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II – Analyse dans le discours des capacités combinatoires de ir Définition provisoire du verbe ir

Nous pouvons d’ores et déjà postuler, en raison de ce qui a été dit au sujet de la dématérialisation, que le verbe ir est un et un seul, toujours et partout ainsi que le révèle son signifiant unique, et qu’il ne présente pas des valeurs multiples, des sens premier, second ou métaphorique.

Reste à savoir s’il exprime ou non un mouvement. Un grand nombre d’exemples semblent aller à l’encontre de l’idée de mouvement. Faut-il alors parler d’un mouvement qui pourrait être « spatial, temporel ou notionnel », pour reprendre les termes de Bernard Darbord et de Bernard Pottier? C’est ce que nous allons tenter de déterminer à travers l’analyse d’énoncés.

En effet, le verbe ir occupe un statut particulier dans la langue espagnole : il peut être suivi ou précédé de toute sorte d’éléments : formes verbales (quasi-nominales), formes adjectivales, adverbes, substantifs, pronoms, prépositions, conjonctions… Afin de rendre compte de toutes ces possibilités d’appariement, nous parlerons de capacité combinatoire du verbe, capacité qui, comme nous allons le voir dans le cas de ir, est quasiment illimitée.

Et c’est tout d’abord à travers ces combinatoires, c’est-à-dire, dans des énoncés (i. e., dans le Discours), que nous allons tenter d’approcher le signifié du verbe.

Revenons tout d’abord sur les périphrases, et sur les analyses sémantiques qu’en font les grammairiens. Nous adopterons ici une perspective onomasiologique158, puisque nous partirons des valeurs accordées aux « périphrases » avec ir – valeurs qui contrastent avec les périphrases construites avec d’autres verbes (estar, venir, andar ou encore seguir). Nous commencerons par essayer de faire la part de chacun des éléments de ces combinatoires afin d’approcher la valeur spécifique du verbe ir.

Le premier objet de notre observation sera la combinatoire avec gérondif.

ir et le gérondif

L’une des combinatoires les plus fréquentes avec ir est celle qui réunit ir et le gérondif. Elle est également l’une des combinatoires verbe + gérondif les plus utilisées,

158 Pour rappel, la définition du Petit Robert : « onomasiologie : étude de la désignation par un mot » in Le Petit Robert [1967] 1993, s. v. onomasiologie.

juste après les combinatoires avec estar. Le gérondif, parfois appelé « participio activo »159, se combine depuis les origines de la langue160 avec le verbe ir, dans des combinatoires pour créer un « effet de sens » bien particulier ; des combinatoires qui, contrairement à ce que suggèrent certains161, ne font l’objet d’aucune contrainte lexicale à la collocation.

De cette combinatoire, le gérondif semble porter la fonction prédicative, ainsi que le suggère Federico Hanssen :

[…] muy marcado es el carácter predicativo [del gerundio] en combinación con ser, estar, ir […]162

Cependant dire que le gérondif est seul porteur de la fonction prédicative revient à dire que le verbe qui le précède ne l’est pas, et partant, que son signifiant est

« insignifiant ».

De ce fait, certains affirment que « La valence du gérondif s’impose à l’auxiliaire qui perd son régime propre.163 ».

Or, comme nous l’avons vu, rien de tel ne se produit. Alors où situer ce sentiment d’unité ?

La constante de ces périphrases étant le gérondif, il conviendrait de regarder de ce côté, et d’observer ce qui se passe dans le cas concret de ir. Pour départager le rôle joué par chacun, il nous faut tout d’abord définir clairement la forme verbale appelée gérondif.

Définition du gérondif

Voici la définition que propose Chrystelle Fortineau dans sa thèse de doctorat sur le gérondif :

1) le gérondif est un apport de signification

2) il est lui même constitué d’un support (SUPG) et d’un apport (APG). Du support il ne nous est rien dit d’autre que son existence (en particulier, j’ignore quel est son rang) […]

– le fait que le gérondif ne soit qu’un apport de signification l’oblige à se rapporter à un support qui lui est extérieur. Le gérondif sera donc toujours dans la dépendance d’un autre terme.

159 Andrés Bello, Gramática de lengua castellana, op. cit., p. 441.

160 Chrystelle Fortineau, Le gérondif espagnol, op. cit., p. 100. Chrystelle Fortineau cite Muñío Valverde d’après qui la tournure ir + gérondif était majoritaire jusqu’au XIVème siècle.

161 Le Diccionario de documentos alfonsíes, déclare : « Junto con los gerundios de algunos verbos, denota la acción de ellos ». Diccionario de documentos alfonsíes, op. cit., s. v. ir. C’est nous qui soulignons.

162 Federico Hanssen, Gramática Histórica de la lengua castellana, Paris, Ediciones Hispano Americanas, 1966, p. 260.

163 Chrystelle Fortineau, Le gérondif espagnol, op. cit., p. 196.

– l’absence de la personne ordinale a pour corollaire l’incapacité du gérondif à situer l’événement dans le temps d’univers.164

Le gérondif est donc une forme avant tout « relative », dépendant d’une autre forme verbale, qui requiert – le plus souvent, car comme pour l’adjectif il existe également des constructions dites « absolues » – un support qui lui est extérieur, un support à la fois personnel et temporel. Le gérondif déclare l’existence d’une personne, sans pourtant en préciser le rang ; c’est à la forme verbale qui lui sert de support que revient la charge de l’assumer. Comme le dit Jack Schmidely :

[…] à la non personne, la forme verbale déclare bien l’existence d’un support, mais elle ne renseigne pas sur l’identité de ce support […]165

Une telle dépendance explique le lien particulier qui le lie à des verbes hyperonymes tels que estar, ir, etc.

Il est cependant des cas où il lui suffit de trouver son support dans la proposition principale :

Sin arrimo y con arrimo, sin luz y ascuras viviendo todo me voy consumiendo.

San Juan de la Cruz, « Sin arrimo y con arrimo… », 1618, p. 272.

…ou de se contenter d’un support personnel substantif ou pronominal, en particulier dans les noms de tableaux – comme le Mujer mirando por la ventana de Salvador Dalí –, ou les didascalies :

MAGDALENA. Maravilla

fuera, siendo tú mujer, no morirte por saber.

Tirso de Molina, La celosa de sí misma, Acto segundo, v. 1408-1410, p. 185.

NIÑA

(Tapando con una mano la boca a CLAVELA y continuando ella.) Una niña bordando.

Federico García Lorca, Mariana Pineda, Estampa Primera, Escena II, p. 208.

Nul besoin de supposer un verbe manquant (« la niña está bordando »), une ellipse ; le gérondif se suffit à lui-même pour déclarer une effection « atemporelle », ce qui lui permet justement de se situer dans n’importe quel espace temporel. Dans les énoncés supra il trouve son support personnel dans le sujet explicité (tú, niña, ella, una niña).

164 Ibid, p. 348.

165 Jack Schmidely, La personne grammaticale et la langue espagnole, Université de Rouen, 1983, p. 103.

On peut également voir dans le radical du gérondif, si l’on accorde quelque importance au signifiant, une signifiance toute particulière :

Dans le cadre de la théorie des cognèmes et de la reconnaissance de submorphèmes signifiants, on peut montrer que end involue les formants N et D : D pour l’achèvement, comme pour la finale dentale du prétérit, et N négatif inséré devant D, livrant une saisie imperfective de l’accès à la borne finale du procès ; il en résulte une synapse avec la conjonction and (qui pose un inachèvement en résolution) et la finale nt / nd du gérondif des langues romanes.166

Pour Didier Bottineau, le gérondif espagnol est un gérondif d’inaccomplissement, du fait même de sa composition submorphématique :

2.1.2.4. Gérondif d’intégration vs gérondif d’inaccomplissement

La genèse cognitive du gérondif d’intégration cursive –ing est fort différente de celle du gérondif d’inaccompli en nt ou nd et c’est ce trait intégratif qui rend possible en anglais la structure en be + -ing inattestée dans les autres langues.

Fait révélateur, quand on trouve en espagnol et italien l’inaccompli estar ou stare + gér., estoy trabajando, sto lavorando, c’est le verbe porteur de l’idéophone d’arrêt st qui est mobilisé, en congruence avec la finale nt du gérondif de ces langues, et par opposition avec le fusionneur be anglais, qui se lie à un gérondif intégratif. Be rapporte au procès l’entier ontologique du référent de la notion du sujet par intégration alors que le verbe estar intercepte l’instant existenciel pertinent et le prélève exclusivement, ce qui modifie totalement le rapport aspect / modalité : estar permet certes une modalisation interprétative, mais pas une caractérisation définitoire du sujet comme le fait be anglais ; au contraire, estar oppose contrastivement la propriété constatée au programme sémique présupposé, et ces démarches contraires sont étroitement liées à la profonde différence de nature entre les gérondifs intégratif et inaccompli.167

Voyons maintenant si les valeurs attribuées à nos combinatoires ir + gérondif se justifient, et à quel niveau il faut les situer (en Langue, en Discours ou si ces valeurs sont du domaine de la compétence linguistique). Nous analyserons successivement les effets de sens les plus fréquemment proposés : le mouvement, l’itération, l’inchoativité, le déroulement de l’action et la durativité, la progressivité ou la progression, la lenteur.

166 Didier Bottineau (2002), « Sémantique et morphosyntaxe des verbes aspectuels anglais », in Delmas, C., Roux, L. (dir.), Construire et Reconstruire en linguistique anglaise, Syntaxe et sémantique, C.I.E.R.E.C. Travaux 107, Publications de l’Université de Saint-Etienne, France, 209-242, p. 11.

167 Didier Bottineau (2004), « Le problème de la négation et sa solution dans la langue anglaise : le cognème N », in Claude Delmas, Louis Roux (éds.), La contradiction en anglais, C.I.E.R.E.C.Travaux 116, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 27-53,p. 11.

Le mouvement

Étant donné que ir est habituellement considéré comme un verbe de mouvement, on ne sera pas surpris de trouver, parmi les valeurs possibles des combinatoires de ce verbe avec le gérondif la notion de mouvement168 :

La acción durativa se completa con la idea del movimiento si construimos el gerundio con los verbos ir o venir.169

Ir, venir, y a veces seguir, unidos a un gerundio, añaden a la acción verbal la idea de movimiento.170

L’idée de mouvement… Qu’en est-il dans les énoncés ? Certes, les exemples suivants ne semblent pas contredire ces définitions :

Al ir subiendo los peldaños de la escalera que conducía a su cuarto, su furia se iba atenuando, y cuando abrió la puerta del dormitorio no sentía absolutamente nada.

El Gran Wyoming, Te quiero personalmente, p. 124.

Echóse mi hombre a la calle, y tiró por la de Mira el Río baja, cuya cuesta es tan empinada que se necesita hacer algo de volatines para no ir rodando de cabeza por aquellos pedernales.

Benito Pérez Galdós, Fortunata y Jacinta, Tomo I, p. 350.

Los clientes de la cafetería se iban apartando, cada vez más, de aquel grupo que cada cinco minutos estallaba en acciones violentas.

El Gran Wyoming, Te quiero personalmente, p. 163.

Por el camino, iban encontrando a otros hombres que iban acudiendo a la convocatoria megafónica, y que se sumaban a la persecución.

El Gran Wyoming, Te quiero personalmente, p. 166.

Recibía tan sólo la imagen borrosa de los objetos diversos que iban pasando […]

Benito Pérez Galdós, Fortunata y Jacinta, Tomo I, p. 316.

MUCHACHA 1A. Voy corriendo.

Federico García Lorca, Yerma, Acto Primero, Cuadro Segundo, p. 59.

168 Voir également Jean-Marc Bedel, Grammaire espagnole moderne, op. cit., § 331. b ; Jean Bouzet, Grammaire espagnole, op. cit., § 582, p. 253 ; Patrick Charaudeau, Bernard Darbord et Bernard Pottier, Grammaire explicative de l’espagnol, op. cit., « déroulement » § 3. 3. 1, et pour andar en n. 48 ; Pierre Gerboin et Christine Leroy, Grammaire d’usage de l’espagnol contemporain, op. cit., §§ 290-312 ; Real Academia Española, Esbozo…, op. cit., § 3. 12. 5. b.

169 Emilio Martínez Amador, Diccionario Gramatical, op. cit., s. v. Conjugaciones perifrásticas, p. 330.

170 Samuel Gili y Gaya, Curso…, op. cit., § 98, p. 114-115.

Si l’on observe ces énoncés attentivement, on comprendra vite que plusieurs facteurs contribuent à dire des combinatoires qu’elles expriment un mouvement concret.

Les verbes au gérondif impliquent dans chacun des cas un déplacement : subir, rodar, apartarse, encontrar, acudir, pasar, correr… On pourra nous opposer que rodar peut renvoyer à plusieurs opérations de divers degrés de concrétion, et que le signifié de pasar est sans doute moins évident qu’il n’y paraît. Pourtant, l’impression de mouvement demeure, et il n’y a pas à chercher très loin pour en comprendre la raison.

Les deux premiers énoncés regorgent d’indications spatiales : los peldaños, la escalera, el cuarto, la puerta del dormitorio dans un cas, la calle, la cuesta empinada, los pedernales dans l’autre, et le complément du verbe, de cabeza (qui ancre l’opération dans le mouvement concret en circonscrivant son champ d’application).

Dans les deux énoncés suivants, peu d’indications spatiales, la cafetería, por el camino, mais cela est suffisant. On trouve également des sujets animés supports des opérations, los clientes, plusieurs être de rang 3 et los hombres. A cela s’ajoute la persecución, qui, sans être une indication spatiale à proprement parler, implique dans son signifié même un déplacement bien concret.

Les deux derniers énoncés ne comportent pas d’indications spatiales, mais chez Galdós, le gène de l’opération se trouve être los objetos, un support concret et palpable qui offrent sa concrétion à l’opération de pasar. Enfin chez Lorca, une séquence des plus brèves, qui se suffit à elle-même, et surtout, qui suffit à créer l’effet de sens

“mouvement” en raison du signifié de correr, mouvement accéléré par antonomase.

Dans tous ces énoncés donc, la valeur de mouvement revient plutôt à la valeur lexicale du verbe au gérondif – et/ou, au contexte – qu’au verbe ir, car si l’on remplaçait ir par estar l’impression de mouvement persisterait, mais n’offrirait pas explicitement la possibilité de la prolongation de cette opération dans le futur, au-delà de l’instant présent.

Certains auteurs parlent d’un mouvement, réel ou figuré171 ou « notionnel »172, c’est-à-dire, comme le définit Bernard Pottier, une temporalité :

La idea de movimiento en el espacio que sugieren estos verbos [ir, venir, andar]

se transforma en idea de movimiento nocional (duración, permanencia, continuidad, etc. […])173

171 Andrés Bello, Gramática de lengua castellana, op. cit., § 1129. « Hemos mencionado antes (§§ 617 a 621) las formas compuestas de gerundio con el verbo estar; y a eso añadiremos que todas las veces que hay movimiento en la acción, aunque el movimiento no sea verdadero sino figurado, como el que nos representamos, por ejemplo, en las operaciones intelectuales, es preferible ir a estar: (…) »

172 « El concepto de movimiento debe ser entendido triplemente : cambio de lugar en el espacio / Cambio de lugar en el tiempo / Nocional (movimiento figurado) » in Bernard Pottier (1961), « Sobre el concepto de verbo auxiliar », op. cit., p. 326-327.

173 Carmen Galán Rodríguez (1987), « Los verbos de movimiento en la prosa alfonsí », in Actas del I Congreso Internacional de Historia de la Lengua Española, Madrid, Arco Libros, 1988, 357-362.

Cette idée de mouvement « figuré » ou notionnel est loin d’être satisfaisante, puisqu’elle fait une fois de plus appel à la notion de mouvement. De telles définitions suffisent-elles à rendre compte de tous les cas de figure ?

D’autres interprétations, plus précises, sont proposées, comme celle de l’itération.

L’itération

L’une des valeurs attribuées à cette combinatoire, et qu’il nous faut évoquer, est la valeur itérative174, bien que certains prétendent que la « reiteración » est « incompatible con el matiz duradero del gerundio »175. Pourtant, il est des exemples où cette impression d’itération, ou de paliers successifs, semble évidente :

El interior del armario se va llenando de trajes y camisas que segmentan la oscuridad y van poniendo una distancia incalculable entre el sujeto y la mujer.

Juan José Millás, El desorden de tu nombre, p. 88.

– Bueno, venga, traedlo para acá, pero antes sacad a otro [enfermo], y los vais mandando en taxis, no podemos estar esperando ambulancias.

El Gran Wyoming, Te quiero personalmente, p. 185.

¿De dónde has sacado las ideas?

– No sé, se me han ido ocurriendo.

El Gran Wyoming, Te quiero personalmente, p. 60.

No me abrumes que no estoy para excesos. Yo te iré indicando mis necesidades y posibilidades.

El Gran Wyoming, Te quiero personalmente, p. 69.

Une fois de plus, il suffit de chercher dans le contexte les raisons de cet effet de sens, que l’on ne peut donc attribuer ni à ir ni au gérondif, mais que l’un comme l’autre permettent, ou tout au moins, n’interdisent pas :

Chez Wyoming, L’armoire se remplit de plusieurs éléments de garde-robe, costumes, chemises, qui l’intègrent, un à un, dans une réitération de l’opération, une opération discrète par définition (llenar).

De même, « sacad a otro enfermo » implique plusieurs malades, ce que confirme, immédiatement après, le pronom los. Il faut les envoyer en taxi un par un, en attendant l’arrivée de l’ambulance, il y a donc là encore un processus qui se répète autant de fois qu’il y a de malades.

Les idées qui viennent à l’esprit de Romero sont elles aussi plusieurs, et ne lui surviennent pas toutes à la fois, mais les unes après les autres.

174 Voir Jean-Marc Bedel, Grammaire espagnole moderne, op. cit., § 398.

175 Emilio Martínez Amador, Diccionario Gramatical, op. cit., s. v. Conjugaciones perifrásticas, p. 330.

Et enfin, Romero tentant de freiner le débordement sexuel de Sara lui demande de respecter ses besoins et ses possbilités, à mesure qu’il formulera les unes et les autres.

Ici encore, le contexte et la situation permettent de comprendre une interprétation itérative. Ce n’est donc pas la combinatoire qui offre l’idée d’itération, mais bien l’énoncé dans sa totalité.

Il ne faut donc pas attribuer à la combinatoire dans sa totalité cet interprétation itérative, mais bien à la spécificité des verbes qui accompagnent ir.

Mais qu’en est-il de l’inchoativité ? Est-elle également un simple effet de sens offert par le contexte ou le propre de la combinatoire ir + gérondif ?

L’inchoativité

Cet effet de sens est fréquemment évoqué par les grammaires :

Cette locution verbale peut prendre une valeur inchoative ; dans ce cas elle équivaut au français ‘commencer à + verbe’. […]

– Vaya hirviendo la jeringuilla, Antonio. (A. M. de Lera.)176

Il faut souligner que cet exemple est pernicieux. Il s’agit peut-être d’un choix inconscient, qui fait coller l’énoncé à l’effet de sens que l’on veut faire porter à la combinatoire : enjoindre quelqu’un de faire quelque chose, à travers l’emploi d’un impératif suppose que l’action est à venir et à « démarrer », et donc forcément inchoative. L’inchoativité n’est donc pas le fait du gérondif, mais bien de l’impératif.

D’autres considèrent cet effet de sens comme le propre des combinatoires avec ir, par opposition aux combinatoires impliquant d’autres verbes :

Même à l’intérieur des limites de l’action, l’espagnol oppose finement, à l’aide des auxiliaires ir/seguir/venir/andar, la position du sujet dans le cours de l’action :

Voy estudiando… (le début) :177

On aurait donc ir + gérondif pour le début, ce qui est loin d’être évident, car l’on constate plutôt une effection en cours, prise dans son déroulement même, surtout avec cet exemple où le verbe ir est au présent. Si seguir peut offrir une continuité, ce que sont censés exprimer venir et andar n’est pas clair. L’exemple que Patrick Charaudeau, Bernard Darbord et Bernard Pottier offrent ensuite n’est pas plus convaincant :

176 Jean Coste et Augustin Redondo, Syntaxe de l’espagnol moderne, op. cit., p. 465. Et Rufino José Cuervo, Diccionario de construcción y régimen de la lengua castellana, op. cit., s. v. ir ; Patrick Charaudeau, Bernard Darbord et Bernard Pottier, Grammaire explicative de l’espagnol, op. cit., p. 184.

177 Patrick Charaudeau, Bernard Darbord et Bernard Pottier, ibid, p. 184.

“… el Camino de Santiago. ¡Aquella ruta poblada de riesgos y trabajos, que la sandalia del peregrino iba labrando piadosa en el polvo de la tierra!” (Valle-Inclán).178

…car on ne voit pas en quoi « iba labrando », offre l’image d’un « début ».

De plus, la confusion entre la valeur propre à la combinatoire et la valeur lexicale de l’une de ses composantes n’est pas toujours clairement exposée :

Va anocheciendo. Il commence à faire nuit.179

Tout comme dans le premier exemple (« Vaya hirviendo la jeringuilla »), le grammairien se laisse abuser par sa traduction. Car dire que c’est la périphrase qui porte l’inchoativité dans « va anocheciendo », c’est oublier que c’est anochecer que l’on est en train de traduire lorsque l’on propose « il commence à faire nuit », et que l’on ne procèderait pas autrement si l’on disait « Anochece ».

Tout comme dans le premier exemple (« Vaya hirviendo la jeringuilla »), le grammairien se laisse abuser par sa traduction. Car dire que c’est la périphrase qui porte l’inchoativité dans « va anocheciendo », c’est oublier que c’est anochecer que l’on est en train de traduire lorsque l’on propose « il commence à faire nuit », et que l’on ne procèderait pas autrement si l’on disait « Anochece ».