• Aucun résultat trouvé

Mouvements : des femmes, féministes et Autochtones

Chapitre 1 : Cadre contextuel et problématique

1.1 Contexte : Le Mexique et les violences faites aux femmes

1.1.2 Mouvements : des femmes, féministes et Autochtones

Il est important de souligner que le mouvement des femmes18 en général est multiple et

diversifié19. Au Mexique en particulier, selon l’anthropologue mexicaniste Dominique Raby (2011), il

est marqué depuis quelques années par l’interculturalité20 qui cherche à valoriser les différentes

cultures sans nier les possibles rapports de pouvoir coloniaux. La sociologue féministe Jules Falquet (2008 et 2011) situe l’émergence du féminisme latino-américain et caribéen, dit autonome, dans les années 1990. Elle analyse d’ailleurs les effets du néolibéralisme (de l’ALENA) sur les femmes (Falquet, 2010). L’anthropologue féministe mexicaine Gisela Espinosa Damián (2009) aborde quatre aspects, quatre angles du féminisme mexicain des années 1970 au début du XXIe siècle, soit : le

féminisme historique, le féminisme populaire, le féminisme civil, et le féminisme autochtone. Je désire m’attarder davantage à la condition des femmes mexicaines autochtones puisque leur condition est souvent évoquée par les participantes.

Au plan national, les femmes autochtones mexicaines revendiquent une amélioration de leurs conditions de vie et une reconnaissance en tant que citoyennes à part entière auprès de leurs communautés (Espinosa Damián, 2009). En somme, elles demandent le respect de leur condition de femmes (Nadal, 2008). L’anthropologue mexicaniste Marie-José Nadal (2008) souligne que les revendications des organisations de femmes autochtones bouleversent l’imaginaire social et les

18 Sánchez Néstor explique en note de bas de page la différence entre le mouvement des femmes et le mouvement féministe en ces termes : « Au Mexique et en Amérique latine et aux Caraïbes on différencie clairement le mouvement féministe – qui implique l'acceptation des trois points la fin de la violence contre les femmes, la maternité libre et volontaire et la défense de la libre option sexuelle – et le mouvement des femmes, élargi aux femmes des secteurs populaires et plus généralement organisées, même si elles ne se reconnaissent pas dans tous les objectifs du féminisme » (2005 : 56, souligné dans l’original).

19 À ce sujet, un numéro de la revue Nouvelles questions féministes porte sur les « Féminismes dissidents en Amérique latine et aux Caraïbes » et explore les diverses formes et courants féministes qui y émergent depuis les années 1970 (Curiel, Masson et Falquet, 2005).

20 Bien que Raby (2011) fasse référence à l’interculturalité, je préfère personnellement utiliser l’expression multiculturalité, considérant que le Mexique et le mouvement des femmes peuvent faire preuve d’exclusion, comme en témoigne Sánchez Néstor (2005) dans son texte.

rapports sociaux de sexe en invitant les décideurs au dialogue interculturel. « Enfin, elles politisent des rapports sociaux qui n’avaient pas été considérés comme politiques jusqu’à récemment dans les communautés autochtones et elles mettent en évidence que les rapports de pouvoir passent aussi par le corps » (Nadal, 2008 : 95). D’ailleurs, la militante autochtone Sánchez Néstor (2005) explique bien l’exclusion dont sont victimes les femmes autochtones au sein du mouvement militant pour les droits autochtones en tant que femmes, et au sein du mouvement féministe, en tant qu’Autochtones; il s’agit de l’intersectionnalité des oppressions que je détaillerai dans le cadre conceptuel au prochain chapitre. Nadal (2008) souligne que les femmes autochtones mexicaines sont victimes d’une double soumission, soit à la domination masculine et à l’exclusion ethnique. De plus, elles sont, la plupart du temps, pauvres, ce qui les soumet encore à une autre forme d’oppression (Nadal, 2008).

Il est intéressant de noter la différence entre le mouvement des femmes et le mouvement féministe mexicain : le premier regroupe toutes les femmes; le second est une posture critique contre les oppressions (Espinosa Damián, 2009; Sánchez Néstor, 2005). Or, « [s]i la plupart des organisations de femmes indiennes21 au Mexique ne se définissent pas comme féministes (Sánchez

Néstor, 2005), c’est parce que le féminisme métis22 ne se préoccupe pas suffisamment des

problèmes de race et de classe qui structurent leurs expériences quotidiennes » (Masson, 2006 : 67). Notamment, les femmes autochtones des régions rurales se retrouvent à devoir23 à la fois justifier la

lutte au sexisme dans les groupes autochtones et la lutte à l’ethnocentrisme dans les groupes féministes (Hernandez Castillo, 2001; Sánchez Néstor, 2005), elles opèrent ainsi une « double rupture » (Masson, 2006 : 67). La sociologue souligne l’importance d’une analyse matérialiste des rapports de sexe/genre24, de race et coloniaux pour parvenir à leur décolonisation (Masson, 2006).

Cette « triple oppression » est d’ailleurs dénoncée par le mouvement des femmes autochtones du Mexique (Curiel, Masson et Falquet, 2005 : 7).

Fait intéressant à noter, les femmes autochtones mexicaines se sont quelques fois vues reprocher de diviser le mouvement de revendications autochtones (Hébert et Beaucage, 2008). La condition des femmes autochtones mexicaines n’est pas sans rappeler la condition des femmes

21 Masson choisit d’utiliser le terme « indienne » et indique que c’est pour conserver le sens politique qu’il revêt au Mexique.

22 Je souligne qu’au Mexique il est courant de se considérer comme métis, c’est-à-dire que toutes et tous sont issus du croisement de sang entre les colons Espagnols et les Autochtones.

23 Comme le souligne Lorde, « c’est aux opprimé-e-s qu’incombe la responsabilité de faire prendre conscience aux oppresseurs de leurs erreurs » (2003 : 126).

noires américaines à l’origine du mouvement du Black feminism (hooks25, 1984; Falquet, 2008). En

effet, ces femmes n’avaient de place à part entière dans aucun mouvement, ni celui de défense de droits des Noirs, où elles étaient considérées comme des inférieures, ni dans le mouvement féministe à tendance « blanche-petite-bourgeoise », puisque considérées comme Autres (Lorde, 2003). Il est important d’en prendre acte afin de mieux comprendre les critiques adressées par des participantes quant au mouvement féministe mexicain. Ainsi, on veut masquer les dénonciations de problèmes plus spécifiques au nom du « bien commun » (Hébert et Beaucage, 2008). Lorde note que « c’est aux opprimé-e-s qu’incombe la responsabilité de faire prendre conscience aux oppresseurs de leurs erreurs. […] Les oppresseur-e-s conservent ainsi leurs prérogatives et fuient la responsabilité de leurs actes » (2003 : 126). Selon Nadal (2008), la violence est un instrument du pouvoir et nie le sujet, elle le soumet. Relatant la nécessité d’une société d’avoir des outsiders pour assurer une norme, elle souligne que, malgré qu’on veuille rejeter cette différence, les femmes Noires ont trois options possibles : l’ignorer, la reproduire ou la détruire. Dans la même foulée, les femmes rurales mexicaines reprochent aux femmes urbaines de Mexico, souvent de classe moyenne et aisée, de ne pas refléter leurs réalités (Labrecque, 2000; Lang, 2003).