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I.4. L ES SYSTÈMES TURBIDITIQUES

I.4.1. Morphologies et éléments architecturaux

Des deux types de systèmes présentés ci-dessus (Fig. I-17), le système chenalisé à dominante argileuse est celui qui correspond au mieux à notre système. Par conséquent, tout ce qui sera présenté par la suite ne concernera que ce type de système.

Les systèmes à dominante argileuse présents sur les marges passives sont situés au débouché d’une source sédimentaire relativement abondante et régulière, comme les fleuves.

Les éléments architecturaux qu’on y retrouve communément sont (Fig. I-18) : le canyon et le chenal-levées. La partie la plus distale du système correspond à des dépôts de lobes terminaux ou distaux.

Figure I-18: Schéma d’un système turbiditique de type chenalisé et les types de dépôts rencontrés (Galloway, 1998; Reading and Richards, 1994) modifié par Mas (2009).

I.4.1.1. Les canyons

Les canyons jouent un rôle majeur dans les transferts sédimentaires terre-mer car ils sont des corridors qui permettent aux sédiments fluviatiles de transiter rapidement et efficacement du plateau continental vers le pied de pente et la plaine abyssale. L’efficacité dans ce transfert dépend de sa connexion avec la source sédimentaire et de l’influence du niveau marin. On distingue deux types de connexions: (1) la tête de canyon directement connectée avec l’embouchure des fleuves (canyon du Var ou du Zaïre) et (2) le canyon séparé du fleuve par un plateau continental (canyons du golfe du Lion, Amazone, Danube). Dans le premier cas, le fleuve est la principale source sédimentaire et le canyon reste actif même en période de haut niveau marin. La proximité avec la source va ainsi permettre une activité

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importante au sein des canyons (Pratson et al., 1994). Pour les canyons en rebord de plateau continental, une connexion directe avec les apports des fleuves est possible pendant les périodes de bas niveau marin (Covault, 2011; Popescu et al., 2004). Toutefois, en haut niveau marin, ces canyons peuvent encore être actifs, activité favorisée par les processus hydro-sédimentaire sur le plateau et la pente continentale (Canals et al., 2006; Lastras et al., 2007;

Palanques et al., 2006). Morphologiquement, le canyon est une profonde incision en forme de

«V» ou «U» de la pente continentale pouvant remonter jusqu’au rebord du plateau continental selon sa maturité (Farre et al., 1983; Shepard, 1981). Si l’occurrence et les processus d’initiation et de développement des canyons sur les pentes continentales ne sont pas nécessairement bien compris, leur morphologie est la conséquence de la composition des sédiments qui y transitent et le fruit d’une longue évolution dans le temps. Cette évolution est marquée par plusieurs phases d’érosions et dépôt façonnant les grands traits morphologiques du canyon (Baztan et al., 2005; Lastras et al., 2007; Twichell and Roberts, 1982). L’un de ces grands traits est la présence d’une incision axiale appelée thalweg (Babonneau et al., 2002;

Berné et al., 1999; Gaudin et al., 2006; Lastras et al., 2007; Torres, 1995), interprétée comme la conséquence de l’effet érosif des courants de turbidité de forte densité qui y transitaient (Baztan et al., 2005; Huang et al., 2014; Popescu et al., 2004). Développé en période de bas niveau marin, le thalweg est la preuve d’une connexion entre le canyon et un système fluviatile. Si l’érosion permet l’approfondissement du canyon, les dépôts liée au débordement des courants vont entraîner l’édification de levées (Andrews and Hurley, 1978) dont l’aggradation résulte de la succession de débordement des courants de turbidité. Un canyon peut avoir un relief élevé pouvant atteindre les 1 km comme dans le cas du système du Zaïre (Babonneau et al., 2002), ou sur la marge catalane (Andrews and Hurley, 1978). Ces reliefs imposants, sont le lieu d’instabilités, favorisant les glissements et donc l’extension latérale du canyon. La morphologie de la vallée principale des canyons évolue entre un aspect rectiligne et un aspect sinueux que Twichell et Roberts (1982) associent à l’âge des canyons. Ainsi, la sinuosité du canyon indique une certaine évolution du canyon dans le temps en lien avec les courants qui y transitent. Durant la période d’activité du canyon, les courants de turbidité seront liés aux effondrements en masse sur le rebord du plateau, la pente ou sur les apports directs du fleuve. Une fois inactif, généralement à cause d’un éloignement par rapport à la source, la sédimentation pélagique devient dominante.

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I.4.1.2. Le complexe chenal-levée

La dynamique des courants de turbidités se caractérise par des phases d’érosion et des phases de dépôts associées à la fluctuation de la pente. Les dépôts de sédiments répétés sur les bords de l’écoulement construisent des accumulations sédimentaires appelées levées. Leur édification va induire une auto-chenalisation des courants de turbidité formant ainsi un système chenal-levée dans la continuité du canyon. Ce complexe ainsi initié sera entretenu par les courants de turbidité via les processus d’érosion et de dépôt. Le complexe chenal-levée est un élément morphologique commun des systèmes turbiditiques (Var, Indus, Danube, Zaïre, Amazone...). Ils représentent les principaux conduits sédimentaires en milieu profond et sont responsables de l’édification de larges systèmes de dépôts (Kane et al., 2010). Les complexes chenaux levées se distinguent par la présence de deux levées conjuguées pouvant être symétriques (Babonneau et al., 2002; Flood et al., 1991) ou asymétriques (Droz, 1983; Droz et al., 2006; Migeon et al., 2000; Torres, 1995). Les notions d’aggradation et d’incision permettent de distinguer les complexes chenaux-levées entre eux. Ils sont qualifiés d’aggradants quand la profondeur du chenal diminue simultanément avec l’augmentation des levées : type Amazone (Flood et al., 1991). Le type Zaïre (Babonneau et al., 2002) ou Bengale (Hübscher et al., 1997) correspond à l’approfondissement du chenal par l’érosion du fond du chenal. L’aggradation ou l’érosion du chenal se fait en réponse au changement dans les propriétés du courants de turbidité comme : la taille, la densité et/ou la granulométrie (Kneller, 2003). La circulation de ces courants, plus abondant en période de bas niveau marin, a fortement influencé l’évolution des systèmes turbiditiques conduisant à des morphologies très complexes. La morphologie des systèmes comme ceux de l’Amazone, du Zaïre du Bengale, du Mississippi, de l’Indus, du Rhône et bien d’autre encore en est l’exemple. Cette morphologie peut se caractériser par un chenal sinueux incisé par un thalweg lui aussi sinueux. Pour les complexes chenaux-levées des système turbiditiques dominés par des sédiments fins (mud-rich system), cette sinuosité y est particulièrement développée (David C.

Twichell et al., 1996; Piper and Deptuck, 1997).

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Figure I-19: Présentation schématique d'un complexe chenal-levée illustrant les éléments architecturaux, modifié d'après Kane et al (2007).

L’évolution de cette complexité morphologique est clairement visible d’amont en aval dans les systèmes turbiditiques du Congo (Babonneau et al., 2002), du Danube (Popescu, 2002) et du Rhône et est marquée une diminution de la sinuosité d’amont en aval. On y distingue comme éléments architecturaux (Fig. I-19), un chenal bordé par de levée (quelques centaines de mètres) et incisé par un thalweg méandriforme. Les levées du thalweg sont confinées entre les levées du chenal. D’amont en aval, la hauteur des levées ainsi que la sinuosité du chenal diminuent pendant que le thalweg aggrade (Fig. I-20). Cette évolution peut conduire à la disparition du chenal principal, le thalweg devient alors le chenal principal comme dans le cas du Rhône (Droz, 1983; Droz et al., 2006; Fanget, 2009; Torres, 1995).

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Figure I-20: Vu schématique de l'évolution morphologique d'un complexe chenal-levée d'amont (a) en aval (b) adapté d'après Piper et al (1999).

D’autres accumulations sédimentaires associées aux courants de turbidités, connues sous le nom de ride sédimentaire, sont également visibles en pied de pente et sur le glacis continental. D’après les exemples que nous connaissons en Méditerranée (ride du Var ou Pyrénéo-Languedocienne), elles correspondent à un hyper-développement d’une levée du chenal ou d’un flanc du canyon en lien avec les débordements des courants de turbidité (Berné et al., 1999; Jallet and Giresse, 2005; Jorry et al., 2011).

I.4.1.3. Les lobes distaux

L’extrémité d’un chenal-levée se caractérise par une diminution de la hauteur des levées qui induit une diminution puis une disparition du confinement des courants de turbidité. Cela aboutit à une perte d’énergie des courants, à leur arrêt et au dépôt de leur charge sédimentaire. Cette transformation, qui peut être plus ou moins progressive, se traduit par des épandages de sédiment et/ou des bifurcations (avulsions) fréquentes de chenaux peu profonds et qui aboutissent à une morphologie de dépôts divergente appelée « lobe ».

Initialement utilisé pour décrire les corps sableux au débouché d’un complexe chenal-levée (Normark, 1970), ce terme correspond actuellement à la zone de dépôt la plus distale dans un système turbiditique. Les lobes peuvent être attachés ou détachés du chenal qui les alimente (Mutti and Normark, 1987; Van der Merwe et al., 2014). Cette distinction repose sur l’existence ou non d’une zone de transition chenal-lobe (CLTZ) qui dépend de la nature du sédiment transporté par les courants de turbidité (Mutti and Normark, 1987; Wynn et al., 2002).

Pour les lobes attachés, la CLTZ est absente à cause d’une forte baisse de la turbulence du courant conduisant à un dépôt rapide (Mutti and Normark, 1987) (Fig. I-21).

Van der Merwe (2014) parle d’une continuité physique et d’une connectivité entre les apports du chenal et les dépôts du lobe. Associé à un courant transportant essentiellement du sable avec une faible proportion de particule fine, les lobes qui en résultent sont sableux, non chenalisés, et correspondent bien à la définition initiale de corps sableux au débouché d’un chenal (Mutti and Normark, 1987; Normark, 1970).

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Figure I-21: Distinction entre un lobe attaché et un lobe détaché : (A) processus et marqueurs d’érosion et de dépôts en fonction de la teneur en particules fines (argile) et grossière (sable) d’un écoulement (Mutti and Normark, 1987) ; (B) Coupes longitudinales schématiques représentant, en fonction du volume et de la proportion d’argile d’un écoulement (Wynn et al., 2002) modifiés d’après Jégou (2008).

Les lobes détachés montrent une CLTZ lié à une faible diminution de la turbulence du courant, qui empêche le dépôt des particules fines (Fig. I-21). Cette zone qui marque la transition entre le complexe chenal-levée et les lobes va être une zone d’érosion (Wynn et al., 2002) ou de non-dépôt où seuls des sédiments grossiers s’y déposeront. Ce processus répété dans un intervalle de temps assez long conduit à un éloignement important entre le chenal et

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le lobe en raison de l’allongement de la CLTZ (Mutti and Ricci Lucchi, 1975). Dans le cas des lobes détachés, les courants de turbidité transportent un sédiment à dominante argileuse qui conduisent à des lobes chenalisés, dont les chenaux et microchenaux montrent des dépôts sableux (Bonnel, 2005). Les travaux sur les lobes du Zaïre, du Var (Bonnel, 2005) et du Mississippi (Twichell et al., 1992) ont révélé l’importance de la chenalisation et du confinement dans ces lobes distaux. Pour des systèmes confinés comme le Zaïre ou le Néofan du Rhône, la sédimentation se caractérise par des dépôts fins tandis que pour les systèmes non confinés, le sédiment est plus grossier.

L’architecture des lobes permet de distinguer des lobes isolés ou groupés (Stow and Mayall, 2000) ne s’associant pas systématiquement aux notions attaché/détaché. En ce rapportant à la hiérarchisation des lobes (Mulder and Etienne, 2010; Prélat et al., 2009), le lobe isolé correspondrait à un élément de lobe au sens unitaire, et les lobes groupés à un lobe, un système ou un complexe de lobe (Fig. I-22). Selon Gardner et al (2003), les lobes groupés résultent des migrations de la CLTZ dans le temps. À cause de la présence de la CLTZ ils sont considérés comme des lobes détachés comme le montrent Van der Merwe et al (2014) en parlant de « complexe de lobe détaché ». Les lobes isolés pourraient correspondre au premier lobe formé après l’avulsion (avulsion lobe de Flood et al (1991)) ou encore au lobe précurseur (Jegou, 2008).

Figure I-22: Présentation architecturale des lobes groupés et isolés ainsi que la nomenclature utilisée. Figure modifiée d’après Mulder and Etienne (2010).

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I.4.2. Les facteurs de contrôle sur l’évolution des systèmes