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Le quotidien des vivants et la routine des morts sur les fronts cholériques navals français (1831-1856)

III. Mourir sur les fronts cholériques navals

A. L’épouvante de l’agonie avant le masque de la mort bleue

« Ma vie hors de mon sein s’enfuit à chaque haleine » : l’épouvantable agonie des 1.

cholériques690

Au XIXe siècle, la « mer cruelle » continue de proposer aux marins un horizon de souffrance et

de mort dans lequel le choléra vient se superposer ou prendre le relais de la peste ou encore du typhus691. Le choléra sait frapper vite. Avec lui, « la mort arrivait ordinairement en huit ou dix heures ; les cas foudroyants entraînant une issue funeste en trois ou quatre heures n’ont pas

685 Notes recueillies par la Sœur Madeleine à l’hôpital militaire Saint Joseph ou celui de l’École polytechnique, à

Péra, Annales de la Congrégation de la mission ou recueil des lettes édifiantes, t. XX, Paris, Imprimerie Adrien Le Clère, p.332.

686 Rapport de l’œuvre des Ambulances d’Orient, adressé par Monsieur Doumerq, secrétaire général de la

congrégation de la mission, à la sœur Montcellet, supérieure générale des sœurs de la Charité, Annales de la

Congrégation de la mission ou recueil des Courriers édifiantes, t. XX, Paris, Imprimerie Adrien Le Clère, p. 281

687 Rapport de l’œuvre des Ambulances d’Orient, adressé par Monsieur Doumerq, secrétaire général de la

congrégation de la mission, à la sœur Montcellet, supérieure générale des sœurs de la Charité, Annales de la

Congrégation de la mission ou recueil des Courriers édifiantes, t. XX, Paris, Imprimerie Adrien Le Clère.

688 Anne CAROL, « Prêtres et médecins face à la mort… », mis en ligne le 30 décembre 2008, consulté le

21 juillet 2017.

689 Ibid.

690 Alphonse DE LAMARTINE, Le Poète mourant, 1858.

été rares692 ». Le chirurgien major de la Mégère établit clairement cette faculté du choléra à paraître sans signes annonciateurs et à être porté par une cinétique très élevée. Au cours de la seconde expédition dans la mer d’Azov (printemps 1855) par exemple, tandis que la Mégère avait pris à la remorque la chaloupe de la Pomone et que « toutes les conditions de santé semblaient [être réunies], tout d’un coup trois hommes de la Pomone tombèrent frappés d’un choléra foudroyant693 ». Les matelots Mélo, Méjean et Lepichon, « tous trois fort vigoureux » succombèrent en sept heures. À bord de l’Iéna entre le 5 août 1855 et le 23 septembre 1855, le déroulement de l’épidémie est analogue. Si sur 41 cas, 16 ont eu une issue fatale, les 9 malades ayant présenté des cas de « choléra foudroyant » sont tous décédés694.

Au-delà de la rapidité du choléra à emporter ses victimes dans la mort, une de ses caractéristiques s’est d’être un efficace tueur de masse. Au mois d’août 1854, les plages de Varna sont le théâtre d’ombres d’un spectacle de désolation qui lui est directement imputable. Laissons Scrive décrire l’état de délabrement des soldats du corps expéditionnaire français en mer Noire. Plus de 1 500 cholériques viennent d’être débarqués des navires dépêchés en urgence pour les évacuer des marais de la Dobroudja :

Jamais je n’ai assisté à un spectacle plus épouvantable que celui qui s’offrait aux yeux sur la plage de Varna lorsqu’on mettait à terre ces pauvres soldats, rendus méconnaissables par le terrible fléau qui les frappait. Une fois surtout,– c’était le soir, et la clarté douteuse de la lune donnait encore des teintés plus lugubres au tableau –, les malades étaient hissés hors des barques par les marins : arrivés sur le sable de la plage, les uns se laissaient tomber lourdement, les autres marchaient quelques pas, comme des gens ivres, ou se traînaient et tombaient bientôt pour rester, sans s’aider du moindre effort, dans la position de la chute ; quelques-uns étaient nus ou presque nus, ou couverts de pièces d’habillements qui n’étaient pas les leurs. Officiers, sous-officiers et soldats, pêle-mêle, tous rangs étaient confondus. La plupart demandaient à boire, de cette voix cassée, presque sépulcrale, propre à la maladie ; d’autres poussaient des cris ou gémissaient sous l’impression douloureuse des crampes. Ceux qui avaient succombé à l’instant du débarquement étaient alignés sur la berge, chacun ayant conservé la position que l’agonie lui avait donnée. C’était la scène de désolation la plus émouvante qu’on puisse imaginer ; et les malheureux qui vivaient encore n’étaient pas au bout de leurs cruelles épreuves, ils devaient être transportés, qui sur des litières et des cacolets, qui sur des prolonges du train où des arabas, à deux lieues de distance, dans des hôpitaux improvisés la veille ou le jour même. Alors seulement le repos et les soins empressés commençaient695.

692 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,

SHD/V/CC²/958.

693 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,

SHD/T/X/37.

694 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,

SHD/T/III/25.

Ce spectacle de désolation est le même à bord. Bernard Brousolle cite la « description hallucinante » que fait le chirurgien du Lavoisier de l’entassement des cholériques sur le pont de son bâtiment696 :

Il est impossible de se représenter le spectacle hideux que nous avions sous les yeux, 300 hommes se roulant sur le pont, se tordant les membres dans le paroxysme de la douleur, tourmentés par une soif intense que rien ne pouvait éteindre, ils poussaient des cris terribles… De distance en distance j’avais fait disposer des bailles de combat et de lavages pour recevoir les déjections de ceux qui conservaient assez de force pour se traîner jusqu’à elles. Un grand nombre remplissaient leurs vêtements et les voiles qui leurs servaient de lit. Leurs déjections ont tellement imbibé le pont que 8 jours après leur départ, l’odeur sui generis de ces déjections se développait quand on lavait le pont. Ce spectacle dura trente heures, 20 d’entre eux moururent ou furent jetés à l’eau quelques heures après leur mort697.

Les observations médicales du masque de la mort bleue : examen post-mortem et 2.

autopsies

Dans les effluves de mort laissés par le choléra, le rôle des médecins de la Marine ne s’arrête pas aux soins.

En sus de l’accompagnement dans la vie jusqu’aux derniers instants, ils participent à une dynamique plus large mise en lumière par Anne Carol et concernant la médicalisation de la mort. Les fronts cholériques navals et militaires sont, sans cynisme aucun, les pourvoyeurs de corps en abondance dès lors mis à disposition de la médecine : « la médicalisation de la mort relève d’une stratégie de conquête médicale, elle est un champ d’expertise à revendiquer698 ». Face à ces cadavres de cholériques, le médecin chercheur se substitue alors au médecin- soignant : « le travail de recherche du médecin en campagne consiste également à comprendre la maladie […] le travail d’autopsie est [alors] particulièrement important699 ». Dit autrement, « l’autopsie (ou nécroscopie, ou nécropsie) permet de vérifier post-mortem la validité d’un diagnostic, et de faire ainsi progresser des connaissances ». Avant même d’entrer dans la chair des cholériques, quelques observations interrogent les médecins de la Marine. Lebozec ne s’explique pas, par exemple, que « trois quarts d’heure ou une heure après le décès, la chaleur avait reparu à la périphérie du corps » avant de se dissiper « très lentement700 ». De même, il rapporte l’observation post-mortem de « mouvements musculaires que quelques auteurs ont

696 Bernard BROUSSOLLE, p. 57-66.

697 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État , SHD/T/

III/19.

698 Anne CAROL, « Prêtres et médecins face à la mort… », mis en ligne le 30 décembre 2008, consulté le

21 juillet 2017.

699 Claire FREDJ, Médecins en campagne, médecine lointaine…, p.771. 700 Jean-Auguste-Marie LEBOZEC, p. 53.

mentionnés (mouvements d’adduction et de flexion aux avant-bras, contractions fibrillaires à la face et à la partie antérieure du thorax)701 ». L’autopsie est un examen indispensable, qu’il s’agit dans le cas du choléra de comprendre dans ses manifestations ante ou post mortem. Les autopsies servent donc à façonner l’avis du médecin qui les pratique et d’affermir ses connaissances et sa réflexion médicale. Grégory Bériet a démontré dans l’étude qu’il a donnée concernant Rochefort que cette pratique de l’autopsie était bien implantée au sein du service de santé de la Marine :

Si l’attrait théorique pour le cadavre en tant qu’objet de connaissance physiologique fait l’unanimité, la déclinaison empirique souffre d’un certain nombre d’obstructions […] Au- delà du dégoût de l’usure d’un matériel de dissection précieux, l’autopsie cadavérique apparaît comme un rite au sens anthropologique du terme, une manière de s’éprouver et ainsi de démontrer ses capacités à soigner les corps702.

Il insiste, comme Anne Carol et Claire Fredj, en particulier sur le fait que « les opérations de dissection introduisent une démarche cognitive renouvelée sur le corps et la maladie, pour laquelle les cadavres s’insèrent dans une taxinomie directement issue de la nosologie et inspirée par les nomenclatures naturalistes703 ». Il conclut à un effort marin de codification de la pratique de l’autopsie : « cette politique de standardisation [des autopsies à Rochefort] s’appuie sur une logistique en apparence bien précise : découper, observer, diagnostiquer, classer, répertorier704 ». Il n’y a donc rien d’étonnant à constater que les officiers de santé de la Marine mettent en œuvre, à l’occasion des campagnes, les principes et les techniques appris dans les écoles de médecine. Le processus de translation de ces pratiques, de l’amphithéâtre d’anatomie des écoles de médecine navale à la table d’examen d’un chirurgien de la Marine, est direct :

À mesure que les vivants rejettent les cadavres hors des espaces publics […] les médecins […] mettent l’accent sur la valeur thérapeutique de ces derniers […]. Ainsi lorsque les conditions hygiéniques le permettent, les autorités sanitaires de la Marine invitent les officiers de santé de Rochefort à pratiquer des autopsies sur les patients morts du choléra, afin d’être mieux à même de déterminer les modalités de propagation de la maladie705.

701 Ibid.

702  Grégory B

ÉRIET, « L’autopsie à l’école de médecine navale de Rochefort », p. 60-65. 703 Ibid.

704 Ibid.

705 Ibid., « L’autopsie à l’école de médecine navale de Rochefort », p. 60-65 : « Si l’attrait théorique pour le

cadavre en tant qu’objet de connaissance physiologique fait l’unanimité, la déclinaison empirique souffre d’un certain nombre d’obstructions […] Au-delà du dégoût de l’usure d’un matériel de dissection précieux, l’autopsie cadavérique apparaît comme un rite au sens anthropologique du terme, une manière de s’éprouver et ainsi de démontrer ses capacités à soigner les corps. »

Au gré de leurs évolutions sur les fronts cholériques, les médecins de la Marine ont ainsi rapporté des résultats d’autopsie qu’ils ont pu soit observer, soit directement pratiquer. Au cours du voyage d’étude qu’il mène à travers l’Europe orientale et la Russie afin d’observer le choléra, Gaimard est par exemple autorisé avec ses compagnons de mission à assister à des autopsies dans les hôpitaux civils et militaires russes. Il tire de ses observations de cadavres une opinion sans équivoque sur le choléra : « dès qu’on a vu une seule fois la maladie, il paraît impossible qu’on puisse la méconnaître tant sont saillants les traits qui la caractérisent706 ».

L’autopsie est d’abord pratiquée afin de vérifier une suspicion de mort par choléra. Ainsi, à bord du Luxor, Justin-Pascal Angelin pratique l’autopsie de la dépouille d’un marin décédé en septembre 1831 d’une dysenterie aiguë. Il s’agit de vérifier si le choléra pouvait être en cause : s’il ne note rien de remarquable dans l’encéphale et le thorax, il fait état d’une grande altération des muqueuses gastriques dans la cavité abdominale ; un liquide verdâtre est présent dans l’estomac, « dans lequel flottait deux vers lombrics » ; presque tout le colon et le rectum étaient désorganisés ; tous les autres organes étaient restés « apparemment naturels707 ». Le choléra est bien hors de cause dans ce cas. Au-delà de ses propres recherches, Angelin informe à travers son rapport de fin de campagne le conseil de santé de Toulon des constatations à la suite d’autopsie de victimes du choléra au Caire pratiquées par les médecins de cette ville. Il cite en particulier Clot Bey, alors « directeur de l’hôpital d’Abou-Zabel708 » :

Habitude extérieure. La teinte foncée de la peau ne permet pas d’apprécier les changements des couleurs qu’elle a pu éprouver. La face a l’aspect de celle d’un individu mort dans le marasme. Les yeux sont caveux*, les muscles présentent une rigidité extrême, les parois de l’abdomen sont appliquées contre la colonne vertébrale.

Cavités pectorales. Les poumons sont dans un état naturel. Le cœur ne contient qu’une petite quantité de sang noirâtre.

Cavité abdominale. Intestins injectés. La membrane muqueuse de l’estomac est rouge et très épaissie, ces organes sont entièrement vides. Muqueuse duodénale d’un rouge plus foncée et sensiblement ramollie, celle du Jéjunum n’offre qu’une teinte rosée et celle d’iléon a une couleur plombée* et se détache avec la plus grande facilité. Ces organes contiennent qu’une très petite quantité d’un liquide blanchâtre ; toute l’étendue des gros intestins présente une teinte rougeâtre. La vessie ne contient pas une seule goutte d’urine. Les tissus du foie [sont] très ramollis et gorgés d’une grande quantité de sang noir épais. La vésicule a le triple de son volume ordinaire et contient une grande quantité de bile d’un vert obscur. La rate est dans le même état que le foie. Les reins ne présentent rien de remarquable.

706 Courrier de Gaimard à Kéraudren, 18 août1831, AM/Liasse 63.

707 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,

SHD/T/I/35.

Le 10 octobre 1834, le général Desmichels transmet au ministre de la Guerre les résultats de l’autopsie pratiquée sur les dépouilles d’un homme et d’une femme décédés respectivement le 27 et le 28 septembre. Il note la présence de signes caractéristiques du choléra :

1.° La présence dans les intestins d’un liquide blanc ; 2.° Le sang des artères noir comme celui des veines par la vacuité complète de la vessie et son resserrement ; 3.° L’effondrement remarquable des poumons709.

Le 21 août 1836, le vice-consul de France à Ancône signale au préfet maritime de Toulon « l’autopsie des cadavres de trois cas suspects » parmi la population, pratiquée par des praticiens locaux, eux-mêmes secondés par « plusieurs des officiers de santé français employés au corps d’occupation d’Ancône, qui ont expérimenté les moyens de connaître et combattre ce fléau de l’humanité710 ». Les données d’autopsies recueillies sur des cadavres de cholériques renseignent finalement le même tableau qui fixe la mort bleue : la cyanose impressionne, de même que la contractilité post-mortem des muscles des membres inférieurs ; une teinte vineuse domine sur les cuisses, le tronc, le dos et les épaules ; des taches noires parsèment la cornée711.

Si les cas d’autopsies pratiqués par des médecins de la Marine ou des corps expéditionnaires français sur des cholériques, et plus largement sur des soldats décédés de causes infectieuses ou traumatiques, ne sont pas rares, la plupart d’entre eux regrettent de ne pas avoir le temps nécessaire pour mener ces investigations post-mortem. Jean-Julien Gourbeil déplore que son « service était trop actif au camp et à la tranchée [et qu’il n’eût] jamais l’occasion de pouvoir se livrer à des investigations nécrosiques. [Il] interrogeât souvent [ses] collègues à ce sujet ; ils s’étaient trouvés dans les mêmes conditions712 ». Une seconde limite à la généralisation de la pratique des autopsies sur les fronts cholériques navals tient aux préjugés des populations concernées : « Il m’a toujours été impossible, malgré les plus vives sollicitations, les offres d’argent que j’ai faites, et la meilleure disposition, de vaincre le préjugé populaire existant dans l’Inde, relativement aux dépouilles mortelles : il ne m’a pas été permis de faire une seule autopsie713 ». Les réticences des habitants de l’Inde rapportées par Pierre Gueit sont identiques à celles rencontrées par Olivier Delioux de Savignac en Bretagne : « Je n’ai point pratiqué d’ouvertures de cadavres pendant mon séjour à Camaret ; les localités et les

709 Courrier du commandant en chef au ministre de la Guerre, 10 octobre 1834, ANOM/F80/657.

710 Courrier du vice-consul de France à Ancône au préfet maritime de Toulon, 21 août 1836, SHD/T/2A6/117. 711  Jules François CHÉRON, Du choléra et de la variole…  

712 Jean-Julien GOURBEIL, p. 26. 713 Pierre GUEIT, p. 16.

dispositions morales des habitants ne le permettaient pas. Mais, supposant toutes ces difficultés levées, il est certain que le temps déjà trop court que j’avais à donner aux soins de mes malades ne m’en eût pas laissé le loisir714 ».

La description de ces réticences populaires appuyées sur des représentations est bien connue des médecins du XIXe siècle715. Qu’ils soient autorisés ou pas à procéder à un examen post-

mortem, les médecins rendent les corps cholériques aux familles, aux camarades, aux autorités

pour être inhumés dans un contexte funéraire particulier. Les travaux de Michel Signoli, et dans leur sillage ceux de Stéfan Tzortis et de Catherine Rigeade ont été pionniers quant à l’étude des sépultures de masse en contexte de peste. Si le travail des anthropologues funéraires débute à peine pour les morts du choléra, il est certainement complémentaire d’un travail historique qui chercherait à établir à partir des archives les conditions de gestion, de transports et d’inhumation des cadavres, en particulier sur les fronts cholériques navals du

XIXe siècle716.

B. Gestion des cadavres des cholériques et modes d’inhumations

Que faire des cadavres des cholériques ? 1.

La gestion des dépouilles sur les fronts épidémiques navals associe des contraintes règlementaires, sanitaires et logistiques. Mourir en mer entraîne des conséquences que résume sobrement le psaume 76, 20 : « Sur la mer fut ton chemin, ton sentier sur les eaux innombrables. Et tes traces nul ne les connut ». Jacques Léonard rappelle la pratique ordinaire en vigueur sur les bâtiments de l’État : « quand quelqu’un meurt à bord, le chirurgien major prévient le commandant et fixe le moment de l’immersion du corps ; en cas de fièvre pestilentielle, on jette aussi à la mer les effets du mort717 ». L’inhumation en mer était le plus souvent motivée par une impossibilité à conserver le corps sans mettre en cause la santé de l’équipage et des passagers. Lorsque, par exemple, le chef de timonerie de l’Asmodée, Jean Baptiste Cautellier, meurt de la rougeole au large avant l’arrivée du bâtiment à La Spezia, on procède sans tarder à son inhumation en mer718. Le risque de propagation épidémique

714 Olivier DELIOUX DE SAVIGNAC, Une Épidémie de choléra à Camaret en Bretagne, p. 13.

715 Anne CAROL, Les médecins et la mort…, p. 256 : « les médecins soulignent en effet, pour la déplorer, “la

répugnance qu’on a à laisser ouvrir le corps des personnes qui nous sont chèresˮ, répugnance qui rejoint celle déjà constatée devant des épreuves de réanimation trop cruelles. »

716 Michel SIGNOLI, « Archéo-anthropologie funéraire et épidémiologie » ; Stéfan TZORTZIS & Catherine

RIGEADE, « Persistance et/ou transgression des pratiques funéraires en temps de peste ».

717 Jacques LÉONARD, Les Officiers de Santé de la Marine française de 1814 à 1835, p. 97. 718 Courrier du commandant de l’Asmodée au ministre de la Marine, 13 mai 1848, SHD/V/BB⁴/67.

explique certainement le choix du médecin selon qui « il était impossible de conserver plus longtemps le corps à bord du navire719 ».

Dans un contexte de crise aiguë de la mortalité provoquée par l’invasion du choléra, comme c’est le cas lorsque des bâtiments de la Marine impériale rapatrient les cholériques français depuis la Dobroujda sur Varna au début du mois d’août 1854, les cadavres sont sans surprise jetés à la mer dans la plus grande précipitation : « la Calypso a jeté 80 cadavres à la mer, le

Primauguet 50 et tous les autres de même en proportion du chiffre de leurs passagers qui était