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Partie III. Le Temple de la littérature, au cœur d’une politique nationale et de projets

B. Aligner un symbole de la patrie sur les normes de la mondialisation

3. Montée en gamme du Temple de la littérature et stratégies d’adaptation des commerçants de

La montée en gamme du Temple de la littérature organisée par le centre de gestion du site dans le cadre des politiques touristiques de l’État-Parti pourrait même être profitable à une partie des acteurs locaux et ultra-locaux.

Tirer profit de la montée en gamme du Temple de la littérature

Depuis l’augmentation de sa visibilité nationale et internationale et depuis le réaménagement de son parc et de son lac, le Temple de la littérature attire une masse importante de visiteurs et de locaux219. Le Temple de la littérature ne proposant pas de service de

restauration, son équipe de gestion sait que les vendeurs ambulants satisfont la demande de boissons et de friandises de nombreux visiteurs. Pour les vendeurs ambulants, le dynamisme du Temple de la littérature est donc une chance.

« Nous connaissons tous le calendrier du Temple de la littérature. En semaine je vends plutôt dans les

36 rues, mais pour le Tết ou lors du festival des étudiants, je viens au Temple de la littérature, les ventes sont

meilleures ».

Cette marchande ambulante de kẹo kéo220, forme de sucette locale au sucre d’orge, a su tirer parti

de la montée en gamme du Temple de la littérature. Dans les 36 rues, la concentration intense de marchands de rue crée une forte concurrence : les activités du Temple de la littérature créent un nouveau pôle économique dans la ville, lui permettant de diversifier ses stratégies de vente et de

219 Cette période débute dans les années 2000 et se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

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mieux partager la demande avec ses collègues. Elle a su transformer la montée en gamme du Temple de la littérature en une véritable opportunité économique.

Le commerçant de rue, une figure patrimoniale ?

Plus encore, des marchands de rue sont parfois officiellement mobilisés pour participer aux événements du Temple de la littérature. Ce fut le cas lors du festival de calligraphie organisé par le Temple. Ce festival a lieu autour du lac, c’est-à-dire dans l’espace géré par le Temple de la littérature où la vente de rue est habituellement interdite. Or, pendant ce festival, plusieurs marchands ambulants proposaient quotidiennement leur marchandise. Il s’agit généralement de marchands vendant un produit unique, qu’il s’agisse de nourriture (kẹo kéo, bò bía ngọt221) ou de

petits produits d’artisanat (figurines en pâte à modeler durcissant sur un bâton, porte-clé en bois gravé sur place). La présence de marchands de rue dans l’enceinte du lac étonne, la vente de produits d’apparence modernes (figurine en pâte à modeler) plus encore. Le festival est censé célébrer les traditions vietnamiennes.

Les entretiens avec les commerçants de rue et la directrice du Temple de la littérature fournissent des éléments de compréhension. Les commerçants ambulants avaient loué leur place au festival. Ces derniers avaient donc une place officielle dans l’espace autour du lac. Le système de contrôle à l’entrée du lac fonctionnait d’ailleurs toujours pour ceux qui n’avaient pas leur « contrat de location ». Ce simple fait est notable : il signifie qu’une place était prévue pour les commerçants de rue au sein du festival. En fait, la place du commerce de rue est telle que sa présence au cours des événements festifs est considérée comme « traditionnelle »222. La

vendeuse de figurines en pâte à modeler justifie ainsi sa présence : « C’est une tradition de mon village que de faire ces figurines en pâte à modeler. Je suis moi-même formatrice : j’apprends aux jeunes. On connaît tous les endroits où venir vendre »223. Il faut certes prendre avec précaution ce

discours. Le savoir-faire de la figurine en pâte à modeler ne peut pas être une « tradition » très ancienne ; l’existence d’un village spécialisé dans l’artisanat de la figure en pâte à modeler reste à vérifier. Il peut indiquer que la vendeuse de rue maîtrise le discours commercial pour justifier sa présence au sein d’un festival « traditionnel ». Il suggère également, étant donné l’importance du

221 Le bò bía ngọt est une friandise locale à base de feuille de riz ou de blé, de noix de coco râpée et de sucre de

malt.

222 Adjectif employé par d’une représentante du bureau de la culture du Temple pour désigner les commerçants

de rue, entretien du 17/04/18.

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commerce de rue à Hà Nội, que la vendeuse se représente comme l’une des figures identitaires de la ville. En indiquant qu’elle vient de l’un des villages de la région de Hà Nội, elle s’inscrit dans la tradition des pratiques commerciales entre la capitale et ses villages de métiers224. Même si elle

vend des figurines en pâte à modeler, elle considère sa pratique comme traditionnelle parce qu’elle reproduit une tradition commerciale ancestrale à Hà Nội, celle de la vente de rue. Cette représentation du commerçant de rue comme « une habitude au Vietnam », voire « une tradition vietnamienne » a été confirmée par certains visiteurs225. La plupart disent que les produits qu’ils

vendent ne sont pas toujours traditionnels, mais assurent que leur pratique, celle du commerce de rue, l’est.

La situation des marchands de rue se trouve donc dans une position paradoxale. Au nom de l’aménagement urbain et de la volonté d’imiter des modèles internationaux où la rue est « belle et propre », ils ont tendance à être chassés. Dans le même temps, parce qu’ils exercent une pratique ancienne et omniprésente à Hà Nội, les commerçants de rue peuvent être l’objet d’une reconnaissance officielle.

Les effets de la dynamique d’internationalisation au Temple de la littérature sont particulièrement complexes. S’ils peuvent aller à l’encontre de certaines pratiques locales, la capacité d’adaptation des locaux peut transformer cette dynamique en une force pour négocier leur présence, voire augmenter leurs profits. La complexité des rapports entre les autorités et les commerçants de rue, oscillant entre rapport de force et tolérance, voire sympathie, le permet effectivement.

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224 La ville de Hà Nội s’est historiquement formée en restant en très forte relation commerciale avec les villages

de métier qui se trouvent à ses alentours (environ 30-40 km du centre-ville). Tous spécialisés dans un artisanat spécifique, ses villages pourvoyaient la capitale en biens. Aujourd’hui, ils sont à nouveau compris à l’intérieur des limites administratives de la ville de Hanoï. Cf. Papin, Histoire de Hà Nội.

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