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2.2 Caractéristiques (propriétés) du multimédia et potentialités pédagogiques

2.2.2 Multicanalité

La multicanalité ou la multimodalité, selon TRICOT (2007), désigne la coexistence de divers canaux de communication sur un même support. Selon LANCIEN (1998), la

multicanalité permet de faire coexister des images, des sons et des textes selon des combinaisons variées. Cet attribut fait que les documents multimédias mobilisent plusieurs sens, comme la vision et l‟audition en vue de les comprendre. La convergence de ces canaux est régie par un programme informatique qui en facilite l‟accès. Celui-ci permet la possibilité d‟intégrer des documents de différents formats au sein d‟un seul (TRICOT, 2007). Par exemple, un document écrit peut intégrer un document sonore et/ou un film vidéo. C‟est en effet ce système informatique qui permet de relier ensemble divers documents conçus de façon autonome. L'intérêt de la multicanalité résiderait alors dans la pertinence et la richesse des liens créés entre les médias qu‟il est possible de consulter conjointement. Cette particularité du multimédia constitue un atout pour l‟utilisateur-apprenant dans la mesure où il est placé dans une situation active.

La multicanalité permet d‟offrir aux apprenants toutes sortes d‟aides linguistiques, textuelles et contextuelles permettant un travail riche en termes de compétence de communication mais aussi d‟aptitudes. L‟originalité de la mise en relation des médias et la variété des choix offerts à l‟apprenant constituent, selon MANGENOT et LOUVEAU (2006), l‟un des critères pour évaluer la pertinence des nouveaux multimédias par rapport aux anciens (la vidéo, notamment). En effet, certains produits multimédias de langues comme les CD-ROM permettent de visionner une vidéo avec un titrage dans la langue cible. Ces sous-titrages peuvent à tout moment être activés pour donner aux apprenants des aides lexicales, grammaticales ou même culturelles. Ces aides permettent aux apprenants de rapprocher la langue cible (comme description d‟un système intériorisé) de son actualisation dans le discours (la langue telle qu‟elle est parlée en situation – comme dans la vidéo qui donne aussi des indications contextuelles). Ainsi, la correspondance entre les médias (ou les différentes formes de représentation de l‟information) peut constituer une excellente aide à la compréhension, à la mémorisation et à l‟expression de la langue si les systèmes d‟agencement des médias se basent sur des règles de complémentarité plutôt que celles de redondance ou de contradiction (CRAIK, 1979).

Plusieurs études conduisent généralement à montrer que l‟utilisation simultanée ou complémentaire de plusieurs médias constitue l‟approche la plus efficace du point de vue pédagogique. NUGENT (1982) dont les recherches combinent différents médias comme l‟écrit, l‟audio et l‟image montre que la combinaison image + son ou image + texte s‟avère plus efficace que le recours à une seule de ces modalités de communication. Son étude

suggère par contre la combinaison judicieuse des différents canaux de façon à éliminer la redondance entre les informations transmises. MAYER et ANDERSON (1991, 1992) montrent aussi une amélioration de la compréhension d‟une leçon quand ils combinent une animation avec un texte écrit pour démontrer le fonctionnement d‟une pompe à vélo. D‟autres études, comme celles de DESCHRYVER (1994) ; LESGOLD, LEVIN, SHIMRON et GUTTMAN (1975) permettent aussi de mettre en évidence l‟utilité pédagogique de ces rapports de convergence entre les médias. DESCHRYVER (1994) à partir de plusieurs expériences menées sur la base d‟un dispositif multimédia destiné à la formation d‟adultes, constate le rôle prépondérant que jouent l‟image et en particulier des séquences animées accompagnées de sons d‟ambiance, sur ce qui est retenu par les apprenants. L‟étude de LESGOLD et al. (1975) démontre que les capacités à construire spontanément des images mentales à partir des stimuli verbaux est bien moindre chez les enfants que chez les adultes. Ainsi donc, le recours aux images dans l‟enseignement/apprentissage des enfants est d‟autant plus important pour améliorer leur capacité de rétention de l‟information. CRAIK (1979) souligne dans son étude les rapports de complémentarité qu‟entretiennent les images et les commentaires verbaux. Pour lui, les commentaires verbaux (textes et messages oraux) servent à interpréter les images tandis que les images permettent d‟exemplifier les concepts verbaux. Cette étude suggère alors la prépondérance des rapports de complémentarité sur les autres types d‟agencement dans la conception des produits multimédia pour l‟enseignement. Cette complémentarité des canaux rend la communication multimédia plus efficace, d‟autant plus qu‟elle facilite la mémorisation de l‟information et son rappel chez l‟apprenant.

En effet, la théorie du double codage "Dual Coding Theory" de PAIVIO (1974) met en évidence la supériorité d‟une présentation multimédia basée sur la complémentarité entre codage verbal (textes, sons) et codage iconique (images fixes ou animées). Dans le double codage, les procédés qui ont servi à l‟apprenant en amont pour mémoriser l‟information lui servent en aval pour la récupérer. Des études permettent de démontrer le fait que ce qui est encodé à la fois au niveau verbal et iconique a plus de chance d‟être retrouvé. Car, si l‟une des traces mnémoniques est perdue, l‟autre reste disponible et permet la récupération de l‟information en mémoire (DEPOVER et al., 1998). L‟information étant mémorisée à l‟aide de deux ou plusieurs canaux (sous forme d‟image et sous forme verbale, par exemple), si l‟apprenant n‟arrive plus à se rappeler sa forme verbale, il peut du moins récupérer le mot manquant en voyant son image. Les relations qui s‟établissent entre les systèmes verbal et iconique contribuent également à renforcer la prégnance des traces mnémoniques chez

l‟apprenant. Aussi, le modèle du double encodage prévoit la prégnance du canal iconique sur le canal verbal dans une communication faisant intervenir les deux canaux. L‟image étant mieux mémorisée, il sera souvent plus judicieux de prévoir un commentaire (écrit ou verbal) au service de l‟image plutôt que l‟inverse (DEPOVER et al. idem).

Par ailleurs, la communication basée sur une pluralité de médias pourrait aussi s‟expliquer du point de vue de la notion de système symbolique (SALOMON, 1979 ; EISNER, 1978 ; MOLES, 1981 ; GARDNER, 1982). Les systèmes symboliques correspondraient à des langages de communication particuliers qui se définissent par une sémantique et une syntaxe propres et associés à un ou plusieurs médias. Pour EISNER (1978), chaque système symbolique est doté d‟une capacité spécifique à transmettre des informations. Chaque système symbolique permet de communiquer une partie de la réalité en utilisant le système de signes qui lui est propre et en privilégiant certains aspects de cette réalité. Ainsi, dans un but pédagogique, les systèmes symboliques peuvent favoriser l‟apprentissage s‟ils sont combinés d‟une manière qui tienne compte des compétences particulières à construire et des caractéristiques individuelles des apprenants, car :

« selon le ou les systèmes symboliques qu‟il mettra en œuvre, un média particulier différera quant à la manière dont il représentera l‟information à transmettre mais influencera aussi la façon dont cette information sera décodée par le récepteur (certains systèmes symboliques étant plus faciles à décoder que d‟autres) » (DEPOVER et al. 1998 :14).

En fait, le multimédia fait appel à plusieurs systèmes symboliques pour véhiculer l‟information. L‟ordinateur étant un outil de communication multimédia en soi, il permet de véhiculer vers l‟apprenant des messages relevant de plusieurs systèmes symboliques (langage cinématographique au niveau du cadrage et des enchaînements, langage oral, écrit, musical, etc.), grâce à ses combinaisons multimodales. Trois principaux systèmes symboliques sollicités par la communication multimédiatique sont identifiés par SALOMON (1979) : le digital qui correspond au texte écrit ; l‟analogique qui correspond au langage verbal et l‟iconique qui correspond à l‟image. L‟image sert à présenter directement les choses tandis que la parole sert à les suggérer (ARNHEIM, 1986). Cette dernière exige de la part du sujet un effort important de reconstruction de la réalité. Ces fonctions permettraient de caractériser l‟image comme un médium utilisé pour concrétiser ou mettre en situation alors que la parole ou le son sert à exprimer des éléments plus abstraits de la langue ou pour évoquer des sentiments.

SALOMON (op. cit.) introduit plus tard, un système d‟opposition entre systèmes symboliques statiques et systèmes dynamiques. Les représentations statiques présentent l‟information d‟une manière statique (tel le plan d‟une ville, par exemple) alors que les représentations dynamiques consistent en une suite d‟informations ou en la transformation de l‟information (tel le mouvement panoramique de la caméra dans un film). Les deux types de représentations, si elles sont exploitées d‟une manière adéquate, contribueraient à modifier les stratégies cognitives de l‟apprenant. La représentation dynamique, quant à elle, permet à l‟apprenant de modifier son point de vue dans la manière de voir les choses. Celle-ci peut en effet, le conduire progressivement à mieux adapter ses stratégies de prise d‟information aux exigences cognitives de la tâche à réaliser (DEPOVER et al., 1998). Néanmoins, des travaux comme ceux de MAYER (2001), BETRANCOURT, BAUER-MORRISSON et TVERSKY (2001), LOWE (2003) et BETRANCOURT (2005) montrent l‟efficacité relative des représentations dynamiques. Parmi d‟autres inconvénients imputables aux représentations dynamiques, LOWE cite des problèmes de compréhension incomplète dus à une plus grande attention accordée au « dynamique » au détriment du « statique ». De même, il cite des problèmes de submersion dus au flot d‟information dans ce qui est dynamique. Enfin, il évoque la sous-implication des individus dans le traitement des animations. L‟efficacité des représentations dynamiques dépendrait donc de l‟effort cognitif fourni par l‟apprenant pour les comprendre (BETRANCOURT, 2005). Puisque l‟apprenant n‟a aucun contrôle sur les éléments d‟une représentation dynamique (voire sur la séquence, le moment et la vitesse d‟apparition des éléments ainsi que sur le temps de traitement), l‟utilisation de celle-ci dans l‟apprentissage doit tenir compte des connaissances antérieures de l‟apprenant sur les phénomènes étudiés. Ces dernières faciliteraient alors le traitement des éléments par l‟apprenant. Aussi, le choix d‟une présentation dynamique d‟une information doit se faire en rapport avec les possibilités de l‟outil à se prêter au contrôle de l‟apprenant. C‟est-à-dire que le document multimédia (cédérom ou page) doit laisser à l‟apprenant la possibilité de stopper le défilement des images s‟il le souhaite, de faire des retours en arrière ou de jouer à plusieurs reprises des parties pour pouvoir les comprendre. Il peut de même faire disparaître le texte (les sous-titrages) et se baser uniquement sur une compréhension par les images ou vice-versa. Nous envisageons des scénarios où, dans un premier temps, l‟apprenant peut écouter ou lire le document pour essayer de détecter (sans l‟aide des images dynamiques) les changements qui interviennent dans l‟information. Pour les apprenants, ce type d‟exploitation les pousserait à questionner les mots et la structure afin d‟en déduire la signification. Ensuite, dans un second temps, une autre étape consisterait à présenter les images dynamiques sans le

texte ni le son. Cette étape permettrait alors aux apprenants de faire différentes associations entre les images dynamiques et le texte écouté ou lu préalablement. Enfin, à une dernière étape, le matériel pourrait être présenté en laissant aux apprenants la possibilité de traiter simultanément les informations sous les différents canaux. S‟il existe des produits multimédias qui laissent ces possibilités de contrôle, leur utilisation selon l‟approche proposée ci-dessus permettrait aux apprenants d‟élaborer une compréhension plus globale des informations dynamiques. A notre connaissance, peu de produits multimédias offre ces genres de possibilités. Une telle approche permettrait néanmoins, à chaque passage du document sous l‟une de ses modalités, de combler les zones d‟ombre ou de doute sur les éléments dont les apprenants disposent de peu ou d‟aucune ressource pour leur traitement cognitif.

D‟une façon générale, les exemples de DEPOVER et al. (1998) permettent de voir clairement les avantages d‟une présentation par différents canaux pour la formation des représentations, la compréhension et l‟assimilation des concepts chez les apprenants :

« On sait qu‟un schéma, donc une représentation iconique, permettra plus sûrement de décrire l‟itinéraire à suivre pour aller d‟un lieu à un autre que ne pourra le faire une description verbale orale ou écrite. De même un vidéogramme montrera beaucoup plus clairement la procédure à suivre pour réaliser un nœud marin que ne le fera une image imprimée. C‟est essentiellement au bruit qu‟il émet que se guidera un technicien chevronné pour régler un moteur» (DEPOVER et al, 1998 : 15).

Etant donné le rôle spécifique que chaque canal joue, le choix des canaux doit se faire en fonction de l‟activité d‟apprentissage, des habiletés mentales des apprenants ainsi que des processus à stimuler en vue de l‟acquisition des connaissances. Aussi, ce choix doit dépendre des objectifs communicationnels qu‟on compte réaliser dans la salle de classe. Toutefois, la combinaison judicieuse de différents canaux s‟avère aussi rentable dans des situations conversationnelles. Dans ce cas, les images peignent intégralement le contexte et la situation d‟échange, les positions et les gestes des interlocuteurs en présence tandis que les paroles appuient le sens que les apprenants se font à partir des indications visuelles (images et textes). La combinaison des canaux d‟une manière complémentaire est davantage plus utile dans des cas où il s‟agit d‟enseigner des manières de vivre/faire selon la culture de la langue cible. Par exemple, le couplage d‟une vidéo à un commentaire enregistré permettrait à l‟apprenant de mieux comprendre les règles de bienséance à observer pendant une invitation à diner. Des séquences d‟images fixes présentées avec des petits textes explicatifs en dessous

permettraient mieux de faire comprendre aux apprenants certains gestes des Français que ne le ferait une description verbale de ces gestes. Une vidéo aiderait les apprenants à mieux conceptualiser les circonstances d‟usage des formes „„vous et tu‟‟ en français plus qu‟une description écrite ou verbale des règles de la pragmatique.

Enfin, nous voudrons rappeler à la suite des auteurs comme SWELLER (2003) et TRICOT (2007) que le choix des modes de combinaison des différents canaux doit éviter à l‟apprenant la surcharge cognitive, pouvant être due à un texte trop segmenté ou bien à une page Internet trop chargée. (CHANIER, 2000). Il y a surcharge cognitive quand, à un moment donné de sa recherche, l‟apprenant ne se rappelle plus le but ou l‟objectif initial de sa navigation. Ce phénomène survient quand le document multimédia présente une information trop riche à travers des canaux de communication multiples. Du moment où l‟apprenant est submergé par le flot d‟informations, il n‟arrive plus à s‟en représenter la cohérence d‟ensemble et il choisit arbitrairement ses parcours. Il risque ainsi de négliger l‟essentiel pour la tâche (DEPOVER et al., 1998). Ainsi, la conception des produits multimédias doit privilégier la complémentarité des canaux et éviter de surcharger les pages avec des informations redondantes. A notre avis, des cédéroms ou sites dont la structuration présente un maximum de trois à cinq contenus par page ou fenêtre ouvert, seraient plus lisibles. L‟expérience de navigation serait alors plus facile et intéressante. Les produits (authentiques ou didactiques) dont la maquette de présentation est claire et limpide seraient donc ceux qui pourraient en effet, servir de tremplin à des activités pédagogiques. De part l‟organisation de leurs contenus, ils présentent l‟avantage d‟expier la majorité des difficultés associées à la navigation dans le produit, tout en laissant aux apprenants la possibilité de se concentrer sur les objectifs, les parcours et les buts de la tâche. Les études sur la présentation multimodale et sur l‟ergonomie cognitive des interfaces (SCHNEIDERMAN, 1987 ; HENDERSON, 1986) permettent justement aux concepteurs de produits, d‟adopter des nouvelles approches plus intuitives de combinaison multimodale qui stimulent la navigation des apprenants. Les concepteurs proposent de plus en plus de produits dont les interfaces à fonction évolutive s‟adaptent aux capacités cognitives des apprenants ou aux besoins contextuels de la tâche à accomplir (DEPOVER et al., 1998). Dans le chapitre consacré à la discussion des données des tâches de navigation sur l‟Internet, nous reviendrons en détail sur ces caractéristiques multimodales qui facilitent la compréhension et le développement de stratégies d‟exploration chez les apprenants.

Ayant fait le rappel de quelques travaux sur la multicanalité, nous allons discuter à présent une autre propriété qui fait du multimédia l‟instrument clé en pédagogie contemporaine. Cet atout est étroitement lié à l‟hypertextualité et à la multicanalité dont nous venons de parler. En effet, les deux premières caractéristiques déjà évoquées permettent, grâce à l‟interactivité machinique, de joindre des pôles diverses d‟une même information dans le multimédia.