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3.1. Critical Mass de Frampton et Come Out de Reich : déphasages

3.2.3. Music in Fifths (1969) de Philip Glass

Suivant un rythme constant dans des phrasés parallèles, trois instruments – une clarinette, un violoncelle et une contrebasse – effectuent des montées et des descentes. Parfois complétées, parfois interrompues, selon le processus rythmique inhérent à leur progression temporelle. À force de répétitions, ce processus qui, plutôt que de se modifier, se densifie, par l’ajout d’autres instruments (piano, saxophone) se joignant à l’une ou l’autre des deux lignes mélodico-rythmiques parallèles, peut atteindre une durée de vingt-quatre minutes dans ses interprétations les plus longues, par des ensembles de plusieurs musiciens. Dans la durée, même si le processus est suivi de façon rigoureuse, les rythmes semblent se modifier et les itérations, se détacher. Des textures montent, tout comme des timbres particuliers émergent (celui d’un saxophone, par exemple), par les effets de répétitions. Le processus,

statique et hypnotisant, prend fin comme il a commencé, sans conclusion, donnant une impression de suspension. Ainsi, Music in Fifths (1969), comme la plupart des pièces pour ensemble composées par Philip Glass, fonctionne selon un processus de rythmes additifs « appliqués aux lignes mélodiques, donnant à la musique sa continuité, dans un flot interminable de croches régulières » (Nyman 1999, p. 149).

De constantes montées et descentes

Le matériau tonal que les répétitifs emploient suppose l’abandon des préoccupations fonctionnelles gouvernant la composition classique. Les lignes mélodiques entendues se limitent ainsi à des montées et des descentes de gammes quelque peu enrichies constituant, dans Music in Fifths (1969), une simple étude ascendante et descendante à cinq doigts sur une gamme diatonique (Nyman 1999, p. 149). Le premier motif, de huit notes, est suivi de ses deux premières notes, répétées. Puis, les cinquièmes et sixièmes notes sont encore ajoutées, ce qui porte le motif à douze notes. À cela s’ajoute la répétition des trois premières notes (quinze notes au total) et les notes cinq à sept (dix-huit notes au total). Enfin, les quatre premières notes sont ajoutées de nouveau (vingt-deux notes au total), puis les quatre dernières. La séquence initiale (1-2-3-4-5-6-7-8), composée de huit notes, s’est transformée, sans qu’on lui ait ajouté de nouvelles hauteurs, par des répétitions ou permutations de certaines de ses unités, pour finalement arriver à vingt-six notes (1-2-1-2-3-1-2-3-4-1-2-3-4-5-6-5-6-7- 5-6-7-8-5-6-7-8). Ainsi, parce que les deuxièmes et huitièmes, troisièmes et septièmes, quatrièmes et sixièmes notes correspondent, les cinq hauteurs différentes peuvent à la fois conserver le même ordre et être soumises à un processus de permutations régulier au sein d’un modèle de mouvement constant (Nyman 1999, p. 149).

À l’unisson rythmique

Le processus décrit ci-haut est dédoublé, d’une partition et d’un instrument à l’autre, peu importe son nombre (d’un pianiste – mains droites et gauches – à plusieurs musiciens), de manière à ce qu’ils jouent à l’unisson rythmique. Les intervalles étant parallèles, par la composition d’une ligne simple, doublée. Chaque motif créant pourtant des rythmes et des textures indépendantes, qui émergent du mouvement régulier de croches, répétées dans la durée (Nyman 1999, p. 151). L’importance ne réside ainsi, dans cette pièce, non pas dans la mélodie ni dans les notes composant une cellule, mais dans le processus lui étant appliqué et sa lente progression ne comportant aucune variation rythmique (Girard 2010, p. 173).

Glass précise sa méthode :

My reason for writing pieces were often very strange… Two Pages, you remember, is in unison. Someone asked me if I was attempting to trace the progress of musical history and if, therefore, my next piece would follow on logically and be fifths. So I wrote Music in Fifths. That was all in parallel motion, so I obviously had to do one in contrary motion next. And after

Music in Contrary Motion came its opposite again, Music in Similar Motion. It was a very

easy-going thing. In 1969 nobody knew me or cared much what I wrote, so I could make any jokes I liked (Glass cité dans Potter 2000, p. 294).

Tout comme Snow et ses études audio-visuelles Wavelength, Eye and Ear Control, ‹—› et La Région Centrale, sur les divers procédés techniques de la caméra, dans une volonté réflexive, Philip Glass compose, en 1969, ses trois pièces Two Pages, Music in Fifths et Music in Contrary Motion, dans une volonté consciente – après qu’elle lui ait été reflétée – de construire un développement compositionnel en hommage ironique à l’expansion de l’histoire de la musique occidentale vers des formes contrapuntiques plus complexes (Potter 2000, p. 294). L’on sent ainsi cette dimension réflexive dans son travail, qui semble constamment s’analyser lui-même, dans sa nature accumulative, telles qu’en témoignent les constantes montées et descentes à l’origine de Music in Fifths.

3.2.4. Interférences

Les résonances repérables entre les démarches de Philip Glass et de Michael Snow, dans leurs pièces et essais audio-visuels respectifs, Music in Fifths (1969) et Back and Forth (1969), attestent, elles aussi, d’un objectif semblable ou de la volonté d’approfondir la relation entre les composantes formelles du médium en question. Cet approfondissement passe, selon ce que révèlent les analyses qui précèdent, par divers procédés. D’abord, ils instaurent tous deux une répétition structurelle par la création, chez le compositeur, d’un procédé rythmique additif formé d’une ligne doublée et parallèle et, chez le cinéaste, de constants allers-retours verticaux et horizontaux, rejetant ainsi toute téléologie. Ensuite, ce procédé, dans sa nature répétitive créant des textures, des rythmes et des espaces, met en doute la primauté de la structure classique ou narrative. Dans un mouvement d’aller-retour constant, les œuvres modifient par ailleurs la relation entre le spectateur et ce qu’il perçoit. Ce procédé agit, dans une volonté réflexive, sur sa conscience du processus de création de l’œuvre (tels qu’en témoignent les titres), sur son contexte artistique et sur les techniques particulières qui l’accompagnent, qu’elles soient en lien à la composition, à l’interprétation ou à l’enregistrement et ses manipulations. Enfin, dans leurs interrogations sur les fondements des langages musicaux et cinématographiques, les artistes s’attardent, tel que le confirme l’exposition Extended Time Pieces, à l’organisation temporelle des composantes. Par un accent sur le rythme et la structure dans l’essai audio-visuel, les matériaux visuels et sonores, dans leurs rapports, en viennent à se musicaliser, laissant percevoir, à l’image comme au son, des rythmes, des couleurs et des textures. Les matériaux composant la pièce induisent, pour leur part, une

écoute qui nécessite une attention aux subtiles montées de timbres, de textures, de rythmes et sur l’exécution, plutôt que sur son développement, généralement orienté ou anticipé. C’est en effet ce que l’application rigoureuse d’un processus induit à l’oreille d’un auditeur ou d’un spectateur.

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