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3.4 Friction de gouttes non mouillantes : bilan

4.1.2 La montée capillaire

Tubes cylindriques

Pour étudier des milieux poreux très divers, il est souvent utile de les comparer au cas de tubes cylindriques de faibles rayons, souvent appelés "tubes capillaires", dans lequel la géométrie est beaucoup mieux contrôlée. Lorsqu’on place ces tubes au contact d’un bain et si l’angle de contact est inférieur à 90◦, on observe une montée du liquide dans les tubes

(figure 4.2). Si le phénomène est mentionné dans les carnets de Léonard de Vinci, ce n’est qu’au tournant du 18ème siècle que les premières études systématiques sur le sujet sont menées, d’abord par Borelli puis par Hauksbee [Hau08, DGBWQ04]. Plus le rayon interne du tube est petit, plus la hauteur atteinte est élevée. Ces observations, confirmées par les travaux de Jurin [Jur17], ont étés expliquées près d’un siècle plus tard par Laplace [Lap07]. Pour cela, écrivons l’énergie E de la colonne de liquide, somme d’une énergie potentielle de pesanteur et d’une énergie de surface :

E = 1 2ρgπR

2h2+ (γ

SL− γSG)2πRh (4.2)

Figure 4.2 – Lorsqu’un tube de faible rayon interne est immergé partiellement dans un bain, la montée capillaire a lieu si l’angle de contact est inférieur à 90◦. Plus l’angle de

98 CHAPITRE 4. CONDITIONS D’IMPRÉGNATION D’UNE POUDRE

où g est l’accélération de pesanteur, ρ la densité du liquide, R le rayon du tube et h la hauteur de la colonne. Nous avons supposé ici que R ≪ h, et en conséquent négligé le volume du ménisque devant celui de la colonne. En minimisant cette énergie et en utilisant également la relation de Young (4.1), on obtient la hauteur du ménisque hcyl par rapport

au niveau du bain, appelée également "hauteur de Jurin" :

hcyl =

2γ cos θ

Rρg . (4.3)

On retrouve bien que la montée capillaire dans le tube n’a lieu (hcyl > 0) que si l’angle

de contact est inférieur à 90◦. Dans le cas contraire, on observe une descente capillaire,

le niveau dans le tube étant alors inférieur à celui du bain environnant. Pour θ < 90◦, la

hauteur maximale atteinte par le liquide augmente lorsque l’angle de contact θ diminue, comme observé expérimentalement (voir figure 4.2). Lucas [Luc18] et Washburn [Was21] ont étudié la dynamique de l’imprégnation dans les tubes. La force due aux énergies de surface (de l’ordre de Rγ cos θ) est équilibrée par la dissipation visqueuse, dans le cas où l’inertie et la gravité peuvent être négligées (c’est-à-dire pour de petits rayons et une hauteur faible devant hcyl). La dissipation visqueuse se fait sur le diamètre du tube, d’où une

contrainte visqueuse de l’ordre de ηV/R, à appliquer sur une surface d’ordre Rh. Comme V = ˙h, l’équilibre des forces s’écrit Rγ cos θ ∼ η ˙hh, et on en déduit par intégration la loi pour h(t), aussi appelée loi de Lucas-Washburn :

h2(t) ∼ Rγ cos θ

η t, (4.4)

D’autres régimes où l’inertie, la gravité, ou le transport de surfactants dominent ont éga- lement été étudiés, entre autres par Zhmud et al. [ZTH00], et des corrections à la loi précédente sont alors nécessaires.

Des poreux plus sophistiqués

De manière analogue à l’équation (4.3), on peut calculer la hauteur statique dans un autre modèle élémentaire de poreux : une cellule de Hele-Shaw. Lorsque l’espacement 2R entre ces deux plaques parallèles est faible devant la longueur capillaire, la hauteur hHS de

montée vaut, en négligeant les effets de bord :

hHS =

γ cos θ

Rρg . (4.5)

Bien que la géométrie soit alors très différente de celle du tube, la hauteur obtenue hHS

ne diffère de hcyl que par un facteur numérique. En particulier, l’angle critique, c’est-à-dire

l’angle de contact maximal pour lequel une montée capillaire est observée, reste θ⋆

cyl= 90◦,

et il est donc tentant de penser que ce résultat est général.

Toutefois, si on s’intéresse à des milieux poreux plus complexes, force est de constater que ce n’est pas le cas. Pour des tubes capillaires de section carrée [BQ02], la montée n’a lieu que si θ < 45◦. Plus généralement, dans une géométrie en coin d’angle d’ouverture 2α,

Concus et Finn [CF69] ont montré que l’angle de contact pour permettre la montée dépend de α puisque la montée n’a lieu que si θ < θ⋆

coin = 90◦−α, ce qui signifie que l’imprégnation

n’a pas lieu pour toute une gamme d’angles de contact pourtant bien inférieurs à 90◦. Il

4.1. PROLOGUE 99

n’est pas constante, avec en particulier le cas d’un capillaire sinusoïdal. Tsori [Tso06] a montré que dans ce cas plusieurs positions d’équilibre du ménisque coexistent, tandis que Czachor [Cza06] a mis en évidence l’existence d’un angle contact critique qui dépend de la géométrie des pores. Un résultat similaire est observé pour un autre genre de poreux, les surfaces micro-texturées, dont l’imprégnation peut être également bloquée à cause de leur géométrie complexe [BTQ02, BY11].

On peut remarquer que la valeur de l’angle de contact critique θ⋆ n’est pas directe-

ment reliée à la hauteur de la montée capillaire dans le poreux. En effet, en situation de mouillage nul, on retrouve le résultat de l’équation (4.3) pour des tubes capillaires de sec- tion carrée [Pri69b, RC94, BQ02], avec un préfacteur numérique différent. Dans le même esprit, la loi de Lucas-Washburn (4.4) est tout à fait adaptée à la dynamique de ces poreux fermés. La montée se fait différemment pour des poreux plus ouverts : plusieurs travaux sur les conditions nécessaires pour imprégner un coin [CF69, TT94, HML08] ont montré que, dans ce problème privé de longueur intrinsèque, lorsqu’il y a montée capillaire le li- quide devrait théoriquement monter indéfiniment (bien que la vitesse de montée diminue au cours du temps). Des résultats similaires sont obtenus dans des géométries proches, comme par exemple le contact entre deux cylindres [Pri69a]. Ponomarenko et al. [PQC11] ont étendu ces résultats en montrant que la montée capillaire dans un coin suit une loi h(t)/a ∼ (γt/ηa)1/3, quelle que soit la géométrie du coin. Il faut donc distinguer princi-

palement deux cas, suivant que la géométrie du poreux soit ouverte ou fermée, mais dans chacun d’eux, la géométrie du milieu influe seulement sur les coefficients numériques dans la loi de montée du liquide.

Ainsi, si la géométrie affecte peu la hauteur de la montée capillaire, elle est en revanche cruciale pour déterminer l’angle de contact maximum permettant au liquide d’envahir le poreux. Une analogie directe entre le milieu et un ensemble de capillaires cylindrique est donc trop simpliste lorsqu’on s’intéresse à la condition d’imprégnation. Dans la suite, nous nous intéressons au cas d’un milieu poreux formé par un empilement de grains.