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Modifications et transformations biochimiques pendant la rigor

La mort de l'animal bouleverse le métabolisme musculaire. L'arrêt de la circulation sanguine supprime l'apport d'oxygène et de substrats énergétiques exogènes (glucose, acides aminés et acides gras). Toutefois, les mécanismes de maintien de l’homéostasie continuent de fonctionner dans la cellule pendant un certain temps. La privation d'oxygène, diminue très rapidement le pouvoir d'oxydation cellulaire, et seules les réactions qui suivent des voies anaérobies persistent, essentiellement la glycolyse (Lawrie, 1966 ; Bendall, 1973).

3.8.1. Réactions biochimiques au cours de la RM

La disparition de la phosphocréatine (PC) (présente en moindre quantité que le glycogène, quelques μmol / g de muscle à la fin de la saignée) et du glycogène précèdent celle de l’ATP.

La concentration d’acide lactique s’élève dans le muscle conjointement à la dégradation de l’ATP et provoque la diminution du pH post mortem. Les figures 21 illustrent respectivement la chute du pH post mortem dans le muscle Gracilis de porcs et l’évolution post mortem de la PC, de l’ATP et de l’acide lactique dans le muscle Longissimus dorsi du porc.

Figure 21.Evolution post mortem du pH dans le muscle Gracilis de porcs (Charpentier et Goutefongea, 1963)

Figure 22. Evolution post mortem de la PCr, de l’ATP et de l’acide lactique dans le muscle Longissimus dorsi du porc (Charpentier, 1968).

Bendall (1973) a écrit le bilan des réactions biochimiques de dégradation et de synthèse de l'ATP qui se produisent dans la cellule musculaire immédiatement après la mort. Il distingue deux phases: la phase de latence et la phase d’installation de la rigor.

La phase de latence se caractérise par un taux constant d’ATP ; il n’y a pas de consommation nette d’ATP, tandis que les concentrations en phosphocréatine et en glycogène chutent.

L'ATP dégradé par de nombreuses ATPases musculaires est resynthétisé par la dégradation de phosphocréatine et par la glycolyse. Au cours de cette période, le tiers environ de l’ATP est synthétisé à partir de la phosphocréatine.

Quand la concentration de phosphocréatine est voisine de 4 μmol / g muscle, la concentration de l’ATP commence à diminuer alors que la glycolyse anaérobie est toujours active. En effet il y a toujours synthèse d’ATP par la glycolyse mais cette diminution s’explique par le fait que la glycolyse est une voie de synthèse peu performante.

La seconde phase ou phase d’installation de la rigor se caractérise par la disparition de l’ATP.

Cette dernière s’accompagne de la désamination de l’AMP et de l’apparition de NH3 (NH4+

) en quantité stœchiométrique. Dans cette seconde phase, il n’y a plus de phosphocréatine (ou en très faible quantité). L’ATP est toujours régénérée dans la cellule musculaire par l’intermédiaire de la myokinase.

Figure 23. Chute du pH post mortem pour cinq différents pH ultime dans le muscle psoas des lapins (Bendall, 1973)

Figure 24: Relations entre le potentiel glycolytique et le pH ultime dans le muscle Longissimus dorssi du porc (Monin, 1988) (Le potentiel glycolytique correspond à la quantité de glycogène estimée au moment de l’abattage).

3.8.2. Chute du pH

L’ensemble des réactions survenant dans la cellule musculaire post mortem décrites en détail par Bendall (1973) suite à la libération dans le sarcoplasme des ions calcium qui stimulent l'activité ATPasique du complexe actomyosine, entraînant ainsi la libération de phosphate inorganique, conduit à l’accumulation d’acide lactique et à la libération de protons (H+) en proportion sensiblement équivalente. Ces phénomènes provoquent une acidification progressive du muscle et donc une chute du pH musculaire post mortem qui se poursuit jusqu’à l’arrêt des réactions biochimiques (ou glycolyse anaérobies) (De Fremery &

Lineweaver, 1962 ; McGinnis et al. 1989).

La chute du pH post mortem se caractérise par sa vitesse et son amplitude. La vitesse de la chute est déterminée principalement par l’activité ATPasique, alors que l’amplitude de la chute du pH post mortem dépend principalement des réserves du muscle en glycogène (les réserves énergétiques) au moment de l’abattage (Bendall & Lawrie, 1962). Chez la volaille, Stewart et al. (1984), et Schreurs (1999) suggèrent que les réactions biochimiques post mortem s’arrêtent six à huit heures après l’abattage. La valeur finale du pH post mortem est appelée pH ultime ou pHu. Les figures 24, empruntées à Charpentier & Goutefongea (1963) et à Bendall (1973), illustrent respectivement la vitesse de chute du pH post mortem et la variabilité de son amplitude dans les muscles Gracilis de porcs et psoas des lapins. Sayre et al.

(1963), Scopes (1971) et Bendall (1973) suggèrent que la glycolyse et donc la chute du pH post mortem cessent pour 2 raisons:

 La première est la carence en glycogène dégradable. La relation entre la quantité initiale de glycogène et le pH ultime dans le muscle Longissimus dorsi du porc est montrée dans la même figure. Il y a une forte liaison entre le pH ultime et la quantité de glycogène dans la zone de pH (7.0 – 5.5), cette relation devient nulle à approximativement 150 μmol de potentiel glycolytique (quantité de glycogène estimé au moment de l’abattage). Dans cette zone, c’est la carence en glycogène qui détermine l’arrêt de la chute du pH. Au-delà, le pH se stabilise en présence d’une quantité de glycogène non négligeable (c’est le glycogène résiduel, ainsi nommé pour la première fois par Lawrie, 1955), sa valeur ultime est très variable, elle dépend de l’espèce animale et du muscle proprement dit.

 La seconde raison est la disparition de l’adénosine monophosphate (AMP) par sa désamination progressive en inosine monophosphate (IMP), sous l'action de l’adénosine monophosphate désaminase (AMPd). En effet l’AMP est un cofacteur de certaines enzymes la glycogénolyse et de la glycolyse; d’une part il se lie à la glycogène phosphorylase (enzyme de dégradation du glycogène) qui existe sous 2 formes distinctes (la forme T : ‘Tense’, forme moins active et la forme R : ‘Relaxed’

forme plus active) et catalyse la forme R (Newbold & Scopes, 1967) et d’autre part, il constitue un substrat pour la phosphofructokinase (enzyme de la glycolyse).

L’inactivation des enzymes de la glycolyse à bas pH (conditions acides) pourrait également contribuer à l’arrêt de la glycolyse et donc de l’acidification du muscle (Sahlin, 1978; Young et al., 2004). Néanmoins, les valeurs de pH auxquelles les enzymes sont inhibées (< 5.4;

Sahlin, 1978) sont généralement plus basses que les valeurs minimales de pH ultime rencontrées dans la pratique. Ainsi, il est peu probable que ce mécanisme soit prédominant.

En étudiant les changements biochimiques post mortem et le déterminisme du pH ultime dans les muscles de volaille en particulier la dinde, Fernandez & Santé (travail non publié) montrent que la concentration de glycogène à l’abattage ne semble pas être le premier facteur de variation du pH ultime. Les résultats trouvés indiquent que la quantité de glycogène dégradé, ou de lactate accumulé, n’est pas liée au pH ultime. La figure 25 illustre ces résultats.

Figure 25. Relation entre le pH ultime (pH à 24 heures post mortem), le potentiel glycolytique (calculé à 3 minutes post mortem) et le lactate (à 24 heures post mortem) dans les muscles pectoral et Ilio tibialis de dinde (Fernandez & Santé, travail non publié)

3.8.3. Les changements mécaniques au cours du rigor mortis

La transformation du muscle en viande se fait en 2 étapes : 1- L’installation de la rigor mortis durant laquelle le muscle s’acidifie et se durcit, cette partie a été exposée dans les parties précédentes et, 2- La maturation qui conduit à l’attendrissage progressif du muscle (Figure 26).

Figure 26. Evolution de la dureté du muscle post mortem au cours du temps (Ouali, 1991).

Après la rigor, le muscle qui a perdu irréversiblement toute propriété d’extensibilité ne développe plus aucune tension, va être progressivement dégradé dans une suite de processus complexes au cours desquels s’élaborent en grande partie les divers facteurs qui conditionnent les qualités organoleptiques des viandes et en particulier la tendreté (Lawrie, 1966).

La maturation permet l’attendrissage de la viande et résulte de la dégradation de certains éléments de la fibre musculaire (la rupture des stries Z et l’allongement des sarcomères) ou du tissu conjonctif par deux groupes de protéases (les protéinases neutres et les protéines lysosomiales) et vraisemblablement des mécanismes non enzymatiques dépendant du calcium (Liu et al., 1994 ; Taylor et al., 1995 ; Takahashi, 1996 ; Shreurs, 1997). La maturation de la viande de poulet est plus rapide que celle des mammifères, en particulier celle des bovins et des ovins qui durent plusieurs semaines. Shreurs (1997) rapporte que la maturation de la viande de poulet est efficace puisque qu’en moins de 24 heures la tendreté finale est atteinte.

La forte activité protéolytique qui caractérise les muscles de poulets explique en partie la vitesse de maturation élevée de cette espèce (Blanchard & Mantle, 1996). L’évolution de la maturation est fortement liée à l’effet animal, au type musculaire et à l’environnement (la température). Ainsi la vitesse de maturation est supérieure dans les muscles blancs et lorsque la température est élevée (Berri & Jehl, 2001).