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Fondements économiques des méthodes de frontière

Partie 2 : L’efficience des opérateurs de transport collectif urbain

2. Mesure de l’efficience des opérateurs : les méthodes de frontière

2.1. Fondements économiques des méthodes de frontière

Farrell (1957), en tirant profit de la définition formelle de Koopmans85 et de la mesure de l’efficience technique proposée par Debreu (1951)86, a fait le premier pas important vers l’économétrie des frontières. L’innovation de Farrell réside dans l’application de l’efficience définie par Debreu à chaque unité de production d’un secteur (Stone 2002). L’idée des techniques de frontière est de produire un modèle structurel du processus de production (ou de la fonction de coût) pour expliquer l’efficience relative des firmes.

L’importante littérature sur les techniques de frontière montrent que ce domaine s’est enrichi par de nombreux raffinements (Bauer 1990, Chaffai 1997, Murillo-Zamorano 2004). Quelques surveys existent déjà car la méthode a fait l’objet de multiples applications dans le transport collectif ferroviaire (Oum, Waters et Yu 1999) ou urbain (De Borger, Kerstens et Costa 2002). Toutefois, rares sont les travaux (à l’exception notoire de Dalen et Gomez Logo 2003) qui exploitent l’outil pour mettre en évidence l’efficience relative des modes de gestion, c’est un apport original de ce travail.

Le traitement simultané des inputs permet de répondre à une première critique adressée aux ratios partiels. La productivité mesurée n’est plus « biaisée » par les variations des inputs extérieurs au ratio considéré. De plus, plusieurs variables de contrôle peuvent être mobilisées pour ajuster la mesure de l’efficience aux caractéristiques de l’environnement de production.

Nous présenterons rapidement dans cette section les fondements des frontières, en particulier en revenant sur la notion de productivité puis en présentant la contribution de Farrell qui fait le lien avec les méthodes de frontière.

(84) Il s’agit des ratios utilisés par la quasi-totalité des acteurs de la profession, notamment disponibles dans le document que publie annuellement l’UTP (syndicat des entreprises de transport collectif urbain) : « Les chiffres clés du transport urbain ».

(85) « A feasible input-output vector is said to be technically efficient if it is technologically impossible to increase any output and/or reduce any input without simultaneously reducing another output and/or one other input. » (Koopmans 1951, d’après N. Adler).

(86) Debreu a initialement dénommé l’efficience technique « coefficient d’utilisation des ressources ». Lovell

(1993) propose une discussion critique sur les différences dans la définition de la mesure de l’efficience technique entre Koopmans et Debreu-Farrell.

2.1.1. Le rôle central de la productivité

La productivité concerne l’aptitude des facteurs à réaliser la production. C’est le rapport entre ce qui est produit et ce qui a été consommé pour y parvenir. En variation, on parlera de gains (ou de perte) de productivité. Si on isole la production d’un seul facteur, on obtient une mesure de productivité partielle. Et lorsqu’on prend en compte tous les facteurs, il s’agit de la productivité globale des facteurs.

Productivité =

Inputs Outputs

Classiquement, une fonction de production définit la quantité maximale d’output qui peut être produite pour une technologie et un vecteur d’input donnés. Si l’on considère que les producteurs ne se comportent pas systématiquement de façon optimale ou qu’il existe un facteur managerial (Leibenstein), alors la fonction de production est simplement une frontière matérialisant les meilleures pratiques. Un accroissement de la productivité peut provenir de trois types d’écart à la situation optimale :

Efficience technique : La frontière de production représente le maximum d’output

pouvant être produit pour chaque niveau d’input, pour un état donné de la technologie. Tout rapprochement de la frontière améliore l’efficience technique et la productivité. C’est la même définition que dans le cadre du chapitre précédent.

Economies d’échelle : Quand bien même la production est techniquement

efficiente, la firme peut avoir intérêt à fusionner, à un éclatement de ses unités de production ou à choisir un autre niveau d’activité s’il existe des effets d’échelle. C’est ce que nous avions appelé l’efficience d’échelle ou d’envergure.

Progrès technique : l’amélioration des techniques de production déplace la fonction

de production vers le haut. C’est aussi une source d’amélioration de la productivité. Il s’agit ici des modifications liées à l’innovation.

Le Schéma 11 propose une illustration simple de ces quelques déterminants fondamentaux de la productivité. Elle considère le cas standard d’une fonction de production d’abord une phase de rendements croissants puis de rendements décroissants.

Ces trois effets, qui peuvent être mis en évidence très simplement, sont des concepts économiques de base. Nous souhaitons attirer l’attention du lecteur sur le rapprochement qu’il est possible de faire entre ces concepts d’origine théorique et ceux que nous avons décrit comme appartenant à l’efficience productive en partant de la situation concrète des transports collectifs urbains. Pour être tout à fait complet, nous allons maintenant introduire la décomposition de Farrell pour mettre en évidence les fondements du dernier effet non encore explicité, celui de l’efficience allocative.

Schéma 11 : Productivité et frontière de production

Si on considère une activité utilisant un seul input x pour produire un seul output y, les couples réalisables (x, y) se trouvent par définition en dessous de la frontière de production (en gras). La pente des rayons (y/x) nous donne une mesure de la productivité. La pente s’améliore lorsque la firme passe du point I au point B, qui est techniquement efficient puisqu’il se trouve sur la frontière. Mais le point A lui est supérieur, c’est d’ailleurs le maximum possible puisque le rayon est tangent à la frontière. Cette dernière progression exploite les économies d’échelle de l’activité (scale efficiency).

2.1.2. La contribution de Farrell

Farrell (1957) propose une décomposition de l’efficience économique en une composante technique et une composante allocative à travers une représentation graphique didactique. L’inefficience technique correspond à une production insuffisante par rapport à ce qui est techniquement possible avec un niveau d’inputs donné (ou réciproquement une quantité d’input supérieur au nécessaire pour un niveau d’output donné). Elle est évaluée par l’écart à la frontière formée par les firmes de l’échantillon les plus performantes. L’inefficience allocative stigmatise l’utilisation des inputs dans des proportions qui ne correspondent pas à l’optimalité décrite par les prix relatifs des inputs. Dans sa représentation, Farrell considère une fonction de production à deux facteurs y = f (x1, x2) et suppose des

rendements d’échelle constants (CRS). Dans ce cadre simplifié, la fonction de production s’écrit : 1 = f (x1/y, x2/y), elle est représentée par l’isoquante unité SS’.

Schéma 12 : Représentation graphique de l’efficience technique et de l’efficience allocative (Farrell 1957)

L’isoquante SS’ représente les combinaisons minimums d’input par unité d’output, c’est la frontière de production. Les combinaisons d’inputs réalisables se trouvent nécessairement à droite de l’isoquante.

L’inefficience technique (ou inefficience productive) provient d’une utilisation

excessive d’input. Géométriquement, Farrell définit l’efficience technique de la firme P par

TE = OQ/OP. Q est le point de la frontière qui possède les mêmes proportions d’input que P.

Une propriété immédiate de cette définition est : 0≤ TE ≤1.

Théoriquement, Les firmes doivent égaliser leur taux marginal de substitution technique (TST) entre les deux inputs avec le rapport des prix des inputs déterminés par le marché.

L’inefficience allocative (ou inefficience prix) provient d’une combinaison erronée des

inputs, étant donnés les prix relatifs. La droite (AA’) représente graphiquement ce rapport des prix. Géométriquement, Farrell mesure l’efficience allocative par AE = OR/OQ, avec

1

0≤ AE≤ . Cette mesure a l’avantage de faire apparaître la même efficience allocative à deux entreprises utilisant les facteurs dans les mêmes proportions.87

L’efficience économique88 correspond à l’efficience technique et à l’efficience

allocative réunies. Elle est obtenue au point Q’. A l’inverse, le point P n’est ni techniquement, ni allocativement efficient. Selon Farrell, son efficience économique est EE = TE*AE = OR/OP avec 0≤ EE≤1. Par ailleurs, le point Q, bien que techniquement efficient, est aussi inefficient que P du point de vue allocatif (inputs dans les mêmes proportions). A l’inverse, la firme E est allocativement efficiente mais techniquement inefficiente.

Que ce soit en montrant comment s’inclut l’efficience technique dans la productivité ou en montrant comment Farrell interprète le concept, le sens est le même. C’est cette efficience technique, dont nous allons développer les méthodes de calcul.

Le schéma suivant classe la quasi-totalité des méthodes envisageables, qui s’articulent autour de la mesure de la productivité et de l’efficience.

(87) Toutefois, on peut se demander si l’efficience technique restera stable en cas de modification des

proportions d’input. L’indépendance supposée des deux concepts est avant tout analytique.

Schéma 13 : Les différentes méthodes de mesure de l’efficience et de la productivité

Source : d’après le panorama dressé par Coelli, Rao et Battese (1998)

Pour la mesure de l’efficience technique, on distingue généralement les approches non paramétriques et paramétriques. Les techniques non paramétriques, souvent assimilées à la méthode DEA (Data Enveloppement Analysis), permettent la construction empirique de fonctions de production, sur la base de modèles mathématiques d’optimisation et de techniques de programmation linéaire. Les approches paramétriques sont une réponse économétrique, elles utilisent les techniques statistiques d’estimation.

L’objet de la section suivante est de développer les méthodes de frontière paramétrique et en particulier les frontières stochastiques (SFA).