de Landau, au dessus du liquide inerte à ν = 2. La phase à ν = 8/3 = 2 + 2/3 est, elle, le conjugué particule-trou de la fonction d’onde de Laughlin, de remplissage ν = 2/3, placé au dessus du liquide ν = 2.

Ceci étant, en 1987, Willett et al. (1987) ont mesuré un effet Hall au remplissage ν = 5/2 = 2 + 1/2. Cette découverte a tout de suite intrigué la communauté puisque cette phase au remplissage de dénominateur pair ne peut s’expliquer au moyen de la théorie des états hiérarchiques ni de celle des fermions composites. A titre de comparaison, au remplissage correspondant dans le plus bas niveau de Landau, ν = 1/2, aucun effet Hall quantique n’est observé dans les hétérojonctions. On sait depuis Halperin et al. (1993) qu’il apparaît à ν = 1/2 plutôt un liquide de Fermi de fermions composites. Cette phase à ν = 5/2 a donc suscité une grande effervescence dans le domaine.

3.2 3.4 3.6 3.8 4.0 4.20.0 1.0 Rxx (k ) 8/3 7/3 5/2 16/7 19/7 13/5 12/5 8/3 5/2 7/3 2 MAGNETIC FIELD [T] 0.3 0.4 0.5 Rxy (h/e 2 ) Fig. 1, Pan et al Sample Te ~ 4 mK 3

Figure 5.1 – Mesures de la résistance de Hall et de la résistance longitudinale pour des rem-plissages partiels du second niveau de Landau. En plus des plateaux attendus à ν = 7/3 et ν = 8/3, apparaît distinctement le mystérieux plateau à ν = 5/2. Cette figure est issue de Pan et al. (1999).

5.1 ν = 5/2 et la fonction d’onde de Moore-Read

En effet, comme nous avons vu dans la section 2.2.3, dans les conditions expérimentales, le ratio de l’énergie Zeemann EZ sur l’énergie de CoulombUC évolue approximativement comme EZ/UC ≈ pB[T ]/200, où B[T ] est la valeur du champ magnétique en Tesla. Ce ratio est d’autant plus faible que le champ magnétique est petit. Or, le facteur de remplissage ν = ρeh/(eB) est inversement proportionnel au champ magnétique et la fraction ν = 5/2 s’observe à moins de 5 Tesla. Pour ce remplissage, on s’attend donc à ce que l’approximation de champ magnétique intense soit peu réaliste, et le degré de liberté de spin doit a priori être pris en compte. Une première fonction d’onde variationnelle singulet de spin fut proposée par Haldane & Rezayi (1988). Cela dit, à l’aide de diagonalisations numériques exactes, Morf (1998) montra que le système semble se placer plutôt dans un état entièrement polarisé en spin. Ce résultat, confirmé par des mesures expérimentales en champ magnétique incliné, fait consensus aujourd’hui, même s’il n’est pas entièrement établi. Par exemple, il semblerait qu’un état de Hall fractionnaire non-polarisé en spin apparaît pour des faibles densités électroniques à ν = 5/2 (Pan et al. 2014).

La proposition qui fait consensus pour décrire l’EHQF à ν = 5/2 est venue de Moore & Read(1991). Ces derniers suggèrent dans leur article une fonction d’onde variationnelle pour décrire l’état fondamental à ν = 5/2. Dans la géométrie du disque, elle s’écrit sous la forme : ΨM R = Pf  1 zi− zj  Y i<j (zi− zj)2 e14P i|zi|2 . (5.1)

Ici, Pf représente le “Pfaffien” (du nom de son inventeur Johann Friederich Pfaff) d’une matrice antisymétrique de taille N× N avec N pair :

Pf(M ) = 1 2N/2(N/2)! X σ sgn(σ) N/2 Y i=1 Mσ(2i−1),σ(2i) (5.2) ∝ A(M12M34. . . MN −1,N), (5.3) où A représente l’opérateur d’anti-symétrisation. Cette fonction d’onde s’étend sur des orbitales allant dem = 0 à m = 2N−3 = Nφ−1, et correspond donc à un remplissage du LLL ν = lim Nφ/N = 1/2. Elle décrit bien un état à ν = 5/2 à condition de la transposer sur les orbitales du second niveau de Landau et de remplir complètement le LLL.

Cette fonction d’onde peut être interprétée comme un appariement en ondes P de fermions composites. En effet, la fonction d’onde de Bardeen-Cooper-Schrieffer décrivant des électrons complètement polarisés s’écrit :

ΨBCS =A[φ(r1− r2)φ(r3− r4). . . φ(rN −1− rN)]. (5.4) Ainsi le facteur Pf(1/(zi− zj)) représente un appariement en ondes P d’électrons. Dans le cadre de la théorie des fermions composites (Jain 2007), le facteurQ

i<j(zi−zj)2représente, lui, l’attachement de deux quantum de flux à chaque électron. C’est en ce sens que la fonction d’onde de Moore-Read forme un appariement en ondes P de fermions composites. Plusieurs travaux numériques (Morf 1998, Rezayi & Haldane 2000) (pour ne citer qu’eux) sont venus soutenir la proposition de Moore et Read. Dans le tableau (5.1), nous

N 8 10 14 16 Recouvrement 0.87 0.84 0.69 0.78

Table 5.1 – Recouvrements entre la fonction d’onde de Moore-Read (eq. 5.1) et l’état fonda-mental sur la sphère avec interaction de Coulomb. Le mélange entre les niveaux de Landau est négligé. Données issues de Scarola et al. (2002).

écrivons la valeur du recouvrement entre la fonction d’onde de Moore-Read et l’état fonda-mental obtenu sur la sphère avec interaction de Coulomb, sans prendre en compte le mé-lange des niveaux de Landau. Même si ces recouvrements sont corrects, ils demeurent bien moins bons que ceux obtenus pour la fonction d’onde de Laughlin àν = 1/3 (cf.tab.2.2.4).

Rezayi & Haldane (2000) ont montré que ces recouvrements pouvaient être grandement améliorés en utilisant, au lieu de ΨM R, la symétrisation particule-trou de ΨM R. La ques-tion de savoir si la foncques-tion d’onde ΨM R caractérise bien l’état à ν = 5/2 est toujours débattue. Comme déjà mentionné, au remplissage ν = 5/2 l’approximation de champ magnétique intense est difficilement justifiable et il faudrait, pour bien faire, prendre en compte le mélange entre niveaux de Landau. Mais, le calcul des pseudo-potentiels de Hal-dane prenant en compte de façon perturbative le mélange entre niveaux de Landau, n’a été achevé que récemment grâce au tour de force de Peterson & Nayak (2013) et Sodemann & MacDonald (2013).

5.1.2 La fonction d’onde de Moore-Read et ses quasi-trous