• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : APPROCHE THÉORIQUE

3. Perception de lʼespace et cécité

3.2. Les modalités perceptives sollicitées

3.2.1. La vision : le sens spatial par excellence ?

Phylogénétiquement, la vision a motivé le redressement de la tête pour voir au loin, permettant la vue des segments du corps, complétant la connaissance corporelle apportée par la proprioception. Elle a tenu un rôle essentiel dans l’organisation posturale ainsi que dans le contrôle de l’équilibre bipède. La vision, en apportant des informations sur l’espace lointain et les obstacles qu’il comporte, joue un rôle décisif lors de la locomotion. De tous les espaces perceptifs, l’espace visuel est celui qui permet d’établir simultanément des relations spatiales entre un grand nombre d’éléments. Les autres systèmes ne permettent d’appréhender qu’un espace restreint et ceci grâce à un système de relations établies de proche en proche, malgré certaines capacités pour l’audition, comme nous le verrons au paragraphe 3.5. La vision favorise la construction de trajectoires, son champ perceptif large permettant d’appréhender simultanément une très grande portion de l’espace proche et lointain (Hatwell, 2003). Par ailleurs, elle fournit en permanence des repères spatiaux extérieurs sur les orientations verticales et horizontales de l’environnement (Hatwell, op. cit.). Il suffit de regarder autour de nous pour faire le constat que notre environnement urbain est précisément construit autour de ces orientations verticale et horizontale.

« En vision, il est établi que nous percevons avec une plus grande précision les stimuli dont l’orientation est verticale ou horizontale que ceux dont l’orientation est oblique. C’est ce phénomène qui est nommé par Appelle (1972) “effet de l’oblique.” » (Gentaz, 2000, p. 112)

L’effet de l’oblique dans le système visuel est systématique, que ce soit chez les adultes ou

les enfants, et quelle que soit la nature de la tâche demandée (identification, discrimination, détection). L’évolution des explications sur cet effet de l’oblique se caractérise par des hypothèses de moins en moins rétiniennes. Ainsi, les causes de l’effet de l’oblique visuel ne

se situent pas au niveau du système oculomoteur lui-même, mais à un niveau cortical ou sous-cortical (Gentaz, op. cit.).

Par conséquent, en l’absence de vision, l’élaboration de trajectoires est particulièrement difficile, comme l’ont montré Souman, Frissen, Sreenivasa et Ernst (2008). Ils ont observé que des personnes marchant dans le désert pendant plus de 50 minutes conservent une trajectoire rectiligne dans la journée ou lors d’une nuit de pleine lune. Le soleil et les astres font alors office de points de repère efficients dans cette situation. En revanche, il a été impossible pour les marcheurs de conserver une trajectoire rectiligne par nuit noire. Ces derniers ont dévié très vite pour finalement tourner en rond selon des cercles plus ou moins concentriques. Il en va exactement de même en forêt, par temps couvert : des points de repère proximaux tels que les arbres n’ont alors que peu d’utilité dans l’élaboration de trajectoires. Ainsi, comme l’illustre la carte ci-dessous (fig. 5), les marcheurs RF, PS et KS se sont déplacés dans des conditions nuageuses, alors que le marcheur SM, lui, s’est déplacé de façon rectiligne sous le soleil.

Figure 5 : Traces GPS de marcheurs dans une dense forêt allemande

Sans repère visuel, le marcheur ne peut se fier qu’à la proprioception (cf. paragraphe 3.2.3), aux mouvements de son corps et à son sens de l’équilibre pour conserver une trajectoire rectiligne. Pour Souman et coll. (op. cit.), ces stratégies, bien que possibles, sont loin d’être adaptées à cette fonction et des « erreurs de jugement » se produisent en permanence. Les petites erreurs conduisent à des déviations, alors que les erreurs plus importantes entrainent une déambulation circulaire : le marcheur tourne en rond !

Enfin, la vision renseigne le sujet sur la totalité des propriétés cinématiques de son déplacement, à savoir la vitesse et la direction. On reconnaît, par ailleurs, le rôle prépondérant des ajustements visuo-moteurs dans la construction d’un espace topologique, euclidien puis projectif (Hatwell, 2003). Outre sa rapidité de traitement, la variété et la finesse des discriminations dont elle est capable font de la vision la modalité perceptive la plus performante pour appréhender l’espace, conduisant Thinus-Blanc et Gaunet (1997) à la considérer comme « le sens spatial par excellence ».

3.2.2. Les informations vestibulaires

L’appareil vestibulaire situé dans l’oreille interne nous informe sur la position de la tête dans l’espace et sur les accélérations angulaires (les canaux semi-circulaires, fig. 6) et linéaires auxquelles nous sommes soumis. Le labyrinthe (fig. 6) confère à cet appareil le rôle essentiel de participer à l’équilibration en contrôlant et en coordonnant les mouvements réflexes de la tête, du cou, du tronc et des yeux. Le système vestibulaire est directement impliqué dans la perception du mouvement propre (Graf & Klam, 2006).

Figure 6 : Position du labyrinthe dans le crâne, avec les composantes de lʼorgane de lʼéquilibre (canaux semi-circulaires et otolithes) et de lʼorgane de lʼaudition (cochlée)

Source : Graf et Klam (2006)

Certaines études mettent l’accent sur le rôle des informations vestibulaires et suggèrent que le cerveau est capable d'estimer le mouvement propre sur la base d'informations inertielles, en l’absence de vision, tant lors de mouvements purement linéaires (Berthoz, Israël, Georges-Francois, Grasso & Tsuzuku, 1995) que lors de rotations pures (Israël, Fetter & Koenig, 1993).

3.2.3. Les informations proprioceptives

La proprioception peut être définie comme la sensibilité somesthésique de l’organisme à son propre mouvement et à sa configuration spatiale. Elle met en jeu principalement deux types de récepteurs : les récepteurs musculaires et les récepteurs articulaires.

Les récepteurs musculaires sont de deux types : les fuseaux neuromusculaires, sensibles à la variation de longueur ainsi qu’à la vitesse de l’étirement des muscles, et les récepteurs de Golgi qui mesurent l’effort qu’exerce le muscle sur son articulation. La combinaison des informations fournies par ces deux types de récepteurs musculaires permettrait la reconstruction de la sensation d’effort. Cette dernière constitue une source d’information potentielle pour estimer les déplacements. En effet, partant du principe qu’un effort important

est en général associé à un déplacement de grande amplitude, la mémoire de l’effort peut, d’une certaine manière, aider à la mémorisation de l’amplitude. Par exemple, reproduire une rotation peut éventuellement consister à reproduire une impulsion traduisible en termes d’effort. Plus l’impulsion est importante, plus la rotation est de grande amplitude. En généralisant, nous pouvons supposer que le stockage en mémoire d’une séquence d’efforts aiderait à la construction de la représentation d’un déplacement et d’une trajectoire. Les récepteurs articulaires, en mesurant les mouvements des membres les uns par rapport aux autres, peuvent aussi aider dans la mémorisation des déplacements. Ces données se trouvent validée par les récents travaux de Proffitt (2003 ; 2006) qui suggère que nous voyons le monde selon les actions potentielles qu’il afforde, mais aussi en termes d’effort associé à ces actions.

3.3. Relations systémiques et transfert