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Section I : Sur l'« intelligence sentante »

3.1. Les modes de présentation de la réalité : le « sentir intellectif »

La vue [la vista]. La vue appréhende la chose réelle comme quelque chose qui est « devant »242 ["delante"]. La chose même est « devant moi » ["ante mí"], selon sa propre configuration, selon son « eidos »243. « La vue rend présente la chose dans son eidos, le toucher, comme simple présence. Ce mode du toucher est, dans le sentir intellectif, le propre par exemple de la présence de Dieu chez un mystique, etc. »244. Ce texte est le point de départ de notre recherche.

239 « …la diferencia radical de los sentires no está en las cualidades que nos ofrecen, no está en el contenido de la

impresión, sino en la forma en que nos presentan la realidad », […la différence radicale des sensations n'est

pas dans la qualité qu'elles nous offrent, donc pas dans le contenu de l'impression, mais dans la forme sous laquelle elles nous présentent la réalité]. IRE, 100 ; IREᶠ, 83.

240 IRE ᶠ,83 ; IRE, 100.

241 [Porque estar delante de mí es sólo una de las distintas maneras de presentárseme la cosa real]. IRE ᶠ,83 ; IRE,

100.

242 IRE ᶠ, 83 ; IRE, 101. 243 IRE ᶠ, 83 ; IRE, 101.

244 [La vista nos hace presente la cosa en su eidos, el tacto como mera presencia. Este modo táctil es, en el sentir

intelectivo, propio por ejemplo, de la presencia de Dios en un místico, etc]. HDᶠ, 99 ; HD, 103. Il faut souligner

que G. Morel reconnaît la réalité de la sensibilité « comme » l'accès à Dieu, c'est-à-dire qu'elle permet l'ouverture, à « l'extérieur », elle est la condition absolument nécessaire de « l'accès à l'Absolu ». En effet, sans le voir, l'entendre, le flairer, le goûter et le toucher « il n'y a pas de connaissance de Dieu possible ». MOREL, G, op. cit., p. 41. Mais, la question, c'est que ne s'agit pas du « contenu », sino de la « formalité de réalité », des modalités de la présence de la chose réelle. Nous y reviendrons.

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L'ouïe [el oido]. Le son [sonido] est immédiatement appréhendé par l'ouïe, comme c'est le cas pour la couleur, quand il s'agit de la vue. Mais, en ce qui concerne le son, la chose sonore n'est pas incluse dans l'audition, c'est-à-dire le son « renvoie »245 [nos « remite »] à la chose. Ce « renvoi »246 [esta « remisión »], c'est la « notitia » [noticia]247. Ainsi, la réalité du son relève d'un mode de présentation que Zubiri appelle « présentation notifiant »248.

L'odorat [el olfato]. L'odeur est appréhendée immédiatement par l'odorat, comme pour la couleur et le son. Mais la chose n'est présente comme dans la vue, ni simplement notifiée [notificada] comme dans l'ouïe. Par l'odorat, la réalité nous est présente comme une « trace»249 [rastro].

Le goût [el gusto]. Dans le goût, la chose est présente comme une réalité possédée, « dé- gustée »250 ["de-gustada"]. La saveur est plus qu'une note [noticia] ou une trace : c'est la réalité même, présente comme « fruible » [fruible]. C'est la réalité même qui a comme telle un moment formel de fruition.

Le (con) tact (ou la pression) [el tacto (contacto y presión)] (ou sens du toucher, plus tard parlerons de l'« intellection tactile »). Ici, la chose est présente sans eidos ni goût : c'est « la présence nue de la réalité »251. Mais, chez Zubiri, les sensations [los sentires] nous présentent encore la réalité sous d'autres formes252.

245 IRE ᶠ, 83 ; IRE, 101. 246 IRE ᶠ, 83 ; IRE, 100.

247 « …el sonido está tan inmediatamente aprehendido en el oído como pueda estarlo un color en la vista. Pero en

el sonido, la cosa sonora no está incluida en la audición, sino que el sonido nos remite a ella. Esta “remisión” es lo que según la significación etimológica del vocablo llamaré “noticia”. Lo real del sonido es un modo de presentación propia: presentación notificante », [ …le son est immédiatement appréhendé par l’ouïe, comme c’est le cas

pour la couleur dans la vue. Mais, quant au son, la chose sonore n’est pas incluse dans l’audition : le son renvoie à la chose. C’est ce « renvoi » que, selon la signification étymologique du terme, j’appellerai une « note » (noticia). La réalité du son relève d’un mode de présentation propre : c’est une présentation notifiante]. IRE, 101 ; IRE ᶠ, 83.

248 IRE ᶠ, 83 ; IRE, 100. 249 IREᶠ, 84 ; IRE, 101. 250 IREᶠ, 84 ; IRE, 101.

251 [la nuda presentacion de la realidad]. IREᶠ, 84 ; IRE, 101.

252 «...mi realidad ni mi sentir se agotan en estos tipos de aprehensión. Tenemos ante todo el calor y el frio: son la

presencia primaria de la realidad como temperante. Hay además la aprehensión de la realidad no simplemente como temperante sino también como afectante: el dolor y el placer son el exponente primario de esta afección. La realidad es temperante y afectante. Pero la aprehensión de realidad tiene aun otro momento: es la realidad como posición. Es lo propio de la sensibilidad laberíntica y vestibular. Según esto, yo aprehendo la realidad como algo centrado ».

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La kinesthésie [la kinestesia]. Dans la kinesthésie, la réalité, selon Zubiri, ne m'est pas présente elle-même, ni non plus sa note253. On tient seulement la réalité comme quelque chose de dirigé « vers » ["hacia"]. Dans la kinésthésie, écrit Zubiri, « je tiens seulement la réalité comme quelque chose de dirigé « vers ». Non pas une orientation « vers » la réalité, mais la réalité elle-même comme (dirigée) « vers ». C'est un mode de présentation directionnelle »254.

La cénesthésie [la cenestesia]. Ici, l'homme appréhende la réalité encore sous d'autres formes. Qui appréhende sa propre réalité a une sensibilité interne ou viscérale diversement ressentie, que Zubiri appelle la cénesthésie. Cette sensation [sentir] « situe l'homme en lui-même »255 [el hombre está en sí mismo]. C'est ce que Zubiri appelle l'intimité, qui signifie ici simplement « ma réalité »256 [realidad mía]. C'est une des manières de la présence du réel. La cénesthésie est d'une certaine manière la sensation du « moi » ["mí"] en tant que tel. Les autres sens, selon Zubiri, ne donnent pas le « moi » en tant que tel. Les autres sens ne donnent pas le « moi » en tant que tel, s'ils ne sont pas « recouverts » [recubiertos] par la cénesthésie.

Ainsi, pour Zubiri, présence eidétique, notes, trace, goût, nue réalité, orientation vers, température, pression, position, intimité257 sont autant de modes de présentation du réel et, ainsi, autant de modes de l'« impression de réalité ». Il insiste sur le fait que la vue n'est pas « le » mode de présentation et que les autres modes ne seraient que des succédanés de la vue, lorsque celle-ci nous fait défaut. Par contre, tous les modes ne sont pas équivalents, mais sont en et par eux-mêmes des modes de présentation de la réalité.

[…ni la réalité ni mon sentir ne s'épuisent pourtant dans ce genre d’appréhension sensible. Prenons d'abord le chaud et le froid, qui sont les premières marques de température de la réalité. Puis, il y a l’appréhension de la réalité comme n’ayant pas seulement une température, mais comme étant également capable d'affecter, selon les modalités premières de la douleur ou du plaisir. La réalité est chaude ou froide ; elle provoque douleur ou plaisir. Mais l’appréhension de la réalité présente encore un autre moment : celui de la réalité comme position, qui est le propre de la sensibilité labyrinthique o vestibulaire. C'est ce qui fait que j'appréhende la réalité comme quelque chose de centré]. IRE, 102-103. IREᶠ, 85.

253 IREᶠ, 84 ; IRE, 101.

254 [Sólo tengo la realidad como algo en "hacia". No es un "hacia" la realidad, sino la realidad misma como un

"hacia". Es un modo de presentación direccional]. IREᶠ, 84 ; IRE, 101-102 ;

255 IREᶠ, 85 ; IRE, 103. 256 IREᶠ, 85 ; IRE, 103. 257 IREᶠ, 85 ; IRE, 103.

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La prépondérance de certains modes sur les autres ne provient pas d'une prétendue fonction de succédanés de la vision, mais de la nature même de la réalité. Il y a, par exemple, des réalités qui ne peuvent pas avoir plus de modes de présentation que la nue réalité appréhende tactilement258.

Dans ces cas, Zubiri conclut qu'il se peut que la réalité ainsi sentie [la realidad así sentida] soit d'un rang supérieur à toute réalité « eidétiquement sentie » [eideticamente sentida]259.

Pour tous les modes de présentation de la réalité, il s'agit donc toujours d'un « sentir intellectif ».