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La multiplicité des acceptions

« The question is, » said Alice, « whether you can make words mean so many different things. » […]365 Lewis Carroll, « Humpty Dumpty », in Through the

Looking-Glass366 Il faut reconnaître aux lexicographes la volonté, non de décrire la langue, mais de fournir son mode d’emploi le plus précisément possible. Une finalité pratique, et non linguistique. Dans cette perspective, mieux vaut parler des emplois du verbe plutôt que de ses définitions ou de ses acceptions.

361 « Un long chemin qui s’étend loin devant et derrière. »

362 London, Penguin [1865-1871] 1998, p. 188.

363 Michel Launay (1983), « Gustave Guillaume : la loi et le symptôme », op. cit., p. 328. Voir aussi Michel Launay (1976), « Le verbe et la phrase… », op. cit., p. 449.

364 Michel Launay (1983), « Gustave Guillaume : la loi et le symptôme », op. cit., p. 325. Michel Launay y commente les écrits de Gustave Guillaume, et en particulier l’« Observation et explication dans la science du langage » (in Langage et Science du langage, p. 25-45, et p. 272-286).

365 La question est de savoir, dit Alice, si vous pouvez donner à un mot tant de sens différents. », ou dans la traduction de Jacques Papy (in De l’autre côté du miroir, Paris, Gallimard, 2001) : « si vous pouvez obliger les mots à vouloir dire des choses différentes. »

366 London, Penguin [1865-1871] 1998, p. 186.

L’exemple du dictionnaire de la Real Academia – pour ne citer que lui, car il en va de même avec tous les autres – est édifiant : pas moins de quatre-vingt-dix entrées pour le verbe ir, ce qui pourrait donner à penser que la langue espagnole pourrait se contenter de peu de verbes de plus, tant ses valeurs et ses emplois sont variés. A en croire les travaux lexicographiques, ir peut à la fois signifier le mouvement, la distance, l’extension, la différence, l’état, l’intérêt, la dépendance, l’action, la disparition, la mort, la fuite, l’errance, la perte d’équilibre (sic), la panacée, l’enrichissement et l’apauvrissement (sic), la convenance, l’incertitude, le doute… Nous avons dès le début de ce travail écarté le concept de polysémie, mais il était nécessaire de revenir sur ce point pour tenter de comprendre la prolifération des entrées dans les dictionnaires.

Nous ne reproduirons que les entrées les plus représentatives offertes par la Real Academia. Ce choix s’efforce de faire abstraction des « sens » trop proches, et rend compte de la multiplicité des acceptions traditionnellement reconnues pour ir :

(Del lat. ire).

1. intr. Moverse de un lugar hacia otro apartado de quien usa el verbo ir y de quien ejecuta el movimiento. U. t. c. prnl.

2. intr. Dicho de una cosa: Sentar bien o mal a algo o a alguien. Una blusa negra no le va a esa falda […]

8. intr. Considerar las cosas por un aspecto especial o dirigirlas a un fin determinado. Si por honestidad va, ¿qué cosa más honesta que la virtud? Ahora va de veras

9. intr. Denota la actual y progresiva ejecución de una acción. Vamos caminando

11. intr. U., con ciertos adjetivos o participios pasivos, para expresar irónicamente lo contrario de lo que estos significan. Vas listo Vas apañado 12. intr. Junto con el participio de los verbos transitivos, significa padecer su acción, y con el de los reflexivos, hallarse en el estado producido por ella. Ir vendido Ir arrepentido

14. intr. Disponerse para la acción del verbo con que se junta. Voy A salir Vamos A almorzar

15. intr. U. con valor exhortativo. Vamos A trabajar

25. intr. Avanzar en la realización de una acción, por un lugar, tiempo o situación determinadas. Voy POR la página cuarenta Voy POR tercero de medicina

29. intr. Andar tras alguien o algo. Va TRAS sus huellas 31. prnl. Morirse o estarse muriendo.

35. prnl. Dicho de una cosa: Desaparecer, consumirse o perderse. Esa idea se ha ido ya de mi mente

1. fr. coloq. Mantenerse en el mismo estado en orden a su salud o conveniencia, sin especial adelantamiento o mejoría.

A y regarder de près, on constate que les auteurs du dictionnaire de la RAE tombent dans les mêmes travers que la plupart des analystes : ils attribuent au verbe ir le sens des énoncés, pris dans leur intégralité, qu’ils proposent pour illustrer chacun des

« sens » qu’ils lui supposent (l’extension est illustrée par des exemples construits autour des prépositions de et hasta, le but avec adónde, l’ordonnancement et la succession avec

antes, etc.). Certains vont même jusqu’à décrire ir au moyen de ir (« írsele a uno el pájaro. Estar ido. »367).

A en croire les lexicographes, ir sert donc à l’expression de toute sorte de concepts, et peut être défini de façon extrêmement variée.

Toujours est-il qu’il faut reconnaître à ce verbe son extrême malléabilité, et la diversité des contextes dans lequel il peut apparaître.

Par ailleurs, tous les lexicographes ne tombent pas dans cette prolixité excessive.

Pour Oudin, ir signifie simplement : « aller, cheminer »368. Rosal se contente de rapporter son étymologie : « Ir de ire Latino »369, et le pequeño Espasa Ilustrado ne retient que le mouvement : « ir intr. Moverse de un lugar hacia otro. Ú.t.c.prnl. »370.

D’autres proposent un nombre restreint de « sens ». C’est le cas de David Fernández qui définit ir de façon très succincte : « ir. v.irr. Dirigirse, moverse, marchar.

// Funcionar. // Irse : derramarse »371, et de Martín Alonso : « Trasladarse de un lugar hacia otro. Intr. s. XII al XV. / Andar de acá para allá »372

Carmen Galán Rodríguez, quant à elle, procède à l’inverse, partant de la notion de mouvement. Le verbe ir lui semble être la matérialisation linguistique de cette notion :

« El sujeto se desplaza : ir »373.

Or, notre tâche, nous semble-t-il, est de trouver un signifié unique, car ainsi que l’expose Gustave Guillaume lorsqu’il présente le programme de Temps et verbe :

Le présent ouvrage […] considère que la vraie réalité d’une forme, ce ne sont pas les effets de sens multiples et fugaces qui résultent de son emploi, mais l’opération de pensée, toujours la même, qui préside à sa définition dans l’esprit. […] En un mot, par une étude des formes sur un plan plus profond que celui auquel on s’arrête généralement, ce livre remonte de la multiplicité des conséquences du signe linguistique dans le parler réel à son unité de condition dans la langue virtuelle.374

Nous commencerons donc par tenter de comprendre le pourquoi de l’irrégularité extrême de ce verbe.

367 Diccionario general de americanismos, op. cit., s. v. ir.

368 César Oudin, « Allure, apparence, attitude gestuelle », in Tesoro de las dos lenguas española y francesa, Paris, Ediciones Hispano-Americanas [1675] 2001, p. 234.

369 Francisco del Rosal, Diccionario etimológico, Madrid, Biblioteca de Filología Hispánica, Consejo Superior de Investigación Científica, 1992.

370 El pequeño Espasa Ilustrado, Madrid, Espasa, 1998.

371 David Fernández, Diccionario de dudas e irregularidades de la lengua española, Barcelona, Teide, 1991.

372 Martín Alonso, Diccionario medieval español, T.II, Universidad Pontificia de Salamanca, 1986, s. v. ir.

373 Carmen Galán Rodríguez (1987), « Los verbos de movimiento en la prosa alfonsí », op. cit., p. 357-362.

374 Gustave Guillaume, in Temps et verbe, op. cit., p. 133.