• Aucun résultat trouvé

Comme nous l’avions fait pour la première partie, on dessinera ici quelques perspectives générales, suscptibles d’appeler des développements ultérieurs. Après avoir dressé un bilan critique des programmes de recherche keynésiens, nous avons traité de façon symétrique les projets marxien et keynésien, en cherchant à évaluer la légitimité de leur commune prétention à constituer une alternative aux projets classique et néoclassique, incarnée respectivement dans les notions de crise et de chômage involontaire.

Ni Marx ni ses successeurs ne sont parvenus à établir une théorie générale des crises économiques, c’est-à-dire à proposer un cadre analytique unifié et cohérent capable de rendre compte à la fois de l’équilibre et de sa rupture, et d’accueillir les différentes figures possibles de la crise. Le développement insuffisant de la théorie du capital – et en particulier de la relation entre monnaie et capital – nous a semblé être à l’origine de cet échec. Dans la mesure où celui-ci ne se confond pas avec l’autre échec de Marx, aujourd’hui bien avéré, qu’est celui de sa théorie de la valeur, il y a chez lui une abondante matière restée peu exploitée. Au regard de cet inachèvement, la théorie marxienne des crises a d’ailleurs été régulièrement surestimée dans sa cohérence et son degré d’élaboration, non seulement par les marxistes, ce qui était somme toute assez naturel, mais également par les économistes néo-classiques. Mais il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches … et que la richesse et la profondeur des réflexions de Marx sur la crise restent sans égales dans l’histoire de la pensée économique, y compris sur les dimensions monétaires et financières du phénomène.

En ce qui concerne Keynes et les keynésiens, le diagnostic est étonnament semblable : - D’une part – ce qui n’est pas outre mesure surprenant – c’est dans ce qu’elle a de

plus novateur que la théorie keynésienne est la plus faible : le contenu de ses propositions de théorie monétaire.

- D’autre part – ce qui est plus choquant – les keynésiens contemporains, même parmi ceux qui ont pris au séroeux les affirmations de Keynes quant au caractère fondamental et « définitif » de sa rupture avec « l’orthodoxie », ont déployé peu d’efforts pour élaborer un cadre formel où pourraient s’insérer ses principales propositions analytiques.

Comme on a pu le constater dans la section 2 de ce chapitre, il n’est guère douteux que c’est dans son refus de la conception classique et néo-classique, pour une fois unifiées, de la relation entre épargne et intérêt que réside le point de divergence essentiel entre Keynes et l’orthodoxie de son temps. Les développements contemporains de la théorie néoclassique ne nous paraissent pas de nature à infirmer ce point de vue.

c’est-à-grande force des libéraux est que, jusqu’à présent, leurs adversaires keynésiens ou marxistes n’ont pas été en mesure de développer une représentation alternative du fonctionnement d’une économie capitaliste qui donne toute leur place au crédit et aux banques, de façon à faire figurer les mécanismes de financement de l’économie au premier rang des facteurs d’instabilité du capitalisme contemporain. De façon paradoxale au regard de l’oeuvre de Keynes, les monétaristes ont même réussi à imposer l’idée que le keynésianisme s’identifierait à l’ignorance de la monnaie.

Pourtant, loin d’être absents des écrits de Marx et de Keynes, la monnaie et le capital financier sont au contraire au cœur de leur conception des crises. Mais en l’absence de théorie unitaire du capital, leurs vues restent parcellaires et inabouties. Dans la mesure où l’un et l’autre paraissent viser un concept d’équilibre monétaire, et où ils ont un objet commun : le capital et les conditions de sa reproduction, le projet marxien et le projet keynésien ont sans doute tout à gagner à être rapprochés. La notion de crise de reproduction, envisagée comme rupture du circuit du capital, paraît de nature à offrir un cadre unificateur. Reste à construire les modèles de la circulation financière qui pourraient lui donner corps. C’est dans cette perspective que nous entendons poursuivre nos travaux d’histoire de la pensée économique.

Jusqu’à présent, nos efforts ont surtout porté sur les approches néo-keynésiennes. Outre le fait qu’elles sont largement majoritaires dans les lectures contemporaines de Keynes, cela se justifiait par la conviction selon laquelle toute construction alternative passe par l’éclaircissement préalable du rapport entre Keynes et Walras, et que c’est du côté des différentes synthèses néo-classiques que les réflexions ont été les plus poussées à ce sujet.

Dans l’avenir, il conviendra évidemment de nous orienter vers des contributions plus nettement positives ; trois types de travaux sont pour le moment envisagés :

- Un travail critique sur les post-keynésiens, en particulier les auteurs se situant dans une perspective « kaleckienne » ou « kaldorienne » ;

- Un travail de réappropriation des débats marxiens du premier tiers du XX° siècle sur la crise ; les auteurs participant à ces débats s’appuient tous, à quelques exceptions près (dont Lénine), sur un modèle bisectoriel de production qui est aussi celui de Kalecki, et qui constitue sans doute la représentation de la production la mieux adaptée à l’univers keynésien. Cela vaut en particulier pour les austro-marxistes comme Hilferding et Bauer ;

- Un réexamen de certains auteurs prékeynésiens ; outre Kalecki, on songera à des auteurs comme Myrdal, Hawtrey, Schumpeter qui, au cours de ce que George Shackle a dénommé les « années de haute théorie », ont visé des constructions assez proches de celle de Keynes, et ont souffert comme lui du manque de cadre analytique bien défini dans lequel déployer leurs intuitions, ce qui explique d’ailleurs leur peu de descendance. D’autres auteurs sont susceptibles d’être mobilisés dans la perspective d’une synthèse entre

et de Marx. On songera ici à John Hicks ou James Tobin91, mais aussi à des auteurs classiques tels que Smith, Sismondi92 et Mill93, qui tous ont en commun avec Marx, et à la différence de Ricardo, d’avoir raisonné en termes de reproduction.

Cette posture nous amène à expliciter quelques points de méthode, qui feront l’objet de notre conclusion générale.

91 Ces deux auteurs occupent une place singulière dans l’histoire de la macroéconomie d’après guerre. Contributeurs majeurs à l’élaboration de la synthèse néoclassique (en partie sur les mêmes sujets) ils ont cependant pris nettement leur distance avec elle dans les années 1970, pour s’approcher de plus en plus d’une perspective postkeynésienne, mais sans jamais renoncer, cependant à l’équilibre général.

92 Ce dernier fait clairement appel à un argument en termes de reproduction lorsqu’il mobilise l’effet machine de Ricardo contre la loi de Say défendue par le même Ricardo.

Bibliographie de la seconde partie