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Ethnicité, groupe ethnique et frontières de l’ethnicité

Chapitre 1 : Regards sur l’Altérité et la ville : de l’immigration à l’ethnicité

1.2. Quand la ville est l’espace de la mise en scène de l’altérité et du marquage des rapports

1.2.1. Ethnicité, groupe ethnique et frontières de l’ethnicité

L’ethnicité, comme « conscience commune» et sentiment partagé par des individus se sentant appartenir à une collectivité se définit comme suit : «L’ethnicité (qui fait référence à la descendance d’ancêtres communs, réels ou putatifs) n’est pas un donné, n’est pas définie une fois pour toutes et transmise héréditairement» (Juteau, 1999). L’ethnicité se pose dans les interactions, donc elle est socialement construite. Cette idée permet de situer les relations interethniques dans les « situations de contact ». Enfin et comme le préconise Simon, l’ethnicité doit être comprise comme mouvante, tout comme l’identité (Simon, 2000). Elle revêt une certaine «permanence» mais elle est recomposée sans cesse par les bricolages qui s’opèrent au gré des interactions.

Cette ethnicité est généralement partagée par un groupe, dit groupe ethnique. C’est Weber qui a permis de définir le groupe ethnique comme suit :

«Nous appellerons groupes ethniques, quand ils ne représentent pas des groupes de parenté, ces groupes humains, qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d’origine fondée sur des similitudes de l’habitus extérieur ou des mœurs ou des deux ou sur des souvenirs de la colonisation ou de la migration, de sorte que cette croyance devient importante pour la propagation de la communalisation - peu importe qu’une communauté de sang existe ou non objectivement » (Weber, 1995).

Le groupe ethnique se présente alors comme une construction historique et une dynamique relationnelle, dont le sentiment d’appartenance et le partage d’une même mémoire ou culture fondent la frontière qui s’établit entre un «eux» et un «nous» (Juteau, 1999; Poiret, 1993, 2000).

Pour mieux comprendre le groupe ethnique, il implique donc également de lui adjoindre la notion de frontières qui le balisent, que Barth définit ainsi : «le point crucial de la recherche devient la frontière ethnique qui définit le groupe, et non le matériau culturel qu’elle renferme (Barth, 1969). L’auteur précise que ces frontières sont des «frontières sociales» mais qu’elles peuvent avoir un pendant territorial. Par ailleurs, Barth indique que :

«les groupes ethniques ne persistent comme unités significatives que s’ils impliquent des différences de comportement marquées, c’est-à-dire des différences culturelles persistantes » (Barth, 1969).

Ces mêmes frontières mouvantes et en construction sont des éléments importants car ils sont manipulables par les acteurs (Poutignat, Streiff-Fenart et Barth, 1995) et mènent ainsi à une segmentation et à une recomposition des groupes (Bilge, 2004). Se basant sur les définitions élaborées par Weber, Juteau souligne que «la délimitation des groupes ethniques, et donc l’émergence des frontières, est souvent un produit artificiel de l’action de la communauté politique» (Juteau, 1999). Les frontières des communautés et des groupes peuvent être distinguées entre les frontières internes qui inscrivent les différences à l’intérieur d’un « nous » et les frontières externes qui définissent une frontière entre un «eux» et un «nous». Les frontières sont donc mouvantes et se redéfinissent selon les dynamiques internes et externes aux groupes et aux « communautés ».

Évoquer les frontières ethniques implique aussi un autre concept, celui de «saillance ethnique». En effet, les interactions sociales, qualifient les frontières et les groupes eux-mêmes. Dans un contexte social pluraliste, la saillance ethnique est d’abord le processus « par lequel les traits d’attribution sont sélectionnés, mis en mots et rendus disponibles pour l’action sociale » (Lorcerie, 2013). En effet, le fait que les traits définis (de l’intérieur ou de l’extérieur) sont repris par le groupe et «deviennent des éléments de répertoire pour l’individu» (Lyman et Douglass, 1973) ce que d’aucuns nommeraient le retournement du stigmate (De Rudder, 1998; Galissot, 1995; Goffman, 1975; Sayad, 1999) devient en fait un caractère ethnique «saillant» utilisé dans les interactions : le nom que l’on donnera à tel ou tel groupe ethnique (ethnonyme) sera d’une importance majeure dans son autodéfinition, dans ses actions collectives etc. (Lorcerie, 2013). Il faut ajouter que cette notion de saillance peut également être présentée comme une mise en

Leonetti, 1989; Tremblay, 2011). Ainsi l’ethnicité peut être mobilisée comme une ressource à des fins d’organisation collective (Neveu, 1996).

Ainsi, l’on retiendra que l’ethnicité ou l’appartenance à un groupe est un construit social se basant sur des pratiques, des discours et ce dans des contextes très déterminés (Leloup et Radice, 2008). Ceci dit, définir l’ethnicité est certes indispensable pour comprendre les notions de communauté et pour mieux saisir les bases de la construction de l’altérité, mais il faut noter également l’importance que prennent les questions d’ethnicité dans les débats de société, là où semblaient prédominer des questions dites sociales (Fassin et Fassin, 2006; Juteau, 1999). En effet, la littérature tant européenne qu’américaine a développé toute une compréhension à avoir des processus d’ethnicisation des questions sociales. Ainsi, dans le contexte français, Fassin et Fassin, évoquent cette problématique dans un ouvrage intitulé « De la question sociale à la question raciale » et dont l’introduction préfigure tout le passage à la racialisation des rapports sociaux, à l’ethnicisation de rapports de domination (Fassin et Fassin, 2006; Guillaumin, 1994). Cette nouvelle conception, dont Bastenier et Dasseto pensent qu’elle est une requalification des rapports sociaux ainsi qu’un recours à un système de différenciation sociale (Bastenier et Dassetto, 1993), semblerait déplacer les termes des problématiques sociales, qui restent pour nombre d’auteurs, centrées autour des inégalités sociales et des différences de classes (Balibar et Wallerstein, 1988; Fassin et Fassin, 2006; Keucheyan, 2010). Cette division des perspectives sur la prédominance de l’ethnicité face aux questions sociales, qui s’inscrit dans les systèmes politiques et idéologies nationales, sera évoquée plus loin sous l’angle de la reconnaissance. D’ores et déjà notons que cette distinction entre questions sociales et questions ethniques ou raciales mérite un regard transversal que la lecture intersectionnelle simplifierait.