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Un mode de gestion hybride : la délégation à une société d’économie mixte

Partie 1 : La variété des modes de gestion des transports collectifs urbains

2. Typologies des modes de gestion

2.3. Un mode de gestion hybride : la délégation à une société d’économie mixte

Dans les sections précédentes, nous n’avons envisagé que deux cas polaires puisque nous avons considéré que le degré de participation de l’autorité organisatrice à la production des services de transports collectifs ne pouvait prendre que deux valeurs : 0 ou 1. Cette dichotomie, si elle nous a permis de nous ramener à la question du choix entre gestion publique et gestion privée, qui est une question largement traitée dans la littérature, ne recouvre cependant pas totalement la réalité. Dans les faits, les autorités organisatrices peuvent en effet choisir une formule intermédiaire qui consiste à déléguer la fourniture de service tout en y participant, via des sociétés d’économie mixte (SEM). Une typologie plus fine des modes de gestion des transports urbains doit donc intégrer cette forme de gouvernance hybride qu’est la gestion déléguée à une SEM.

2.3.1. Les propriétés théoriques des formes hybrides

Les contrats de délégation à des sociétés d’économie mixte peuvent être assimilés à ce que la théorie des coûts de transaction identifie comme des modes de gestion hybrides. A ce stade de notre analyse, si l’on cherche à positionner les trois modes identifiés jusqu’alors sur un axe mesurant le degré d’intervention des autorités organisatrices dans la gestion des services de transport, cela donne la représentation suivante45 :

Schéma 1 :degré d’intervention des autorités organisatrices

Distinguer ces trois modes d’organisation nous permet de dresser un parallèle avec les trois structures de gouvernance qu’identifie la théorie des coûts de transaction : marché, formes hybrides et hiérarchie.

S’inspirant des travaux de McNeil (1974), la théorie distingue en effet trois modes de pilotage des transactions, qui diffèrent selon leurs propriétés adaptatives et incitatives. A chacune de ces structures de gouvernance est un associé un type de contrat.

Ainsi, le contrat classique, qui est associé à la structure de gouvernance de marché,

permet de coordonner, par l’intermédiaire du mécanisme de prix, des transactions substituables et réversibles car n’impliquant pas d’actifs spécifiques. De telles transactions sont en effet assez simples à gérer pour que le prix suffise à coordonner les agents et pour que la menace de changement de partenaire les incite à ne pas se comporter de manière opportuniste. Lorsque des transactions portent sur des actifs fortement redéployables, l’identité des parties réalisant ces transactions importe peu et le marché suffit à sanctionner les

(45) On pourrait ajouter un 4ème mode de gestion à l’extrémité gauche de l’axe : la gouvernance de marché

« pure », qui est le mode d’organisation retenu en Grande-Bretagne (voir Darbéra (2004) pour un exposé détaillé de l’organisation des TPU en Grande-Bretagne).

comportements irresponsables puisque les partenaires de l’échange peuvent aisément être remplacés. Le contrat classique est donc un contrat de court terme dans lequel les parties sont autonomes et peuvent spécifier de manière exhaustive et précise les contingences futures. En cas d’aléa, elles s’en remettent directement aux tribunaux et aux règles juridiques existantes. Dans le cas des TPU, la structure de marché « pure » n’est pas utilisée puisque le secteur est réglementé. Ceci étant, la délégation à des sociétés privées sélectionnées par appel d’offre est un mode de gestion se rapprochant de la structure de marché et nous le considérons comme un cas polaire.

Dans le cas de transactions requérant des investissements spécifiques, le recours à des contrats classiques dans le cadre d’un arrangement institutionnel de marché « pur » s’avère en revanche inapproprié et particulièrement coûteux. En effet, d’une part, la relation de dépendance bilatérale entre les parties qui s’instaure en raison du développement d’actifs spécifiques les oblige à assurer la continuité de leurs transactions. D’autre part, l’incertitude comportementale générée par l’existence d’une quasi-rente appropriable empêche la rédaction de contrats complets anticipant tous les événements et comportements futurs et impose l’usage des mécanismes de coordination et de contrôle plus puissants et flexibles que ceux du marché.

Lorsque l’autonomie des parties impliquées dans de telles transactions peut être maintenue, c’est-à-dire tant qu’elles peuvent s’accorder sur les ajustements à effectuer pour adapter leur relation aux circonstances changeantes, elles ont recours à des contrats néo- classiques. Ces contrats -qui caractérisent les formes hybrides- sont en effet des contrats de

long terme incomplets, volontairement souples pour permettre les adaptations nécessaires et réduire les coûts de contractualisation mais suffisamment crédibles (c’est-à-dire incorporant des clauses de sauvegarde assez adéquates) pour protéger la valeur des investissements spécifiques et minimiser les risques d’opportunisme. Ils permettent donc aux contractants de conserver leur autonomie de décision et de préserver ainsi leurs incitations à l’effort tout en leur garantissant le suivi et le respect des engagements, sans pour autant leur faire subir les coûts d’une contractualisation complète. Ces contrats définissent en effet le cadre de renégociation des arrangements et prévoient donc une adaptation coordonnée des parties en cas de perturbations ou, en cas de litige, l’intervention d’une tierce partie (comme par exemple un arbitre ou un expert), plus qu’ils ne détaillent les contingences possibles et les modifications contractuelles qui leur sont associées.

La délégation à des SEM présente les propriétés et les limites d’une forme hybride. En effet, les personnes publiques et privées associées dans le cadre d’une SEM restent autonomes juridiquement tout en mettant en commun des ressources. En outre, l’adaptation des clauses du contrat liant une SEM à une collectivité locale se fait de manière coordonnée.

Toutefois, le contrat néo-classique n’est pas indéfiniment élastique. Lorsque l’incertitude entourant les transactions s’amplifie parce que les actifs sont plus spécifiques et que la fréquence des transactions s’accroît, les risques d’opportunisme sont trop importants et nuisibles à la relation pour que celle-ci soit encadrée par un contrat préservant l’autonomie des parties. Il faut alors recourir à un système de contrôle et d’incitation hiérarchique qui passe par la propriété unifiée des actifs des deux partenaires c’est-à-dire par l’organisation en interne de leurs transactions. Dans le cadre d’une structure de gouvernance intégrée – ou

hiérarchie -, les parties se coordonnent par l’intermédiaire d’un contrat de subordination qui

est plus flexible et adaptable que le contrat néo-classique parce qu’il est complété par le mécanisme de coordination et de contrôle propre à la firme, le commandement. La dimension

hiérarchique qu’introduit un tel arrangement institutionnel autorise en effet la rédaction de contrats très incomplets. Lorsque des perturbations viennent affecter l’efficacité de la firme et que des adaptations sont nécessaires, la hiérarchie intervient pour les réaliser. Elle assure également la résolution des conflits internes, sans passer par un intervenant extérieur. De fait, la relation de subordination qui lie les agents au sein de l’organisation favorise l’adaptation coordonnée et le contrôle de leurs actions et permet ainsi la gestion de niveaux élevés d’incertitude environnementale et comportementale mais, en réduisant leur degré d’autonomie, elle affecte également l’intensité de leurs incitations à l’effort.

Dans le cas des TPU, la gestion directe - en régie – présente les propriétés d’une structure de gouvernance intégrée. On considère en effet dans ce cas que le service est fourni par la collectivité publique. De fait, celle-ci dispose d’un pouvoir hiérarchique sur la régie et les agents qui la composent.

Les propriétés de chacune de ces structures de gouvernance sont synthétisées dans le tableau qui suit :

Tableau 5 : Propriétés des différentes structures de gouvernances

Structure de gouvernance Marché Hybride Hiérarchie Type de contrat associé Classique Néo-classique Subordination

Capacité d’adaptation autonome ++ + 0

Capacité d’adaptation coordonnée 0 + ++

Intensité incitative ++ + 0

Degré de contrôle administratif 0 + ++

++=fort, +=semi-fort, 0=faible, (D’après Williamson [1991a)], p.281)

2.3.2. L’arbitrage entre les structures de gouvernance

La théorie des coûts de transaction fait l’hypothèse que les agents sont prévoyants en ce sens qu’ils anticipent les problèmes contractuels auxquels ils devront faire face. Les agents ont une rationalité limitée mais ne sont pas considérés comme naïfs pour autant. Ils sont capables d’anticiper et de faire preuve d’apprentissage face aux difficultés contractuelles qu’ils rencontrent.

Les arrangements contractuels (et les structures de gouvernance qui leur correspondent) rencontrés dans la réalité sont donc mis en place en toute conscience de la part des agents. Cette hypothèse permet d’avancer que les choix organisationnels des agents peuvent s’expliquer en grande partie comme le résultat d’une recherche d’économie de coûts. Plus précisément, l’arrangement institutionnel retenu par les agents est celui qui minimise les coûts de transaction et de production étant donné les caractéristiques des investissements et le niveau d’incertitude de l’environnement.

Dans la situation qui nous intéresse ici, il est fort probable que les choix des autorités organisatrices reflètent d’autres objectifs que la minimisation des coûts (protection du niveau d’emploi, équité sociale, politique d’aménagement du territoire…).