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Montréal un laboratoire des recherches sur l’immigration ?

Chapitre 1 : Regards sur l’Altérité et la ville : de l’immigration à l’ethnicité

1.4. La fabrique de l’espace ethnique dans les contextes urbains contemporains

1.4.4. Montréal un laboratoire des recherches sur l’immigration ?

Pour mieux comprendre les enjeux entourant l’immigration et l’ethnicité dans la ville, il est nécessaire de s’intéresser à des échelles diverses : micro-localisée, l’échelle de la rue, échelle métropolitaine, etc. Comment se développent alors les différentes mises en scènes multiscalaires de l’ethnicité dans la ville, et parfois jusqu’à créer un modèle paradigmatique? Dans ce contexte, même si Montréal est présentée comme une «société multiculturelle» (McNicoll, 1993) et comme un «laboratoire de cosmopolitisme» (Germain, 1997), il importe ici de se demander comment Montréal compose avec sa caractéristique plurielle, à des échelles diverses.

« A cause de la variété d’émotions qu’il éveille et des multiples fonctions qu’il remplit, le Village gai s’apparente étroitement aux quartiers ethniques qui parsèment depuis longtemps le territoire montréalais. » (Remiggi, 1998 : 268)

Remiggi permet de placer une comparaison utile pour saisir le fait que ce qui se joue dans l’espace urbain est bel et bien la mise en scène de la différence, sa reconnaissance et les négociations qui l’entourent. À cela près que la différence à laquelle on s’intéresse ici concerne l’appartenance ethnique. Et en cela Montréal est un espace qui peut être considéré comme un laboratoire très particulier.

Revenir sur les études interethniques à Montréal implique d’évoquer les travaux de sociologues urbains qui qualifient Montréal de ville paradigmatique (Germain, 2011). En effet, les recherches sur l’espace montréalais montrent dans l’ensemble qu’il y a une pratique de la différence et de la

diversité montréalaise qui peut être un cas d’école à l’instar des villes paradigmatiques de Chicago ou de Los-Angeles. L’école de Montréal (Germain, 2013), idée apparue sous la plume de Germain pour questionner les caractéristiques de la métropole québécoise notamment en matière de gestion de la diversité et de cohabitation interethnique, a décrit plusieurs des espaces dans lesquels s’activent les frontières ethniques.

Par exemple, dans un espace tel que la rue commerçante ethnique, définie comme un espace de proximité et comme espace symbolique où la pluriethnicité prend place et où elle est modelée (Radice, 2008), c’est le commerce qui confère selon Radice son caractère «ethnique» à une rue pluri/ethnique. Ainsi les commerçants peuvent développer des stratégies de « marketing du lieu » pour développer la rue commerçante tantôt pluriethnique, tantôt ethnique, tantôt rue patrimoniale ou d’une spécialisation telle la restauration. L’objectif recherché est une distinction des autres rues de la ville (Radice, 2008). Les quartiers dits «ethniques» n’échappent pas eux non plus à une certaine touristification, qui est à intégrer plus globalement dans la dynamique des villes et des pratiques municipales.

Même si Montréal semble en train de vivre un changement de paradigme, sur lequel on reviendra au cours de cette thèse, il faut rappeler ce qu’a été la spécificité de la ville. En effet, à Montréal, l’on assistait encore il y a quelques décennies à une concentration relative des groupes ethniques dans certains quartiers de la ville et à la création de «petites patries», comme la Petite Italie montréalaise ou le quartier portugais Saint-Louis. Il est important de noter aujourd’hui la dispersion géographique des immigrants récents et l’étalement des marqueurs de la visibilité ethnique. Ces marqueurs culturels, commerciaux, cultuels sont un des moyens de mettre en visibilité certaines appartenances communautaires, comme mentionné ci-dessus. Désormais à Montréal c’est à une «multiterritorialisation» des communautés et des individus que l’on assiste (Hasbert Da Costa, 2004). Les vagues récentes d’immigration sont pour la plupart dispersées, même si sporadiquement des concentrations s’opèrent, comme des recherches sur les Russophones ont pu le montrer (Richard, 2011).

Aujourd’hui les études sur l’immigration tendent à décrire les espaces urbains marqués par des groupes dits ethniques, mais comprennent aussi les perspectives des trajectoires résidentielles, décrivant ainsi une géographie de l’immigration complexe ou ce que Germain et Poirier appellent les territoires fluides. Cette thèse s’inscrit dans le sillage des études montréalaises sur l’ethnicité qui développent une certaine complexité de la géographie de l’immigration, nécessaire si l’on veut saisir justement les frontières ethniques qui s’y élaborent. Parmi ces

(2006) sur la diversité ethnique et sa gestion sont par exemple des bases de compréhension des politiques municipales, auxquelles il est important d’ajouter les travaux sur la dispersion géographique (Richard, 2011 ; Germain et Mitropolitska, 2008). Mais ce sont aussi les travaux plus anciens des chercheurs, autant historiens, géographes que sociologues qui ont été majeurs pour comprendre les changements historiques dans la pensée sur l’immigration et les réalités des différentes vagues d’immigration (Lavigne, 1979 ; Robichaud, 2004 ; Ramirez, 1989). Ces travaux incitent à reconsidérer toujours les nouvelles vagues d’immigrants comme des vecteurs de compréhension des changements sociaux qui s’opèrent, notamment en milieu urbain, inscrit dans une continuité avec les autres groupes d’immigrants.

Dans la mesure où l’inscription de l’immigration est un classique dans le contexte urbain et dans la mesure où le Québec et le Canada ne cessent de recevoir des flux d’immigration, il est essentiel de questionner les nouvelles formes d’urbanisation de l’immigration ainsi que les marquages des nouveaux groupes. Il semble ainsi évident que le chercheur devrait se pencher sur les réalités des nouvelles immigrations notamment les cohortes des Nord-Africains. C’est ainsi que le travail présenté ici, sur les immigrants du Maghreb ou les Nord-Africains, propose de se pencher sur un groupe, dont la mise en scène de l’ethnicité prend lieu et place à Montréal, et dont l’ethnicité se construit au rythme des interactions avec la société québécoise et canadienne.