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Partie 1 : La variété des modes de gestion des transports collectifs urbains

3. Les choix organisationnels des autorités organisatrices

3.3. Des contrats détaillés

L’objectif de cette section est de proposer une analyse des contrats de délégation allant au-delà de l’étude de leurs schémas de rémunération. Comme nous l’avons développé dans la section B, l’économie des coûts de transaction ne s’intéresse pas uniquement à l’intensité incitative des arrangements contractuels. Elle met également l’accent sur leur capacité adaptative, considérant que le rôle des contrats n’est pas seulement d’inciter les contractants à l’effort ou à la révélation d’informations. Leur valeur dépend aussi de leur faculté à permettre un ajustement aux perturbations de l’environnement des transactions. En d’autres termes, les contrats ne doivent pas être conçus seulement pour amener les parties à réduire leurs coûts de production ; leur design doit également répondre à un objectif de minimisation des coûts de transaction.

Dans la mesure où il n’y a que 9 réseaux pour lesquels nous disposons de 2 contrats, il nous est impossible de mettre en évidence une quelconque évolution du détail des conventions de délégation sur la période étudiée. Pour dépasser cette limite, nous nous sommes servis de la date de signature des contrats et avons comparé les clauses contractuelles les plus utilisées dans les contrats les plus anciens avec celles des conventions signées récemment. Ce faisant, nous avons cherché à déterminer si le recours à des contrats de plus en plus incitatifs s’accompagnait d’un changement des clauses, tout particulièrement de contrôle et d’adaptation. A la lumière de notre cadre théorique, le choix de conventions de type prix fixe, fortement incitatives, devrait en effet s’accompagner de l’introduction de clauses de sauvegarde et d’ajustement tendant à réduire les risques d’opportunisme de la part des opérateurs mais aussi des autorités organisatrices.

Dans le même temps, nous avons distingué les contrats signés avant 1993, date d’entrée en vigueur de la loi Sapin, et les contrats rédigés et attribués après cette date. Nous avons ainsi cherché à mettre en évidence l’effet des appels d’offre sur les pratiques contractuelles et sur le choix des opérateurs.

Comme nous ne disposons ni des cahiers des charges ni des annexes des contrats, notre analyse ne peut porter que sur les conventions en elles-mêmes. Il est cependant possible, à l’aide de notre échantillon, d’identifier certains traits marquants des contrats de délégation.

3.3.1. Les mécanismes de contrôle et de sanction

Les contrats que nous avons examinés prévoient plusieurs solutions pour résoudre les problèmes de contrôle du respect des engagements contractuels.

On observe ainsi une nette augmentation du recours à des mécanismes de contrôle des activités du délégataire par l’autorité organisatrice. Cette nouvelle situation s’accompagne symétriquement de clauses précisant que le délégataire peut lui aussi contrôler les activités du concédant. Il y a là un souci de se prémunir des risques de comportement opportuniste des deux côtés.

Cette volonté de contrôle des collectivités locales prend la forme d’exigences d’informations techniques et financières qui doivent être fournies obligatoirement et périodiquement par le délégataire sous peine de pénalités (pénalités pour défaut d’information). Ces clauses d’obligation de production de documents sont également

complétées par des clauses prévoyant des audits réguliers des activités58 et comptes du concessionnaire.

En obligeant contractuellement le délégataire à lui fournir un ensemble d’informations à des périodes précises (c’est-à-dire à pratiquer ce que les Anglo-Saxons appellent une « open- book policy »), le concédant cherche à réduire les asymétries d’information qu’il subit et à s’assurer au mieux de l’exécution des termes du contrat par le délégataire.

Accorder une importance particulière aux mécanismes permettant de rendre transparentes les responsabilités en cas de conflits59 permet de faire jouer l’effet de réputation. A ce titre, les travaux de Zupan (1989) et Prager (1990) sur les concessions de télévision par câble aux Etats-Unis ont mis en évidence l’importance des effets de réputation sur le comportement des délégataires. Leurs études empiriques montrent en effet que les nombreuses possibilités d’opportunisme que laisse le « franchise bidding » aux mandataires ne sont pas exploitées par ceux-ci car ils préfèrent conserver voire améliorer leur capital de réputation plutôt que d’adopter un comportement opportuniste générant certes des gains à court terme mais compromettant leurs relations avec leur(s) mandant(s) actuel(s) et futur(s)60. Ceci étant, les effets de comportements opportunismes sur la réputation des opérateurs ne sont pas toujours aussi dissuasifs car ils sont évidemment fonction de la capacité des concédants à détecter et sanctionner les « fraudeurs » (Guasch et al. 2002, Estache et al. 2003).

Pour lutter contre les problèmes d’exécution des contrats, les autorités organisatrices mettent également en place dans les contrats un ensemble de clauses de pénalités et de sanction (pénalités pour défaut de qualité, avertissements, amendes, clauses d’« otages », rupture du contrat-révocation, clauses de remise en régie).

Le problème auquel renvoie cette pratique est celui de la crédibilité des menaces dans la mesure où leur application risque de provoquer une rupture de service qui n’est pas souhaitable du point de vue des consommateurs, donc du concédant. Ce problème est d’autant plus réel qu’il n’existe pas d’alternatives à la fourniture du service, c’est-à-dire pas de possibilités de substituer à peu de frais le délégataire opportuniste par un concurrent (Williamson 1999). Il est donc préférable, pour que les sanctions aient véritablement un effet dissuasif, qu’elles soient graduelles et que le concédant puisse y avoir recours sans nuire à la qualité de la relation contractuelle61 et sans risquer de voir le service interrompu (Defeuilley 1999).

Le recours à des contrats incitatifs s’accompagne de l’introduction de mécanismes de contrôle et de sanction.

3.3.2. Formules d’actualisation et mécanismes d’ajustement

L’autre trait marquant des conventions étudiées, et plus encore des conventions les plus récentes, est leur degré de complétude en ce qui concerne les motifs d’adaptation et de renégociation.

(58) Par exemple, contrôles directs de la qualité, enquêtes de satisfaction réalisées auprès des consommateurs

par des cabinets d’audit externes.

(59) Il peut notamment prévoir de rendre publiques et facilement accessibles les informations relatives à la qualité du service fourni par le concessionnaire.

(60) Les délégataires sont d’autant plus attentifs aux effets de réputation qu’ils ont de contrats (avec d’autres

concédants et/ou dans des secteurs variés) et qu’ils envisagent de répondre à de nouveaux appels d’offre.

(61) La coopération entre concédant et délégataire se faisant dans la plupart des cas sur le long terme, il n’est pas dans l’intérêt des parties, et notamment du concédant, d’entrer dans une relation très conflictuelle.

En plus de la formule d’indexation de la rémunération de l’exploitant, les contrats prévoient en effet un ensemble de circonstances très précises menant à la renégociation de la rémunération et/ou des autres termes contractuels (notamment de la formule d’actualisation elle-même). Il s’agit par là de tenir compte des évolutions des conditions économiques et techniques d'exécution des conventions ainsi que d'éventuels événements extérieurs au service de transport mais de nature à modifier l'économie générale de celles-ci.

Les motifs de révision de la rémunération et/ou de la formule d’actualisation que nous avons observés le plus fréquemment sont les suivants :

Changements de la politique tarifaire (e.g. réductions tarifaires accordées à de nouvelles catégories d'usagers) ou modification de la masse de la clientèle concernée par les réductions tarifaires ;

Modifications de l’offre de transport à la demande ou sur accord de l’autorité organisatrice (e.g. modification de la structure du réseau) ;

Modifications de facteurs environnementaux (e.g. plan de circulation, politique de stationnement) ;

Modifications des règlements régissant les conditions de travail ;

Introduction d’innovations (e.g. introduction de nouvelles sources d’énergie) ; Modifications de la structure des charges de l’exploitant et contre-performances

flagrantes.

Ces motifs concernent donc majoritairement des décisions prises par l’autorité organisatrice et ayant un impact sur l'économie du réseau. Prévoir aussi clairement la renégociation des contrats (ou en tous les cas des modes de calcul de la rémunération) en cas de changement d’exigences de l’autorité organisatrice est un moyen de réduire l’incertitude et d’attirer les opérateurs à signer des contrats de nature plus incitative. Ce type de clause, et son usage très fréquent, est un moyen d’assurer les opérateurs contre les risques d’opportunisme de la part des autorités. Etablir ex ante des procédures de révision des contrats est une solution aux problèmes de gestion de l’incertitude.

Le recours à des contrats incitatifs s’accompagne de l’introduction de mécanismes d’adaptation aux perturbations, et plus particulièrement celles induites par des changements d’exigences des autorités organisatrices.