Partie I - Introduction
1.2 Mode d’alimentation
Le succès des pucerons en tant que ravageurs des cultures est également lié
à leur capacité à exploiter comme unique source alimentaire la sève
élaborée des plantes. Or, la sève circulant dans les vaisseaux du phloème,
les pucerons ont développé toute une série d’adaptations anatomiques et
morphologiques, parmi lesquelles des pièces buccales hautement modifiées,
leur permettant d’exploiter cette ressource trophique difficilement
accessible. Les pièces buccales des pucerons forment un faisceau de quatre
stylets flexibles : deux stylets mandibulaires et deux stylets maxillaires
principalement constitués de chitine. Les stylets mandibulaires entourent et
protègent les stylets maxillaires (Figure 4) (Brault, et al., 2007 ; Douglas,
2003). Ces derniers possèdent une architecture complexe sur leur face
interne qui présente des invaginations et excavations complémentaires
assurant une coaptation sur toute la longueur et ménageant l’existence de
deux canaux, un canal alimentaire (1-2 µm de diamètre, conduisant la
nourriture aspirée des cellules végétales au tube digestif) et un canal
salivaire (0,2-0,4 µm de diamètre, conduisant la salive expulsée par les
glandes salivaires jusque le stylet pénètre dans la plante). Ces canaux sont
séparés sur presque toute la longueur des stylets et fusionnent en un canal
commun à l’extrémité du faisceau (Figure 4) (Brault, et al., 2007). Lorsque
le puceron ne se nourrit pas, les stylets sont enfermés dans le labium (ou
proboscis). Les pucerons ne possédant pas de palpes maxillaires et labiaux,
mécanoréception ou chémoréception sont alors réalisées grâce à des
sensilles localisées à l’extrémité du labium ou au sein de l’organe
épipharyngial gustatif. Les pucerons balayent à l’aide de leur labium la
surface de la plante pouvant être un hôte potentiel. Ce sont les récepteurs
tactiles localisés à l’extrémité du labium qui permettent au puceron de
détecter la zone préférentielle de piqûre.
Figure 4. Détail des pièces buccales des pucerons (d’après Brault et al., 2007).
Le faisceau des deux stylets mandibulaires et des deux stylets maxillaires forme 2 canaux séparés (alimentaire et salivaire) qui fusionnent en un canal commun à son extrémité.
Le suivi in situ des activités alimentaires des pucerons a pu être
réalisé grâce à la technique d’électropénétrographie (EPG : Electrical
Penetration Graph) (McLean, et al., 1964 ; Tjallingii, 1978 ; 1986). Son
principe repose sur l'intégration du puceron et de sa plante hôte dans un
circuit électrique (Figure 5A). La pénétration des pièces buccales de
l'insecte dans les différents tissus végétaux s'accompagne de modifications
des caractéristiques électriques de ce circuit qui sont détectées au moyen
d'un amplificateur approprié (Figure 5B). Cette technique couplée à celle
de la stylectomie (coupure du stylet qui reste en place dans les tissus
végétaux après piqûre et analyse de son contenu) a permis de montrer qu’au
cours de la pénétration du stylet dans la plante, le puceron réalise divers
prélèvements extracellulaires mais également des ponctions intracellulaires
dans des tissus non-nourriciers (Giordanengo, et al., 2007). Ces
prélèvements permettent au puceron de choisir sa plante hôte (Powell, et
al., 2006) et le renseignent sur la localisation de ses stylets dans les tissus
végétaux. Ces diverses activités sont toujours accompagnées d’injection de
salive. C’est au cours de la phase dite d’échantillonnage qu’est effectué le
plus grand nombre de pénétrations dans les cellules bordant les vaisseaux
phloémiens. Ce comportement tend à supposer que l’insecte est capable de
reconnaître la composition chimique (pH, teneur en certains sucres et
acides aminés…) des différents types cellulaires rencontrés (Rahbé, et al.,
2000).
Figure 5. Suivi in situ des activités alimentaires d’un puceron par la technique d’électropénétrographie (EPG).
A) Schéma d’un puceron introduit au sein d’un circuit électrique afin d’enregistrer les changements de potentiel électrique lorsque le stylet du puceron pénètre les différents tissus de la plante (d’après Dixon, 1998).
B) Exemple de graphes d’EPG (d’après Giordanengo et al., 2007). En bleu, un enregistrement global. Au centre, une coupe transversale de feuille, avec l’emplacement des stylets et des liens sur les vues élargies des ondes enregistrées à chacune de ces localisations. Les ondes « C » constituent les trajets extracellulaires, les « E » signent l’alimentation phloémienne et les « pd » (pour potential drop, ou chute de potentiel) accompagnent le franchissement d’une membrane cellulaire en activité. En vert sont représentées des activités normales, en rouge des activités signalant des stress locaux, mécaniques (F) ou trophiques (G).