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1.5 Problématique

2.1.1 Motivation

La proposition de Edwards Deux expériences clés ont révélé dans les milieux gra- nulaires l’existence d’états thermodynamiques. La première, réalisée par E.R.Nowak, J.B.Knight, E.Ben-Naim, H.M.Jaeger, et S.R.Nagel [90] consiste à vibrer verticalement une colonne de grains secs. Dans cette expérience, les auteurs ont montré qu’il était pos- sible d’obtenir une relation univoque et réversible entre le volume total du système et l’intensité de vibration. La deuxième expérience, réalisée par M.Schröter, D.I.Goldman et H.L.Swinney [91], consiste à fluidiser un système de grains en faisant circuler un flux d’eau de manière périodique au travers du système. Dans cette situation, les auteurs ont eux aussi reporté l’existence d’états réversibles et stationnaires des empilements ainsi construits en terme de volume total, et ils ont obtenu une relation entre le volume total et ses fluctuations. Les états stationnaires des systèmes granulaires denses, dans ces deux situations, sont définis d’un point de vue macroscopique par le volume total de l’assem- blée, et le paramètre qui contrôle cet état est lié à l’injection d’énergie. Edwards et al. [36, 92] ont proposé une hypothèse qui permet de réaliser une construction statistique dans ce cadre. Selon cette hypothèse, la dynamique microscopique du système est pilotée par les configurations mécaniquement stables du système, et l’ensemble de ces configura- tions qui occupent un volume total donné sont équiprobables. Cette théorie suppose que les grains sont sujets à des manipulations extensives ; on peut par exemple les faire vi- brer, ou couler, ou les cisailler. Cette hypothèse mène directement à la définition d’une entropie configurationnelle S (V ) = log Ω (V ) où Ω (V ) est le nombre de configurations mécaniquement stables de l’assemblée occupant un volume total V . La variable d’état X associée, appelée "compactivité" par les auteurs, est naturellement définie par la relation

1 X ≡

∂S

∂V, par analogie avec la définition canonique de la température dans les systèmes à

X est une caractérisation macroscopique de l’état de compaction du système.

Cependant, l’hypothèse d’équiprobabilité sur laquelle repose cette théorie est diffi- cile à tester en pratique, comme nous allons le voir. Jusqu’ici, ce test n’a été mis en oeuvre avec succès que dans des simulations numériques de systèmes simples dans dif- férents contextes physiques, comme des modèles schématiques à contraintes cinétiques en dimension finie [93], des verres de spin avec un forçage non thermique entre états métastables [94], et dans quelques cas un peu plus réalistes comme des modèles de dépo- sition de particules [77], ou des simulations par dynamique moléculaire d’un matériaux granulaire soumis à un cisaillement. Il a aussi été montré que dans certaines situations, comme dans un système de spins d’Ising ferromagnétiques à température nulle dont la dynamique consiste à renverser un spin à la fois [95, 96], cette hypothèse est en défaut.

D’un point de vue expérimental, la mesure de ce paramètre X n’est en soi pas évi- dente. Deux approches ont été tentées jusqu’ici. La première, mise en oeuvre dans les expériences [90, 91], consiste à exploiter le fait que dans les états stationnaires observés, dont les auteurs ont montré qu’ils étaient indépendants de l’histoire du système, il existe une relation entre les fluctuations de la fraction volumique du système et sa moyenne pour différentes intensités de l’agitation. En faisant l’hypothèse que les propriétés thermodyna- miques habituelles sont valables, comme dans la théorie de Edwards introduite plus haut, cette relation permet de déduire une mesure de la compactivité X. La seconde approche proposée consiste à extraire ce paramètre de la décroissance exponentielle de la distribu- tion des volumes individuels associés aux grains d’une assemblée [97, 98]. Nous allons discuter dans la suite de la pertinence de ces approches.

Question et limites Malgré ces résultats plutôt encourageant, la proposition faite par Edwards et al. nécessite d’être clarifiée à plusieurs égards. D’abord, la théorie ne donne pas de prescription concernant les variables microscopiques dont il faut tenir compte pour décrire une configuration [99]. Les versions les plus naïves de l’approche de Edwards

suggèrent de ne considérer que les volumes individuels attachés aux grains. Cependant, dans le cas réaliste de grains frottant, la dégénérescence des forces de contact, au sens où plusieurs configurations du réseau de force peuvent correspondre à la même confi- guration spatiale, donne lieu à des contributions supplémentaires à l’entropie dont l’im- portance reste à comprendre. Il existe une version de l’approche de Edwards qui tient compte des forces [37] et qui décrit leur statistique avec succès. Dans tous les cas, le cal- cul de la densité d’état associée à un choix particulier de variables microscopiques pour construire la physique statistique du problème est une question ouverte [100]. Ensuite, cette construction peut être fortement affectée par la présence de corrélations spatiales dans le système. Il a notamment été observé que des corrélations à longue portée peuvent se développer dans de nombreuses situations physiques similaires, comme les systèmes granulaires bloqués [101, 102], les milieux poreux [103], ou encore les structures cellu- laires de type Voronoï [104]. De plus, des travaux théoriques récents suggèrent que les systèmes amorphes denses se trouvent à proximité d’un point critique associé à leur tran- sition de blocage [105, 15, 43, 44], ce qui peut donner lieu à des corrélations étendues sur des distances comparables à la taille du système. Ces différentes questions et possibles li- mitations de la théorie nécessitent d’être clarifiées, et les bases de l’approches de Edwards doivent être soumises à l’épreuve expérimentale.