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Les Maghrébins à Montréal : la spatialisation multinodale d’un groupe hétérogène ?

Chapitre 3 : Des immigrants maghrébins au portrait d’un groupe ethnique en construction

3.4. Les Maghrébins à Montréal : la spatialisation multinodale d’un groupe hétérogène ?

3.4.1. Un groupe hétérogène qui illustre l’hétérolocalisme nodal ?

Les notions d’hétérolocalisme et d’hétérolocalisme nodal que nous avons développées dans la revue de la littérature (Bushi, 2014 ; Hardwick, 2006 ; Zelinsky, 1998) sont très utiles pour le groupe des Maghrébins. En effet, elles permettent de déterminer dans quelle mesure les immigrants maghrébins appartiennent à une géographie de l’immigration devenue classique. En effet, celle-ci porterait les immigrants à être moins enclins à se concentrer et à plus volontiers s’inscrire dans les modes de vie et de mobilité inhérents à la ville et à l’espace urbain (Leloup, 2014 ; Ihlanfeld et Scafidi, 2004). Ces modes de vie, notamment dans le cas de Montréal, illustrent l’unicité de la ville développée par nombre d’auteurs (Germain, 2013).

Ainsi l’ensemble des auteurs qui ont conceptualisé l’idée d’hétérolocalisme et ceux qui l’ont opérationnalisée (Bushi, 2014 ; Hardwick, 2006 ; Richard, 2012 ; Zelinsky et Lee, 1998) nous permettent d’assoir théoriquement le fait que le groupe étudié dans cette recherche est un cas qui présente autant de «volonté de communauté» par les marqueurs décrits et cartographiés, que de volonté de s’inscrire de façon dispersée.

Dans le questionnement de cette recherche, il s’agissait de se demander si les Maghrébins sont un groupe hétérolocal. Ainsi l’hypothèse des Maghrébins comme un cas d’hétérolocalisme nodal

semble se vérifier à partir des éléments décrits dans ce chapitre. L’analyse des données et notamment des nœuds de concentrations, déterminés à partir des marqueurs, mettent devant un cas d’hétérolocalisme nodal.

Une lacune soulevée par Hardwick en réponse à Zelinsky est sa façon de ne pas penser les possibilités de concentration malgré la dispersion. En effet les choix individuels des immigrants appartenant à des groupes considérés comme hétérolocaux ne peuvent pas être seulement fait de stratégies individuelles. Certes la ville ou la métropole est le lieu de l’hyper-diversité des choix et des possibilités, mais elle ne peut nier les dynamiques collectives qui peuvent amener à des concentrations de type classiste, ethnique ou encore basée sur les modes de vie.

Une seconde lacune, que ce travail propose de combler, et qui complexifierait la vision de l’hétérolocalisme, est bien le manque de qualification des nœuds de concentration. Le travail de Zelinsky voit dans le transnationalisme une forme d’illustration de l’hétérolocalisme. Ainsi, une certaine conception plutôt individualiste voudrait que l’individu immigrant soit un électron attaché «ici et là». Or la perspective intersectionnelle de l’individu et de ses appartenances apporte des palettes nuancées de ce qui le mène à faire des choix d’une part ou à être contraint à des conditions d’autre part. L’inscription géographique des immigrants ne peut être seulement un conditionnement et ne peut pas être seulement une question de choix. Les stratégies de localisation et de mouvements dans la zone métropolitaine sont une façon de lire la réalité des immigrants, autant que les marques ou nœuds qu’ils créent et tendent à parfaire au fur et à mesure du temps. Dans le cas des Maghrébins, l’installation dans des zones diverses, différentes et dispersées montre la capacité à s’installer dans des lieux divers de la ville pour répondre aux besoins liés aux modes de vie, aux conditions économiques, aux parcours personnels et professionnels. Les nœuds qui se mettent en place, sans jamais être figés dans leur définition doivent ainsi être pris en compte de façon complémentaire voire comparative, pour comprendre le groupe étudié.

En se basant sur les apports de Hardwick et sur la nécessité de lire autant la concentration que la dispersion, il serait essentiel de préciser dans le cas des Maghrébins qu’il existe plusieurs nœuds. Ainsi ne serait-t-on pas ici en présence d’un groupe qui oscillerait entre un modèle d’hétérolocalisme multi-nodal et un cas d’utilitarisme fonctionnel, que l’hétérogénéité du groupe décrite dans ce chapitre expliquerait ? En effet, les choix de résidence, qui ont été décrits dans les choix des types quartiers, illustrent la multitude des espaces résidentiels. Par ailleurs la cartographie des marqueurs a, quant à elle, permis de saisir les concordances ou les

discordances entre les localisations des marqueurs et les lieux de résidence et les autres fonctions de l’inscription d’un groupe ethnique dans l’espace urbain.

3.4.2. Nœuds de concentration et maintien des liens communautaires

Le portrait dressé dans ce chapitre, tant par ses illustrations cartographiques que par les données permet se questionner sur le groupe des Maghrébins comme communauté. Comme démontré au cours du chapitre, les composantes internes à ce groupe d’immigrants issu d’Afrique du Nord sont très nombreuses. Comme souligné également certains rapports sociaux, notamment économiques et plus précisément avec la question du chômage, créent une altérisation pouvant être fondée sur l’origine, ici «maghrébine».

Les Maghrébins sont un groupe hétérogène, dont le moyen de maintenir l’appartenance communautaire, s’opère par des marqueurs dispersés sur le territoire montréalais et de lieux de concentration. A partir de la définition de Bilge de la communauté ethnique (Bilge, 2004), il est possible de considérer les différents marqueurs comme participant de deux tendances :

- les marqueurs lient les individus dans leurs origines nationales autant que dans maghrébinité - les marqueurs participent de la construction d’un groupe ethnique maghrébin

Les trois piliers, restitués dans la recension de la littérature, que Bilge a décrits comme étant essentiels à la formation d’une communauté ethnique semblent s’être mis en place au fur et à mesure des années de présence des Maghrébins. Ainsi les dimensions organisationnelles, identitaires et politiques se sont ancrées dans l’espace montréalais, comme le montrent la cartographie des marqueurs. D’un point de vue géographique, il a été essentiel également de se demander comment cette communauté ethnique a traduit son inscription. Ainsi, toute la dispersion décrite n’empêche pas la concentration. Bien au contraire, les nœuds de concentration s’avèrent nombreux et ont des caractéristiques et des attributs différents : l’est de la ville de Montréal avec les quartiers Saint-Michel, Saint-Léonard et Anjou semblent être des espaces particulièrement utilisés par les Maghrébins.

Ce chapitre, destiné à décrire la présence «maghrébine» faite d’hétérogénéité, s’inscrit dans une recherche qui tente de donner sens autant aux dynamiques opposées de concentration et de dispersion qu’à celle de sentiment d’appartenance ou sentiment du lieu. La partie suivante sera ainsi consacrée à l’analyse d’un des nœuds qu’est le Petit-Maghreb.

CHAPITRE 4 : LA MISE EN SCÈNE COMMERCIALE DE LA