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Les membres du service de santé de la Marine au chevet des malades sur les fronts cholériques navals

Le quotidien des vivants et la routine des morts sur les fronts cholériques navals français (1831-1856)

I. Les membres du service de santé de la Marine au chevet des malades sur les fronts cholériques navals

Tout au long du XIXe siècle, la mobilisation du service de santé de la Marine répond d’abord à

l’objectif premier de créer des conditions pour la prise en charge médicale des marins et des militaires français saisis par le choléra. Il s’agit alors d’opposer aux fronts cholériques navals, des fronts médicaux capables de secourir le maximum de malades. Si les officiers de santé de la Marine et leurs auxiliaires (infirmiers, sœurs infirmières) sont initialement appelés à servir les équipages et les passagers des navires de la Marine, ils apportent de fait également leur assistance à de plus larges populations militaires et civiles, en France comme à l’étranger. Dans l’hétérogénéité de leurs compétences et de leurs fonctions, ces soignants représentent l’un des bras armés d’une médecine navale qui sait, le cas échéant, se muer en une médecine humanitaire.

426 Charles-Adolphe-Victor SÉNARD, « De L’influence du miasme cholérique sur les équipages et principalement

des épidémies de choléra observées sur les flottes anglaises et françaises dans la Baltique et dans la mer Noire en 1854 », dans Annales d’hygiène publique, t. VIII, 1857, p. 344 et suivantes ; L.-J. GUILLOU, « Souvenir de l’ambulance de tranchée », dans Nouvelles Annales Maritimes et Coloniales, t. 20-1858, p. 343-351.

427 Friedrich PRINZING ;Jacques HOUDAILLE, « La mortalité (hors combat) des militaires… ».

428 Michel SIGNOLI, « Archéo-anthropologie funéraire et épidémiologie », Socio-anthropologie, 2008, n° 2, 107-

122 ; Dominique CASTEX et Sacha KACKI, « Funérailles en temps d’épidémie », Les nouvelles de l’archéologie, 2013, n° 32, 23-29.

A. Soigner sur les fronts cholériques navals

Une mission prioritaire : soigner les soldats, de mer et de terre, en mer et à terre 1.

En 1827, une ordonnance publiée dans les Annales maritimes et coloniales détaille les fonctions ainsi que les responsabilités respectives du médecin-chef d’une escadre, du chirurgien major à bord d’un bâtiment, des officiers de santé qui lui sont subordonnés, des infirmiers et « autres personnes de l’équipage employées au service des malades429 ». Sur les bâtiments de l’État, le médecin-chef joue ainsi le rôle d’interface entre les officiers supérieurs dont il dépend et ses propres subalternes directs. Chargé d’effectuer de fréquentes inspections sanitaires, il est le garant du bon fonctionnement du service de santé, de la « conservation de la santé des équipages et de la salubrité des bâtiments430 ». En l’absence de médecin en chef, lorsque le bâtiment navigue sans être accompagné, c’est le chirurgien major qui remplit ces fonctions431. Le dispositif médical à bord est affiné après 1827 par diverses dispositions successives432. L’ordonnance du 20 décembre 1838, par exemple, fixe le cadre général et particulier de l’exercice du service de santé à la mer433. L’ordonnance du 12 juillet 1841 intéresse pour sa part le règlement du personnel des officiers de santé employés au service des ports et à bord des bâtiments de l’État434.

Entre 1831 et 1856, les modifications du dispositif demeurent globalement marginales ; quant au nombre d’officiers de santé généralement embarqués, il correspond à la description qu’en donnait Jacques Léonard : sur un vaisseau un chirurgien de première classe comme chirurgien major, un chirurgien de deuxième classe comme chirurgien en second et plusieurs de troisième classe comme aides. Les grandes frégates de guerre embarquent le même personnel sanitaire que les vaisseaux en paix, petites frégates et corvettes sont pour leur part aux mains d’un seul chirurgien major de deuxième classe, alors que les bâtiments inférieurs se contentent d’un chirurgien de troisième classe435. Pharmaciens et infirmiers sont placés sous l’autorité de l’officier de santé en chef436. En plus des soins prodigués sous la surveillance des

429 Annales maritimes et coloniales officielles, t. 31, 1827, p.47, 56, 82, 87, 143, 144, 147, 158. 430 Ibid., p. 143.

431 Ibid., p. 147.

432 Pour un récapitulatif de l’ensemble de la législation concernant le Service de santé de la Marine et son

organisation jusqu’en 1859, se référer à Claude-François BLANCHARD, Répertoire général des lois, décrets,

ordonnances, règlements, instructions sur la Marine, Paris, Imprimerie nationale, 1848-1859, vol. I p. 581-

599 (avant 1849); vol. II p265-279 (1849-1854) ; vol. III p. 237-242 (1854-1859).

433 Ordonnance du 20 décembre 1838, Annales maritimes et coloniales officielles, t. 68-1839, p. 14.

434 Ordonnance du 12 juillet 1841, Annales maritimes et coloniales officielles, t. 74-1841, p.804. Voir également

MichèleBATTESTI, La Marine de Napoléon III …, p. 425.

435 Jacques LÉONARD, Les Officiers de Santé de la Marine Française de 1814 à 1835, p. 264-266.

médecins, ils servent les repas aux malades, blanchissent le linge et les ustensiles médicaux437.

À terre, les officiers de santé de la Marine peuvent être amenés à exercer dans le cadre d’ambulances ou d’hôpitaux temporaires. C’est ainsi qu’au mois d’août 1855, Malmanche, le chirurgien de deuxième classe de la Marine embarqué à bord du Jean Bart, est « détaché aux ambulances de l’Armée438 ». Les officiers de santé peuvent servir et soigner dans des établissements hospitaliers, qu’ils soient ou non administrés par la Marine, en France comme dans les colonies ou dans un pays étranger. En Grèce au cours du premier trimestre de l’année 1855, le chirurgien major Villette est ainsi mobilisé au chevet de huit cholériques alors qu’il est en fonction à l’hôpital maritime du Pirée439.

La prise en charge médicale des malades sur les fronts cholériques navals est au cœur des missions et de la vocation du service de santé de la Marine. Au-delà des vies qu’il s’agit de sauver, il est question – en limitant les effets collectifs du choléra – de préserver l’hygiène à bord, la santé publique à terre, mais également de garantir les capacités d’action du bâtiment, de l’escadre ou des troupes, dont l’objectif est d’accomplir la mission qui leur a été assignée. Le défi n’est pas aisé lorsque la maladie est circonscrite aux limites d’un bâtiment, comme dans le cas du Luxor (1831) ou plus tard du Triton (1835). Il prend une dimension véritablement extraordinaire lorsqu’il est question d’affronter le choléra à l’occasion d’un déploiement massif de forces, comme ce fut le cas en Crimée. L’attention méticuleuse portée à chacun, encore possible à bord du Luxor, n’est plus envisageable lorsque le flux de malades se fait massif. Les dix cas – sans décès – rapportés et décrits avec force détails par le chirurgien de la Marine Justin-Pascal Angelin, n’appellent pas à la même gestion que les 421 cas recensés – dont 164 décès – sur le Montebello entre le 9 et le 29 août 1854440.

Dix-sept ans après la mésaventure d’Hubert de la Prairie et de la Dordogne, au cœur de l’été 1854, le Montebello et son équipage qui participent en mer Noire à la campagne d’Orient sont frappés par une épidémie de choléra dans des proportions bien supérieures :

Tout d’un coup le 9 [août] à 11 heures du soir le premier cas se présente […] 36 cas, tous fort graves, se montrent successivement dans le courant de la nuit du 9 au 10. Le lendemain 10, l’épidémie atteint sa plus grande violence, nous enregistrons 131 cas

437 Idem.

438 Ordre du chef du service de santé de l’escadre de la mer Noire, 30 août 1855, SHD/V/BB⁴/699.

439Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,

SHD/V/CC² /957.

440 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,

SHD/T/I/35 ; Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État, SHD/T/X/43.

nouveaux, 23 hommes succombent. Dès le 11, le nombre des cas diminue : 126 cas 63 morts […] le 14 nos malades sont transportés à terre à 2 heures du soir, et tout cesse comme par enchantement441.

Le bilan est donc pour le moins de 164 décès causés par le choléra parmi les hommes embarqués442. Le chirurgien major du Montebello considère d’ailleurs que « l’unique moyen qui pouvait limiter le mal en détruisant son foyer » a été mis en œuvre, à savoir l’évacuation des malades, et leur prise en charge à terre sous « quatre vastes tentes établies sur la côte sud de la rade de Varna ». « Cependant par sa lettre du 13, monsieur le Vice Amiral Bruat, qui se trouvait au mouillage de Varna en me rendant compte des dispositions prises pour l’évacuation des malades du Montebello accusait une amélioration sensible dans l’état épidémique de ce vaisseau443. »

Dans tous les cas de figure, lorsqu’une épidémie de choléra se déclare à bord, la prise en charge des malades met le personnel soignant à rude épreuve. Dans la nuit du 29 au 30 août 1837, un premier cas de choléra se manifeste à bord de la Dordogne qui navigue depuis Toulon en direction de Cadix444. Six cas de choléra au total se déclarent à bord avant que le bâtiment ne parvienne à destination. Dans la nuit du 29 au 30 août, vers 4 h du matin, l’officier de santé diagnostique donc le premier cas de choléra. Il se rend chez le commandant pour l’instruire « de ce fatal événement » et « lui faire pressentir les précautions hygiéniques […] à prendre dans le cas où ce fléau nous menaçait d’une invasion épidémique445 ». Il obtient du commandant qu’il mette à sa disposition les moyens nécessaires pour faire face à la maladie. À cette heure, il a encore l’espoir d’enrayer la propagation de l’épidémie. Il met en œuvre un traitement « énergique et précoce446 ». Aucun nouveau cas ne se manifeste dans la journée ni le lendemain. Il constate seulement l’augmentation du nombre de diarrhées. Dans la nuit du 31 août 1837, un passager est pris « d’une cholérine assez forte447 ». Le 31 août, le premier malade donne des signes d’amélioration de son état de santé avant d’être, deux ou trois jours après, saisi par des symptômes typhoïdes et décéde rapidement. Le 1er septembre,

441 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,

SHD/V/CC²/958.

442Ibid. Une annotation au crayon ultérieure à la rédaction du rapport mentionne un total de 190 victimes : « il y

aurait eu 190 morts. »

443 Idem. Voir également : courrier du ministre de la Marine au commandant de l’escadre de la Méditerranée,

29 août 1854, SHD/V/BB⁴/714.

444 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État, SHD/B/

II/8 Ms 20.

445 Ibid. 446 Ibid. 447 Ibid.

le second patient montre des symptômes qui ne peuvent laisser douter qu’il soit « envahi » à son tour par le choléra. Sujet déjà affaibli par un long séjour dans les hôpitaux, en dépit d’un mieux sensible le second jour, il rend l’âme le 7 septembre à 4 heures du soir. Dans l’intervalle, deux autres cas se sont manifestés, « d’une manière bien plus alarmante448 ». Loup (employé depuis 3 jours comme second infirmier) et Bars (contremaître de la cale) sont atteints par le choléra le dimanche 3 septembre à 8 heures du soir449. Les deux marins succombent en moins de 20 heures. Un cinquième cas se déclare le 5 septembre, le malade expirant le 9 septembre au soir450. Le 6 septembre, un sixième cas connaît la même funeste conclusion451. Le 8 septembre, à peine arrivé à Cadix un infirmier est violemment atteint vers 4 heures du matin et décède brusquement452. Un dernier cas se déclare alors : une femme parmi les passagers décède le même jour453.

Dans le contexte d’une épidémie massive et foudroyante à bord d’un vaisseau, l’évacuation à terre des malades, au-delà des meilleures conditions de soins qu’offrent des tentes par rapport à une infirmerie de bord sous-dimensionnée, montre également à quel point le personnel soignant du bâtiment n’était pas – ou plus – en capacité de faire face seul. Le chirurgien major souligne d’ailleurs « la conduite pleine de courage et d’abnégation des personnes qui [lui] ont prêté leurs concours dans ces jours néfastes454 ». Il signale en particulier les services de Bardon, son infirmier major, qui « oubliant complètement les terribles dangers qu’il courait, se prodiguât nuit et jour auprès de ses malades » et dont « la véritable action d’éclat […] a paru suffisante pour placer le nom modeste de l’infirmier en tête de ce rapport455 ». Le médecin major n’oublie pas de citer le second et le troisième chirurgien, messieurs Rault et Gery. À bord du Montebello, ces soignants ont trouvé également le concours d’officiers – le rapport cite l’enseigne de vaisseau Aragon et l’aspirant auxiliaire de deuxième classe Deleuse – qui en prêtant leur assistance « ont contribué ainsi au soulagement des malheureux456 ». Au- delà de ces officiers, le rapport mentionne une « foule de marins qui se présentèrent pour remplir auprès de leurs camarades atteints, l’office […] d’infirmiers457 ».

448 Ibid. 449 Ibid. 450 Ibid. 451 Ibid. 452 Ibid. 453 Ibid.

454 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,

SHD/V/CC²/958.

455 Ibid. 456 Ibid. 457 Ibid.

L’exposé de l’épidémie de choléra qui frappe le Montebello, est révélateur à plusieurs titres des conditions de prises en charge à bord d’un grand nombre de malades par le personnel de santé, mais également de leurs limites et déficiences. Le premier constat qui domine la lecture de la majorité des sources est celui de la reconnaissance du grand dévouement des équipes soignantes : un dévouement aussi immense que l’est souvent leur impuissance à enrayer la marche de la maladie. Le second constat concerne la mobilisation souvent exemplaire de tout l’équipage qui, dans ce milieu naturellement clos qu’est un bâtiment de guerre, est évidemment concerné dans son ensemble par une épidémie qui se déclare et prospère. À bord du Montebello, comme dans de nombreuses autres situations analogues, on retrouve donc trois éléments clefs essentiels à une gestion optimale de la crise cholérique : la mobilisation des officiers et des officiers supérieurs au côté du personnel de santé, le dévouement des soignants quelle que soit la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent, et la camaraderie des hommes d’équipage. S’ils ne suffisent pas à sauver les malades, ces éléments conjugués atténuent le sentiment d’impuissance des officiers de santé mis en difficulté par le nombre de patients et la nature insaisissable de leur mal. Ils trouvent alors, lorsque la situation est « idéale », un soutien matériel et moral auprès de l’équipage qui intervient en soutien :

Les médecins de la Marine déployèrent la plus grande fermeté, le plus noble dévouement dans l’accomplissement de cette mission. Les officiers et les matelots se transformèrent en véritables sœurs de charité, tant ils furent empressés à soigner, à consoler les malheureux, qui, livrés aux tortures du choléra, encombraient les ponts458.

Dans les hôpitaux à terre, les cholériques sont en général pris en charge dans des salles spéciales. Dès le 7 mai 1832, le ministre de la Marine « appelle l’attention [du préfet maritime de Toulon] sur la convenance de séparer des autres malades, les hommes atteints de cette épidémie459 ». Cette pratique de l’isolement des cholériques lorsque cela est possible perdure tout au long de la période étudiée. À bord également, les officiers de santé essayent de suivre ce principe élémentaire de prophylaxie. En 1837, le chirurgien major de la Dordogne isole les premiers malades dans « son » hôpital, les autres sont ensuite placés dans la batterie afin d’éviter l’établissement d’un foyer d’infection et d’impressionner trop vivement le moral des autres malades460. À partir du mois de juin 1854, lorsque le choléra éclate à Gallipoli, « une

458 Auguste-Charles-Thomas MARROIN, p. 17-18.

459 Courrier du ministre de la Marine au préfet maritime de Toulon, 7 mai 1832, SHD/T/2A1/57.

460 Rapports médicaux annuels ou de fin de campagnes des médecins et chirurgiens de la Marine d’État, SHD/B/

salle isolée de cinquante lits fut réservée aux cholériques » admis à l’hôpital de la Marine à Thérapia461.

Plus compliquée à mettre à en œuvre à bord qu’à terre, la séparation des cholériques des autres malades atteints toutefois également rapidement ses limites lorsque les capacités hospitalières d’accueil sont dépassées par le nombre des victimes à soigner. C’est le cas par exemple à Thérapia où à partir du mois d’août 1854, suite au débarquement de cholériques en provenance du Charlemagne (10 août) puis du Cacique (11 août), leur isolement « devint impossible, et chaque jour amena de nouveaux cas ayant pris naissance dans les salles, tantôt sur des hommes depuis longtemps à l’hôpital, tantôt sur ceux qui, venus récemment à l’escadre, pouvaient être considérés comme ayant pris le germe de la maladie dans le foyer qu’ils venaient d’abandonner462 ».

La période est également caractérisée par les efforts engagés par la Marine afin d’améliorer les conditions d’accueil des cholériques. Le 2 septembre 1834, le ministre de la Marine fait ainsi part au préfet maritime de Toulon de ses décisions afin d’améliorer les conditions matérielles d’accueil des malades dans les hôpitaux de la Marine. Désormais, ils seront équipés de lits en fer auprès desquels sera placée une chaise, le linge de corps et les pantoufles devront être « placés sur une tringle en fer qui sera adaptée à la tête de chaque lit [ou déposée] derrière le dossier du lit dans une bandelette en tôle463 ». Pendant la campagne de Crimée, les salles de l’hôpital de Thérapia ressemblent à s’y méprendre à celles de l’hôpital de la Marine à Toulon décrit près de vingt ans plus tôt : « chaque salle contenait seize lits en fer encadrés de rideaux blancs et munis d’un matériel fort convenable. Entre les lits se trouvait une table de nuit supportant un plateau en cuivre étaminé, une écuelle et une pinte464 ».

« Les militaires soignés dans l’hôpital français sont des soldats des Armées françaises, alliées ou ennemies465 ». Fidèles aux leçons d’altruisme d’Hippocrate comme poussés par la nécessité sanitaire et les conventions de la guerre, avant de l’être par la convention de Genève après 1864, les officiers de santé de la Marine sont également au chevet des cholériques et des malades d’autres nations en guerre avec eux ou contre eux :

Au moment où cette règle du droit moderne [la distinction entre les civils et les combattants] s’imposait dans le droit coutumier, l’art de la guerre allait subir à nouveau des transformations avec, notamment, l’apparition du service obligatoire (la conscription) et des

461 Auguste-Charles-Thomas MARROIN, p. 43. 462 Dariste ARNAUD, p. 7.

463 Courrier du ministre de la Marine au préfet maritime de Toulon, 2 février1834, SHD/T/2A1/78. 464 Dariste ARNAUD, p. 2-3.

grandes Armées nationales qui, combattant avec des armes nouvelles meurtrières firent un nombre effrayant de blessés abandonnés sur les champs de bataille. Il était donc nécessaire d’élaborer un droit de la guerre sanctionné par des Conventions multilatérales. Aussi sera adoptée, en 1864, la Convention pour l’amélioration des militaires blessés dans les Armées en campagnes466.

Ainsi, au moment de l’expédition d’Alger, le 10 juillet 1830, le chirurgien de la Couronne Frédéric Bouyer accueille à bord 530 prisonniers turcs destinés à être conduits à Smyrne467. Ils sont bientôt rejoints par 250 civils turcs supplémentaires468. Garant des conditions sanitaires à bord jusqu’à Smyrne, le nombre important de personnes souffrantes parmi eux lui fait d’ailleurs craindre que « dans une traversée qui sera peut-être longue, une aussi grande réunion de malades puisse exercer une influence préjudiciable sur la santé de notre équipage ainsi que sur celle des autres passagers469 ». À près de vingt-cinq ans de distance (en 1854) et dans un tout autre contexte, le docteur Camescasse, alors à la tête de l’hôpital maritime de Smyrne, à travers un courrier adressé par le ministre de Prusse à Paris au Consul de France à Smyrne, reçoit les remerciements de son gouvernement « au sujet des soins donnés à des marins prussiens470 ».

On retrouve d’autres illustrations de cette solidarité médicales pendant le conflit de Crimée. À Eupatoria, la garnison française composée pour l’essentiel de troupes d’infanterie de Marine partage « la violence de la maladie » au cours des mois de juin et juillet 1855 avec « 30 000 Tatars, 40 000 Turcs ou Égyptiens471 ». Les officiers de santé soignent alors indifféremment les marins français et les soldats étrangers. Cette solidarité ne s’arrête pas à la sphère militaire. Au mois d’août 1855, au mouillage de Varna, le chirurgien major de la

Néréide, prend en charge – en plus des malades du bord – les équipages et les hommes

transportés par les bâtiments de commerce472 ». D’ailleurs, il souligne « l’absence de coffre à