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Chapitre 1 : Cadre contextuel et problématique

1.1 Contexte : Le Mexique et les violences faites aux femmes

1.1.5 Ciudad Juárez

Les années 1990 marquent une hausse globale des meurtres d’hommes et de femmes à Ciudad Juárez mais, depuis 1993, une hausse de la violence à l’encontre des femmes est notable55

dans la ville frontalière (Calzolaio, 2012). Le contexte particulièrement violent à l’encontre des femmes de Ciudad Juárez a été qualifié de féminicide (Labrecque, 2012). Dans La ville qui tue les

femmes, Enquête à Ciudad Juárez (2005), les journalistes Jean-Christophe Rampal et Marc

Fernandez tentent de faire une revue de toutes les pistes suivies par les enquêteurs, les avocats, les journalistes et les parents des victimes pour expliquer pourquoi tant de femmes sont portées disparues, enlevées, violées, torturées, séquestrées et retrouvées – quand elles le sont – assassinées depuis plus de vingt ans dans cette petite ville frontalière du nord du Mexique. Le journaliste Victor Ronquillo, pour sa part, expose où en sont rendues les enquêtes après 10 ans dans son livre Las Muertas de Juárez. Crónica de los crimenes mas despiadados e impunes en México56

(2004). Labrecque (2012) évoque quant à elle les flous linguistique, politique et juridique qui entourent les féminicides de Ciudad Juárez et signale que le patriarcat compte, de façon générale, parmi les causes possibles de ce phénomène. S’inspirant du Centro para la Acción Legal en

Derechos Humanos57, Masson (2006 : 58) affirme que les féminicides sont « le double produit d’un

système patriarcal et (néo)colonial ». Tel que mentionné précédemment, le colonialisme est souvent utilisé comme concept pour nommer les violences structurelles et sociales vécues au Mexique. D’ailleurs, plusieurs des participantes y font référence.

55 Labrecque (2012) souligne qu’il est important de noter que si la date de 1993 est souvent utilisée comme référence, ce n’est pas parce qu’avant la violence contre les femmes était nécessairement moindre, mais simplement parce que c’est à partir de cette date qu’on a commencé à répertorier statistiquement et systématiquement les meurtres de femmes. 56 Les mortes de Juarez. Chronique des crimes les plus impitoyables et impunis au Mexique.

57 Centre pour l’action légale en droits humains (CALDH, 2006). NB : Afin de rendre justice aux expressions espagnoles et anglophones, j’utilise le terme « droits humains » qui est beaucoup plus inclusif et moins colonial que l’expression « Droits de l’Homme » héritée de la Révolution française et qui n’incluait alors ni les femmes, ni les personnes de couleur, ni les classes sociales pauvres. Pour une critique du contrat social de Rousseau, on consultera l’article de Françoise Picq (1995).

Certes, la plupart de ces auteures abordent les causes présumées du phénomène du féminicide. Aussi, il est important de prendre en compte le fait que Ciudad Juárez (voir une carte qui la situe en Annexe 8) s’est transformée en un puissant symbole qui vient alimenter le discours sur toutes les formes de violences faites aux femmes au Mexique. Cette ville frontalière est un lieu de passage vers les États-Unis. L’anthropologue Jorge Alonso (2004) souligne que les familles migrantes restent coincées dans cette ville frontalière où les femmes se trouvent un emploi dans les

maquiladoras (voir une vue aérienne des maquiladoras de la frontière de Ciudad Juárez en Annexe

9) pendant que leur mari passe la frontière. Plusieurs théories ont été élaborées par les autorités mexicaines gouvernementales et policières, aucune conclusion ne peut être retenue (Alonso, 2004), mais il est clair que le féminicide fait partie du contexte des violences faites aux femmes au Mexique.

Ainsi, la principale cause de la perte de contrôle des autorités sur le phénomène du féminicide serait l’impunité, l’inaction des autorités soit par laxisme ou par désintérêt (Alonso, 2004). Les féministes Diana E. Russell et Roberta A. Harmes (2006) accusent l’État mexicain d’avoir laissé dégénérer la situation de par son inaction et son laxisme dans la recherche des coupables. Différents exemples sont donnés, on parle de non-intervention des policiers, de délais incroyables dans les enquêtes, de responsabilisation des victimes. À ce sujet, Marcela Lagarde y de los Ríos souligne dans la préface de Terrorizing women. Feminicide in the Americas (Fregoso et Bejarano, 2010) que l’impunité peut également être considérée comme une forme de violence féminicide (feminicidal

violence), ou à tout le moins comme un facteur la facilitant. De plus, ces auteures ajoutent les

violences institutionnelles au nombre des causes du féminicide.

Dans un autre ordre d’idée, l’État patriarcal est nommé et dénoncé par plusieurs théoriciennes féministes comme étant responsable des violences féminicides. « Quand ceux qui détiennent le pouvoir se sentent menacés ou défiés par leurs subordonnées, typiquement, ils se sentent en droit d’utiliser toute la force qu’ils jugent nécessaire pour se maintenir au pouvoir » (Russell et Harmes, 2006 : 346). Comme le soulignent Russell et Harmes (2006), le féminicide est une forme extrême de la haine basée sur le sexe58 et est à la fin de la lignée de la terreur sexiste

s’exprimant sous différentes formes. De plus, Julia Estela Monárrez Fragoso (2002) souligne que les hommes qui participent au féminicide réagissent en fait à l’émancipation des femmes de leur

58 Afin de respecter la nomenclature des auteures j’ai écrit sexe, mais le phénomène peut être compris comme une violence de genre.

entourage. Elle explique que « l’idéologie patriarcale affirme d’une part qu’elle est contre le viol, mais le légitime en entretenant deux mythes quant à la sexualité masculine, incontrôlable et agressive, en opposition à la sexualité féminine, passive et réceptive » (Monárrez Fragoso, 2002).

En conclusion, cette section visait à mettre en contexte sur la situation politique et historique du Mexique qui sert d’horizon de référence aux femmes qui ont participé à cette étude. Certes, ce bref exposé n’est pas exhaustif, considérant l’espace alloué. Toutefois, il se veut utile pour comprendre la suite. Aussi, je tiens à rappeler que cette recherche s’inscrit dans un désir de faire ressortir l’analyse que font les participantes des violences faites aux femmes au Mexique.