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Les facteurs de contrôle sur l’évolution des systèmes turbiditiques

I.4. L ES SYSTÈMES TURBIDITIQUES

I.4.2. Les facteurs de contrôle sur l’évolution des systèmes turbiditiques

La tectonique, le climat, la variation du niveau marin ainsi que les processus sédimentaires au sein du système, contrôlent le fonctionnement des systèmes turbiditiques (Bouma, 2004). Ils peuvent être classés en deux principaux types de contrôle dits interne et externe, ou encore autogénique et allogénique (Cecil, 2003). L’impact de chacun de ces facteurs varie d’un système à l’autre (Bouma, 2000).

I.4.2.1. Le contrôle autogénique

La connexion du système turbiditique avec la source sédimentaire joue un rôle majeur dans la régulation du flux sédimentaire délivré au système turbiditique. Cette connexion va dépendre de la taille du plateau ou de l’incision du canyon. Ce trait morphologique du système turbiditique influe sur les conditions favorables à son fonctionnement. Ainsi, pour des plateaux très réduits comme le Var (Migeon et al., 2006; Mulder et al., 1997; Savoye et al., 1993) ou des canyons l’incisant profondément tel le Congo (Babonneau et al., 2002;

Khripounoff et al., 2003), le système reste actif même en haut niveau marin. En revanche, pour des systèmes à large plateau continental comme le système du Danube, la remontée du niveau marin arrête les apports sédimentaires vers le système. Sur la répartition des sédiments dans le système turbiditique, d’autre trait morphologique sont à prendre en compte.

La profondeur du chenal influe sur le débordement latéral des courants de turbidités en les confinant. Du canyon aux lobes distaux, le confinement est une notion importante permettant de comprendre la localisation des zones de dépôt turbiditique. Le débordement des écoulements sur les levées et terrasses implique que leur hauteur est supérieure à ces obstacles. Pour des hauteurs d’obstacle plus importantes, le courant reste confiné ou peut développer des levées confinées (Babonneau et al., 2002; Kane et al., 2010; Mas, 2009).

La sinuosité dépend fortement de la migration latérale du chenal, qui peut varier aussi bien à l’échelle du système qu’à l’échelle du méandre (Kolla et al., 2001). Associée à la pente du chenal, elle va modifier la vitesse, la turbulence et l’énergie des courants de turbidité qui y circulent, conduisant à leur déversement par des processus de stripping ou spilling (Fig. I-24) (Clark and Pickering, 1996; Hiscott et al., 1997; Piper and Normark, 1983). Ces processus de débordement de courant de turbidité sont importants dans le développement et le maintien des complexes chenal-levées. Les débordements de type flow spilling (overbanking ou overspilling) se produit le long du système quand la hauteur de l’écoulement dépasse celle des levées (Fig. I-23a). En revanche le type flow-stripping (ou splitting) se produit

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préférentiellement au niveau des méandres (Fig. I-23b) conduisant à des dépôts épais de granulométrie importante (Straub et al., 2011). Ce processus est particulièrement influencé par la force centrifuge qui favorise le débordement à l’extérieur de la concavité du méandre, et par la force de Coriolis qui accentue le dépôt et l’érosion sur le flanc droit du chenal (dans l’hémisphère nord). La sédimentation va combler l’espace disponible au sein du système et influencer la forme de celui-ci. Pour la forme des lobes distaux par exemple, on distinguera la forme allongée et la forme étalée selon l’intensité de la contrainte latérale qui limite l’espace disponible (Jegou et al., 2008). La création d’espace disponible est influencée par les facteurs de contrôle externes comme la subsidence et le niveau marin. Une contrainte supplémentaire peut être apportée par les morphologies préexistantes créant un confinement topographique (Jegou, 2008; Mulder, 2011).

L’enregistrement sédimentaire sur les levées va être caractérisée par des turbidites argilo-silteuses généralement laminées Td et Te (Bouma, 1962). Sur les levées externes, l’interaction entre le courant et la morphologie peut développer des vagues de sédiment (sediment wave) comme sur la ride du Var (Migeon et al., 2000), la ride Pyrénéo-Languedocienne (Berné et al., 1999; Jallet and Giresse, 2005) ou encore dans le complexe chenal-levée du Toyama (Nakajima et al., 1998). Elles sont associées à une augmentation de la capacité de débordement du courant en lien avec une baisse du confinement (Kane et al., 2010). Cette baisse est liée à une perte de relief entre le fond du chenal et le sommet des levées, généralement associée à une sédimentation plus importante dans le chenal que sur les levées.

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Figure I-23: Vu 3D des débordements de types A) spilling (Hiscott et al., 1997), B) stripping (Piper and Normark, 1983). La direction de l'écoulement est donnée par les flèches (Babonneau 2002 in Mulder 2011).

I.4.2.2. Le contrôle allogénique

Des facteurs externes déterminent l’évolution des systèmes turbiditiques en y contrôlant la qualité et la quantité de sédiment acheminé en pied de pente (climat, niveau marin, tectonique) et en contrôlant l’espace disponible pour le dépôt des sédiments (tectonique). Ces paramètres agissent à des échelles de temps variables allant de l’événementiel à l’échelle géologique (Posamentier, 1988; Vail, 1987; Vail et al., 1977).

I.4.2.2.1. La tectonique

Bouma (2004) la définit comme étant un facteur majeur qui influence la totalité du système depuis la source jusqu’au dépôt-centre. Les systèmes turbiditiques peuvent se développer dans différents contextes tectoniques définissant plusieurs types de marges (Stow et al., 1983). Deux grands types se distinguent à savoir les marges passives et les marges actives. Les marges actives (Ceinture de feu du Pacifique, Fosse de Manille, Indonésie…) sont des zones de forte activité tectonique marquées par des mouvements verticaux et horizontaux élevés (1 m.ka-1 ou 1 km.Ma-1, Fig. I-24) le long d’un plan de faille. Les marges

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passives (Golfe du Mexique, Golfe du Lion ou Marges Atlantiques) se caractérisent par une faible activité tectonique, les taux de subsidence entre 10 et 250 m.Ma-1 (Fig. I-24). Dans ce type de marge caractéristique de notre zone d’étude, le développement des systèmes turbiditiques est contrôlé par le flux sédimentaire qui est supérieur à la subsidence (Stow et al., 1983). Par son influence (via la surrection) sur les reliefs dans le bassin versant, la tectonique va cependant contrôler l’érosion et le flux sédimentaire. Ce processus répond à l’établissement des conditions d’équilibre entre la topographie et l’activité tectonique (Allen, 2008) qui dépend de l’intensité de l’érosion. Pour des régions à haut relief, les taux de dénudation sont plus élevés de l’ordre 1 m.ka-1 (Stow et al., 1983) ou 2,7 m.ka-1 pour l’Himalaya (Vance et al., 2003). Tandis que dans des régions à faible reliefs, la dénudation est de l’ordre de 0,01 à 0,1 m. ka-1.

La réactivité du système aux changements tectoniques correspond à des échelles de temps géologiques entre 0,1 à 1 Ma pour les zones tectoniquement actives et des échelles de temps plus longues pour les marges passives (Allen, 2008; Stow et al., 1983). Sur une échelle de temps de quelques milliers d’années, les variations induites par la tectonique n’influencent pas l’enregistrement turbiditique.

Figure I-24: Comparaison des taux tectoniques de surrection, de subsidence et de mouvements horizontaux (Stow et al., 1983).

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I.4.2.2.2. Le climat

Les changements climatiques induisent des fluctuations importantes dans la quantité et la composition des apports en sédiments fluviaux (Cecil, 2003). En effet, les précipitations, l'érosion et la production de sédiment sont étroitement liées au type de climat, et par conséquent exercent un contrôle sur le type de matériel qui arrive dans les bassins profonds.

La production sédimentaire dépend de l’exposition des sols aux agents d’érosions que sont les précipitations, les glaciers et les vents. Ainsi, selon les conditions climatiques (aride, humide, glaciaire ou interglaciaire), le taux de dénudation des sols varie considérablement. Hinderer et al (2001) estiment dans les alpes des taux entre 250 et 1060 mm.ka-1 au cours de la dernière période glaciaire, contre 30- 360 mm.ka-1 actuel. Pendant les périodes glaciaires, le climat sec et froid et l’absence de végétation sont propices à l’érosion mécanique par les glaciers et les sédiments sont relativement grossiers. La production sédimentaire est importante, mais l’absence de précipitation rend le transport très peu efficace (Ducassou, 2006; Hinderer, 2001). En revanche, pendant la déglaciation, les flux sédimentaires sont plus importants à cause d’un transport dynamique lié à la fonte des glaciers et d’une production de sédiment importante. La quantification des flux sédimentaires à l’aide des taux de dénudation dans les bassins versants, se fait en grande partie via les mesures des nucléides cosmogoniques (10Be) pour des intervalles de temps de 1 ka à 100 ka (Blanckenburg, 2006; Schaller et al., 2001;

Schaller et al., 2002). Les taux obtenus sont estimés comme non affectés par les changements rapides du climat compte tenu de l’échelle de temps d’exposition des sédiments. La quantification des dépôts terrigènes à l’océan mondial, montre que la masse sédimentaire la plus élevée (30.1018 kg) est observé à partie du Pliocène (5 Ma) (Hay et al., 1988). Ceci s’expliquerait par une production sédimentaire plus importante et une efficacité du transport par les fleuves comme le montrent Hinderer et al (2001) pour les derniers 140 ka dans les Alpes. Selon Schaller et al (2002), au cours des derniers 30 ka l’érosion moyenne en Europe centrale est estimée entre 30 et 80 mm.ka-1. Cette période a probablement enregistré des fluctuations rapides en lien avec la déglaciation. Les variations climatiques à haute fréquence sont enregistrées dans les sédiments marins par une activité turbiditique.

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Figure I-25: Évolution temporelle de la production (a) et du transport (c) sédimentaire entre les périodes glaciaires, interglaciaire et pendant les transitions glaciaire-interglaciaires, (c) montre les phases de stockage et d’évacuation du sédiment (Church and Ryder, 1972) adapté par Hinderer et al (2001).

Les études menées dans le système turbiditique du Var (Bonneau et al., 2014; Jorry et al., 2011) ou encore dans la mer du Japon (Nakajima and Itaki, 2007), montrent une activité turbiditique induite par des variations climatiques millénaires. Entre 30 et 16 ka le système turbiditique du Var enregistre des fréquences de turbidites de l’ordre d’un événement tous les 10 à 30 ans contre un évènement tous les 100 à 500 ans après 16 ka. Sachant que le système est directement connecté au fleuve, ces variations retracent l’activité des glaciers dans le bassin versant. Les travaux de modélisation de Kettner et Syvitski (2009) montrent également qu’au cours de cette période, les décharges liquides et solides des fleuves méditerranéens (Rhône, Pô et Têt), ont évolués sous l’influence de l’ablation des glaciers alpins.

I.4.2.2.3. Les fluctuations du niveau marin

Le niveau marin fluctue avec le volume d’eau dans les océans (eustatisme, lié au volume de glaces stockées dans les calottes et les glaciers et à la température moyenne des océans), et les mouvements verticaux des marges continentales (subsidence thermique, glacio- et hydro-isostasie). Ainsi, les fluctuations du niveau marin déterminent l’espace disponible à la sédimentation sur le plateau continental. En période de bas niveau marin (comme au

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Dernier Maximum Glaciaire) le plateau est exondé et n’offre pas d’espace de sédimentation et les sédiments fluviatiles sont déversés dans un canyon pour alimenter le système turbiditique.

Au cours de la remontée du niveau marin, les systèmes peuvent cesser de fonctionner où persister encore un certain temps (Ducassou, 2006). Cette persistance peut-être en lien avec un flux sédimentaire important ou des remobilisations sédimentaires sur le plateau par des phénomènes de cascading et les tempêtes (Canals et al., 2006; Dennielou et al., 2009;

Palanques et al., 2006; Ulses et al., 2008). En période de haut niveau marin, comme actuellement, les systèmes turbiditiques développés au pied d’un plateau continental large (Amazone, Bengale, Mississippi, Danube, Rhône...etc.) sont inactifs car le plateau offre beaucoup d’espace pour le dépôt des sédiments fluviatiles et le développement de deltas et de prodelta. A l’opposé, les systèmes turbiditiques développés au pied d’un plateau continental étroit, (Zaïre, Var, La Jolla) sont actifs quel que soit le niveau marin (Khripounoff et al., 2003) car le plateau n’offre jamais d’espace disponible pour l’accumulation des sédiments fluviatiles. Par rapport aux variations du niveau marin les systèmes turbiditiques peuvent être classés en trois groupes (Covault and Graham, 2010): (1) les systèmes actifs en haut et bas niveau marin (Zaïre, La Jolla, Var, Toyama), (2) systèmes transgressifs (Bengale, Mississippi, Nil) et (3) les systèmes actifs en bas niveau marin (Amazone). Dans ce contexte, l’activité des systèmes du Var (mer Ligure) de Toyama (mer du Japon), est contrôlée par le climat et les fluctuations de production et de transport du sédiment dans le bassin versant. On peut également citer les « systèmes turbiditiques » dont les dépôts ont progradé jusqu’au rebord du plateau (e.g. Niger et Nil) et dont l’activité est également contrôlée par les fluctuations climatiques (Ducassou, 2006).

I.4.3. Les systèmes turbiditiques : archive des transferts