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3.2

Formation de gouttes enrobées

3.2.1

Ingrédients

Pour réaliser nos expériences, nous avons utilisé de l’eau distillée ou des mélanges eau- glycérol, afin de modifier la viscosité. Plusieurs types de grains hydrophobes ont été utilisés afin de faire varier leur taille et les propriétés de mouillage.

Grains de lycopodes

Nous avons effectué la majorité des mesures dynamiques avec des grains de lycopodes. Ce sont des spores naturels de grandes mousses de la famille des lycopodiacées, que l’on obtient directement chez le fournisseur Sigma-Aldrich. Leur diamètre vaut typiquement 30 ± 3 μm, et ils présentent une surface rugueuse et poreuse (voir figure 3.4(a)) qui renforce leur hydrophobie, ce qui donne un angle de contact θ d’environ 145◦. Par ailleurs, grâce à

leur porosité, ces grains ont une densité faible ρs = 480 kg/m3 [Lag10], et leur masse est

donc négligeable devant celle de la goutte.

Billes de verres

Afin de faire varier le diamètre des grains, nous avons travaillé sur des billes de verre borosilicate fabriquées par la société Sigmund Lindner. Un tamisage grossier a été effectué, et l’on a utilisé des billes de diamètre d = 68±7 μm, d = 95±12 μm et d = 167±25 μm et de masse volumique ρs ≈ 2500 kg/m3. Nous avons utilisé un traitement similaire à celui utilisé

pour le substrat A du chapitre précédent : un produit de la société Glaco qui consiste en une suspension de particules de silicone de taille inférieure à 100 nm dans l’isopropanol. Par ailleurs, d’autres billes de diamètre d ≈ 85 μm ont également été traitées par silanisation en phase liquide à l’aide du 1H,1H,2H,2H-perfluorooctyltriethoxysilane (après activation des surfaces par une solution "pirañha"). Cela permet, pour une même taille de grains, de comparer un traitement superhydrophobe (le Glaco Mirror Coat, qui produit θ = 167◦±4◦),

à un traitement hydrophobe (la silanisation, qui donne θ = 105◦± 5◦).

(a) (b)

Figure 3.4 – (a) Image au microscope électronique à balayage de spores de lycopodes (barre d’échelle : 30 μm). (b) Billes de verre de diamètre d ≈ 68 μm observées à la loupe binoculaire (barre d’échelle : 200 μm).

74 CHAPITRE 3. FRICTION DE GOUTTES ENROBÉES

Billes de cuivre

Pour comparer la répartition des grains, nous avons également utilisé des billes de cuivre, obtenues via la société Goodfellow. Leur diamètre vaut d = 147 ± 21 μm et l’angle de contact θ ≈ 85◦ ± 5◦ [Lag10]. La principale différence est la forte densité du métal,

ρs= 8960 kg/m3.

3.2.2

Préparation de la goutte

A l’interface entre deux liquides non miscibles, on peut facilement former des gouttes entourées de grains [APAS13]. La formation de gouttes enrobées n’est pas plus difficile dans l’air, lorsqu’on dispose d’une poudre hydrophobe : une couche se forme spontanément sous la goutte lors du contact avec le tas, et elle s’étend progressivement à toute la goutte à partir du moment où celle-ci est mise en mouvement. Afin de former une couche relati- vement homogène, après l’avoir déposée sur un lit de grains tassés, nous forçons la goutte à parcourir un cercle d’un diamètre comparable au sien (typiquement 1 cm). La goutte est ensuite lâchée, et comme le lit est incliné et lisse, elle roule tout en se chargeant de grains. Après environ quatre centimètres, la goutte rejoint une surface lisse libre de tout grain où sa dynamique est observée.

3.2.3

Formes statiques, répartition des grains

Avant d’étudier la dynamique d’une goutte enrobée, intéressons-nous à sa morphologie. Lorsque les grains sont petits devant la longueur capillaire, ils ne déforment pas l’inter- face qui reste localement plane. S’ils sont assez dilués à la surface, la forme de la goutte n’est pas affectée et est donnée par l’équilibre entre pression de Laplace et gravité (voir introduction). On a vu précédemment que la goutte est totalement isolée de son substrat par les grains. Les propriétés de mouillage du substrat n’affectent donc pas le liquide, qui adopte la forme d’une goutte non mouillante. La figure 3.5 présente les mesures de hauteur de différentes gouttes enrobées effectuées par P. Aussillous lors de sa thèse [Aus02, AQ06], qui sont en très bon accord avec le résultat de l’intégration numérique de l’équation de Laplace (voir introduction, équation (7)).

La forme du liquide ne dépend alors pas des grains utilisés. En revanche, leur répar- tition à la surface en dépend, comme le montrent les figures 3.6(a)-(d). Pour des grains très lourds (comme le cuivre) ou avec un angle de contact élevé (billes de verre traitées superhydrophobes), les grains s’accumulent sous l’effet de la gravité dans la partie infé- rieure de la goutte. Lorsqu’on ajoute des grains, ils remontent progressivement jusqu’au sommet de la goutte. A l’inverse, pour des grains plus légers ou moins hydrophobes (spores de lycopodes ou billes de verre silanisées), la répartition des grains dépend davantage de l’histoire de la formation de la goutte. Lorsqu’elle est seulement roulée sur un plan incliné, des trous apparaissent sur les côtés, qui correspondent à la partie de la goutte proche de l’axe de rotation qui ne touche donc pas le lit de grains. D’autres études montrent qu’il peut également y avoir une différence d’enrobage entre grains de même nature mais de taille différentes [MWLB09]. Diverses explications permettent de comprendre ces variations de répartition de la goutte. Il pourrait s’agir d’une compétition entre gravité et interactions ca- pillaires entre grains. Vella et Mahadevan [VM05] ont montré que la force entre deux grains distincts d’une distance x à la surface d’un bain horizontal est d’ordre γdBo5/2Σ2x/a, avec

3.2. FORMATION DE GOUTTES ENROBÉES 75

Figure 3.5 – Hauteur de gouttes enrobées en fonction de leur rayon initial R0 = (3Ω 4π)

1/3

[Aus02, AQ06]. Les gouttes sont formées à partir d’eau ou de glycérol, ainsi que des lycopodes ou des particules de silice. La ligne correspond à l’intégration numérique de l’équation (7) (voir introduction), qui décrit bien la forme d’une goutte enrobée.

(a) (b) (c) (d)

(e) (f)

Figure3.6 – (a)-(d) : Répartition des grains sur des gouttes de 100 μL après environ 4 cm d’enrobage : (a) lycopodes, (b) billes silanisées (hydrophobes, d ≈ 95 μm, θ ≈ 105◦), (c)

billes traitées superhydrophobes (d ≈ 95 μm, θ ≈ 167◦) ou (d) billes de cuivre. Le même

protocole a été utilisé pour former ces gouttes et la largeur des images correspond à 1 cm. (e)-(f) : Les formes sont différentes lorsque la goutte est très enrobée : la friction entre les grains domine alors la tension de surface. (e) Une goutte enrobée de lycopodes de 100 μL s’allonge dans la direction transverse au mouvement après de nombreux aller-retours (pour une distance totale de plusieurs mètres). Les carreaux font 5 mm de côté. (f) Lors de la fragmentation d’une grosse goutte enrobée (voir chapitre 5), la rupture d’un filament liquide couvert de grains forme une pointe qui ne se rétracte pas. Largeur de l’image : 2 cm.

76 CHAPITRE 3. FRICTION DE GOUTTES ENROBÉES

le nombre de Bond Bo = d2/a2 ≪ 1 et où Σ = 2(ρs/ρl)−1

3 − cos θ 2 + cos3 θ 6 correspond au poids

adimensionné du grain, diminué de la poussée d’Archimède. En considérant que x ∼ d et Σ2 < 10, cette force est de l’ordre de 10−12 N, négligeable ici par rapport au poids

d’ordre ρsgd3 ∼ 0,01 μN. Le poids du grain peut être compensé par la force d’hystérésis de

mouillage qui s’exerce sur le périmètre de contact liquide-solide, d’ordre d sin θ. Les grains se regroupent sous l’effet de la gravité si le poids dépasse cette force d’hystérésis, c’est-à- dire si ρsgd3 > γd sin θ(cos θr− cos θa). Pour une bille silanisée (θa≈ 110◦, θr≈ 100◦) cela

donne une force de l’ordre du micronewton, nettement supérieure à la gravité, alors que pour une bille superhydrophobe (θa ≈ 171◦, θr ≈ 164◦) la force d’hystérésis est beaucoup

plus faible, du même ordre que le poids du grain. Plus généralement, le diamètre d⋆ pour

lequel l’hystérésis compense tout juste le poids d’un grain est donné par :

d⋆ ∼ a r

ρl

ρs

sin θ(cos θr− cos θa). (3.6)

En comparant le diamètre des grains à d⋆, on peut comprendre les différences de réparti-

tion des grains : pour d > d⋆, ils s’accumuleront sur le bas de la goutte, alors que dans le

cas ou d < d⋆, le poids est trop faible pour vaincre l’hystérésis de mouillage. Ce diamètre

critique est grand pour les lycopodes (proche du millimètre) et pour les billes silanisées (d⋆

≈ 400 μm), de façon cohérente avec les observations des images 3.6(a) et (b). Bien que d⋆ soit plus faible pour les grains superhydrophobes (d≈ 100 μm), cette valeur reste

supérieure à d ≈ 66 μm, diamètre de grains pour lesquels on observe néanmoins un regrou- pement des billes sur le bas de la goutte4

. Davantage de mesures seraient nécessaires pour tester quantitativement cette interprétation, en particulier en contrôlant mieux les proprié- tés de mouillage : changer la taille des grains devrait permettre d’observer une transition entre ces deux répartitions de grains.

Enfin, si la densité des grains à la surface de la goutte atteint celle d’un empilement aléatoire compact en deux dimensions (environ 82% [Ber83]), il peut y avoir blocage des grains à la surface. La tension de surface devient alors négligeable et la friction entre grains domine. Le protocole utilisé pour enrober la goutte détermine alors la forme de celle-ci. La figure 3.6(e) illustre ce phénomène : de nombreux aller-retours ont conduit à une goutte très allongée dans la direction transverse, comme étudié lors de la thèse de G. Lagubeau [Lag10]. Cette forme cylindrique, très éloignée de la forme sphérique "minimale", est obtenue via l’ajout de nombreux grains à l’interface, ce qui déforme la goutte à partir du moment où l’on dépasse l’empilement compact. Plus généralement, lorsque la densité des grains à la surface de la goutte est grande, la tension de surface est négligeable et la forme est déterminée par la friction entre grains et donc par l’histoire de la goutte (figure 3.6(f)). Dans la suite des expériences, on se limitera à des densités de grains plus faibles afin de conserver une forme proche d’une goutte non mouillante usuelle, dominée par la tension de surface.

4. La même situation apparaît pour les billes de cuivre puisque leur diamètre vaut 150 μm de diamètre et que d⋆