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7. Session 3a. Évaluation du stress

7.3. Activation du système nerveux autonome

Nous avons choisi de compléter notre évaluation du stress par une mesure de l’activation du Système Nerveux Autonome (SNA), qui régule sur le plan physiologique le stress et la vigilance (Dittmar et coll., 1997). Celle-ci permet d’obtenir une plus grande finesse dans notre compréhension de ces phénomènes, puisqu’elle fournit à chaque instant un niveau

« d’activation » qui nous renseigne sur l’état de stress et de vigilance. Avec cette mesure, nous souhaitons développer une approche phénoménologique, plus proche du foisonnement des microévénements perceptifs se déroulant tout au long de la déambulation du piéton aveugle.

À notre connaissance, il existe en France assez peu d’équipes capables de proposer une mesure ambulatoire et non invasive de l’état d’activation du SNA. Dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes adressé à l’équipe Microcapteurs et Microsystèmes Biomédicaux (MMB, UMR-CNRS 5270), de l’Institut des Nanotechnologies de Lyon (INL), anciennement dirigée par André Dittmar, et plus récemment par Eric McAdams. L’équipe est installée sur le site de l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon (INSA). Il s’agit d’un laboratoire qui développe de nombreuses solutions et méthodes innovantes (Dittmar, Delhomme & Gehin, 2008) pour intégrer ces mesures de manière ambulatoire : sur le conducteur de poids lourds, en voiture, sur le piéton, etc.

Le matériel que nous avons utilisé est un prototype de conception très récente (fin 2008). Il s’agit du capteur EmoSense©, issu du projet de fin d’études d’un ingénieur diplômé en Génie électrique et Génie des Procédés à l’INSA de Lyon (Massot, Gehin, Nocua, Dittmar & McAdams, 2009). Cet appareil, de par sa taille, sa portabilité et son autonomie est une innovation technologique tout à fait importante et intéressante dans le cadre de notre projet. En effet, la taille de l’appareil est celle d’une montre-bracelet, l’objet devenant alors complètement ambulatoire, n'occasionnant aucune gêne notable pour le sujet. Il est important de préciser qu’il conserve les performances réalisées par les versions précédentes de cette instrumentation, développées au sein de l’équipe MMB (Nocua, 2009). La conception de ce nouveau dispositif est basée sur l’utilisation d’un PSoC (Programmable System-on-Chip), puce qui intègre les facultés de circuit analogique et numérique programmable (Mixed-Signal

Array) et de microcontrôleur. Cette nouvelle génération permet l’intégration quasi complète

de toute l’électronique de la centrale. Les mesures effectuéessont exploitables en temps réel, en les envoyant à un ordinateur par le biais d’une liaison de communication sans fil ZigBee (IEEE 812.15.4)37. Il est aussi possible d’assurer leur enregistrement sur un support de stockage amovible, de type carte flash MicroSD, pour un traitement ultérieur. Nous avons retenu cette dernière solution dans notre recherche, en raison de sa fiabilité, puisqu’il n’y a pas de risque de déconnexion. Enfin, équipé de sa batterie standard, l’appareil possède une

autonomie d’environ 50 heures, ce qui est bien sûr largement suffisant pour nos parcours d’une durée moyenne de 25 minutes !

Figure 38 : Aperçu du prototype EmoSense©

Source : Massot (2009)

7.3.1. Protocole

La mesure de l’activation du SNA lors de déplacements urbains réels de personnes aveugles nous semble être une innovation. Au regard de précédentes recherches, qui ont principalement étudié la fréquence cardiaque (Peake & Leonard, 1971 ; Tanaka et coll., 1982), nous avons souhaité intégrer d’autres critères d’évaluation afin d’être aussi complet que possible dans les mesures effectuées. Ce choix s’appuie sur les précédentes recherches et l’expérience de l’équipe MMB (Collet, Vernet-Maury, Delhomme & Dittmar, 1997 ; Dittmar, Delhomme, Caterini & Vernet-Maury, 1991). EmoSense est ainsi capable d’enregistrer en temps réel et de façon ambulatoire, trois types de données relatives à l’activation du SNA :

• la résistance électrodermale (RED), • la fréquence cardiaque instantanée (FCi), • la température cutanée (TC).

Sur les conseils des concepteurs du capteur, nous avons choisi d’effectuer ces trois mesures pour l'ensemble des 27 sujets, en ne projetant néanmoins de n’utiliser que la RED et la FCi.

Le bracelet EmoSense est placé sur le poignet de la main inoccupée par la canne blanche ou le harnais du chien-guide. Les électrodes de la FCi sont placées sur le torse environ 20 minutes avant le début de l'enregistrement, selon le schéma présenté figure 39, pour permettre

à l’interface électrode-peau de se stabiliser (Massot et coll., 2009). Leur fil de connexion est fixé à la peau par un morceau de ruban adhésif dermique.

Figure 39 : Illustration de la pose des électrodes sur le torse

Source : Massot et coll. (2009)

Les électrodes dédiées à la réponse électrodermale sont positionnées de la même manière sur les deuxièmes phalanges de l’index et du majeur, du côté de la paume selon le schéma suivant (Boucsein, 1992). Enfin, l’électrode relevant la température cutanée est positionnée au centre de la paume. (fig. 40)

Figure 40 : Illustration de la pose des électrodes sur la main

L’ensemble du parcours est filmé afin de pouvoir mettre en relation à chaque instant les mesures physiologiques, l’environnement dans lequel le sujet évolue ainsi que son comportement. Par conséquent, nous avons apporté un soin particulier à la synchronisation de l’enregistrement physiologique et de l’enregistrement vidéo, en début et en fin de parcours.

7.3.2. Mesure de la réponse électrodermale

Nous avons défini, en accord avec la littérature (Boucsein, op. cit.), un ensemble de critères permettant de détecter les réponses électrodermales de la façon la plus fiable, sur les tracés sélectionnés. La forme type de la RED est connue : elle est constituée d'une composante amplitude en ordonnées et d'une composante temps en abscisses pendant lesquelles elle se déroule. Elle est décrite en fonction de 3 éléments distincts que nous présentons ci-après (fig. 41).

Figure 41 : Signal de résistance cutanée suite à un stimulus

Source : Nocua (2009)

1 L’amplitude : lors d’un stimulus, le signal en résistance chute vers un point minimal pour ensuite revenir à sa valeur initiale. L’amplitude de la réponse est mesurée par la différence entre le point maximal et le point minimal de celle-ci.

2 La durée de descente (d1) : c’est le temps écoulé entre le point maximal et le point minimal de la réponse.

3 Le temps de récupération (d2) : c’est le temps entre le point minimal et le point où le signal revient à 50 % de l’amplitude de la réponse.

Lors d’une mesure in situ, nous pouvons répartir les RED selon deux catégories, comme nous l’avons évoqué en théorie : les réponses « orientées », dont le stimulus exogène est identifié, et les réponses « non-orientées », dans le cas contraire. Dans cette recherche, certains critères permettent de détecter les RED « orientées » qui nous intéressent particulièrement. Nous avons choisi de repérer et de retenir les réponses provoquées par des stimuli environnementaux, provenant de l’audition, de la sensibilité tactile de surface (canne blanche) et de la sensibilité tactile plus profonde (proprioception des différents dénivelés rencontrés comme les escaliers, les abaissements de trottoirs, les reliefs du sol, etc.).

Lors de son interaction avec l’environnement, chaque individu agit singulièrement par ses conduites comportementales. Nous avons retenu cette notion de comportement pour la détection des RED orientées. Nous considérons une RED comme orientée si la vidéo met en évidence ce type de réaction, coïncidant temporellement avec elle. Nous détaillons notre méthode d’observation, ainsi que les comportements observés dans le paragraphe 7.3.4. Notre analyse nécessite donc trois éléments pour retenir une RED :

• un stimulus environnemental (exogène) identifiable, • un tracé conforme sur l’enregistrement physiologique, • une action comportementale (motrice) du sujet.

Enfin, pour chacune des RED retenues, nous relevons un ensemble de données utiles pour l’analyse ultérieure :

• la date précise du début de la réponse, en minutes et secondes, • le niveau de base (ou tonique) en kOhm,

• l’amplitude en kOhm, • la durée en secondes,

7.3.3. Dʼune échelle temporelle à une échelle

géographique

L'échelonnement temporel des mesures physiologiques, en particulier concernant la RED, n'est pas pertinent pour étudier l’influence d’un environnement sur un individu. En effet, chaque personne possède sa propre vitesse de déplacement, par ailleurs variable pour un même marcheur tout au long du parcours. Les escaliers sont, par exemple, à l’origine d’une baisse importante de la vitesse de déambulation. Il est impossible, dans ces conditions, de prendre en compte des données issues de plusieurs sujets puisque leurs échelles sont différentes. Par conséquent, il a été nécessaire de changer d’échelle, afin qu’elle soit commune à tous les sujets. Nous avons donc relié les RED à l’emplacement géographique où elles se produisent, plutôt qu’aux temps auxquels elles se produisent (fournis par l’enregistrement physiologique).

Nous avions initialement souhaité utiliser la technologie GPS afin d’extraire très simplement la position d’un sujet sur le parcours, à un temps déterminé. La facilité de mise en œuvre semblait être un atout intéressant et nous l’avions déjà utilisé auparavant (cf. paragraphe 5.2). Néanmoins, les essais effectués à l’aide du traceur GPS TrackStick™ précédemment utilisé ont montré les limites de cette méthode. L’environnement urbain défavorise souvent la précision de cet outil : des zones d’ombres existent ainsi en fonction de la position des satellites. Cela a souvent été le cas sur notre parcours, en particulier dans les ruelles étroites. Par ailleurs, la précision générale s’est avérée insuffisante (nous souhaitions une précision de l’ordre du mètre). Nous n’avons donc pas retenu cette option.

Nous avons, dans un second temps, pensé utiliser les vitesses de déplacement des sujets. En effet, il est possible de calculer pour chaque participant la vitesse de déplacement dans chaque portion de rue, en déterminant les dates d'entrée et de sortie dans la rue et la distance séparant ses extrémités. Il est alors possible de localiser un évènement avec une précision apparemment satisfaisante (distance = vitesse x temps). Après quelques essais, nous nous sommes aperçu que le simple découpage par rue était insuffisant, le trajet étant entrecoupé de nombreux arrêts (questions posées aux participants, attentes imposées par les feux de signalisation lors des traversées, etc.).

C’est finalement l’utilisation de l’enregistrement vidéo qui nous a paru être la meilleure solution puisqu'il comporte une datation synchrone de l'enregistrement physiologique. La date

d'une RED permet de retrouver son image contemporaine sur la vidéo et l'endroit précis où elle s'est produite. Les images satellites ou aériennes en haute résolution, mises à disposition du grand public par Google depuis 2005 grâce à Google Earth©, permettent d’obtenir les coordonnées géographiques précises d’un lieu ainsi identifié. Ce sont ces coordonnées géographiques que nous avons utilisées pour localiser la RED sur notre plan à l'échelle. Grâce à cette méthode, nous avons pu procéder à un géopositionnement d’une précision très satisfaisante. Nous employons à cette fin un plan détaillé du secteur Guillotière, que nous avons construit à partir de la superposition d’informations cartographiques et satellites, provenant de Google-TeleAtlas38, CloudMade39 et OpenStreetMaps40. Le document est présenté ci-dessous et a été édité en format informatique vectoriel, permettant de travailler avec précision, quelque soit le grossissement.

Figure 42 : Plan utilisé pour la projection des mesures physiologiques (le nord se trouve à droite sur cette carte)

Source : Google-TeleAtlas, CloudMade et OpenStreetMaps (2009)

38 http ://en.wikipedia.org/wiki/Google_Maps

39 http ://cloudmade.com/terms_conditions

À partir de la base de données constituée des RED (tableau 5 ci-après), nous avons pu positionner sur ce plan l’ensemble des réponses physiologiques identifiées (environ 600) à l’aide du logiciel GeoStress (c.f. capture d’écran en annexes, paragraphe 4). Il s’agit d’un module MatLab© que nous avons développé spécifiquement pour cette recherche (Massot, 2010). Cet outil permet de représenter chaque RED sous la forme d’un point, dont le diamètre est proportionnel à l’amplitude de la RED. La couleur du point est définie selon un gradient allant du jaune au rouge, en fonction du niveau de base (niveau tonique) de la RED, le jaune représentant une résistance élevée (niveau d’activation « faible »), le rouge une résistance faible (niveau d’activation « élevé »). Un avantage de GeoStress est de permettre de filtrer avec souplesse l’affichage des RED sur le plan, en fonction de différents critères présents dans la base de données comme :

• le mode de déplacement (chien-guide, canne), • le type de cécité (précoce, tardive).

Ce système nous permet d’identifier les ambiances urbaines qui sont potentiellement stimulantes au niveau du SNA. Il est, en effet, possible de comparer le nombre de RED pour chaque scène et de comparer ainsi l’influence des ambiances « Ruelle », « Rue », « Place » et « Berges » sur le niveau d’activation du SNA du marcheur aveugle.

Tableau 5 : Exemple de données relevées dans notre base (chaque ligne correspond à une RED identifiée)

Sujet Type de cécité d'aide Type Stimulus

Amplitude RED (kOhm)

Durée RED

(sec) Latitude Longitude

S01 précoce chien-guide auditif 91 18.55 45.75459 4.84191

S01 précoce chien-guide tactile 6 2.1 45.75475 4.84145

S01 précoce chien-guide masses 38 12.8 45.75485 4.8412

S01 précoce chien-guide tactile 32 7.5 45.75505 4.84134

7.3.4. Éthologie et observation du comportement

« L’éthologie est présente chaque fois qu’observation et description naturalistes sont mises en œuvre. On peut commencer très simplement par dire que l'éthologie est la science qui étudie le comportement des êtres vivants (animaux ou humains). L'éthologie s'intéresse à l'ensemble des facteurs (éléments)

qui vont faire que tel individu, homme ou animal, va exprimer tel comportement. Les comportements sont réunis en grandes familles, avec les comportements sociaux, territoriaux, de reproduction, de communication, d’alimentation, de déplacements. » (Granié, 2005, p.1)

L’éthologie interroge les motivations qui vont conduire l’individu à avoir un certain comportement. Ces motivations peuvent être intrinsèques à l’individu (le piéton aveugle) ou bien découler de son environnement (la ville). Il faut alors s'intéresser à la manière dont le stimulus fait réagir l’individu, à la manière dont le signal le stimule. Au sens large, cela pourra être par le biais d'un ou plusieurs de ses sens, ou par ce que l'on appelle des signaux physiologiques. Le champ d’étude de l’éthologie humaine se situe à l’intersection de la biologie et de l’étude du comportement social et individuel, faisant d’elle une discipline à la fois interface et complémentaire des autres disciplines en sciences humaines. Lorsque des chercheurs en psychologie appliquent à leur objet d’étude la méthode éthologique, on parle

d’éthopsychologie. De telles connexions existent aussi en anthropologie et en linguistique

(Granié, 2005). Dans le cadre de notre recherche, l’observation des déplacements s’est construite à partir de l'enregistrement vidéo qui offre plusieurs avantages par rapport à l’observation directe :

• possibilité de revoir les séquences autant de fois que nécessaire,

• déplacement à volonté à l'intérieur de la séquence (usage du ralenti et de l'accéléré...), • possibilité de fiabiliser les observations par une méthode interjuges.

Il existe cependant quelques inconvénients liés à cette méthode, tels qu’un temps d’analyse très long (environ cinq heures de visionnage, pour trente minutes de vidéo dans notre cas), ainsi que le champ réduit de ce qui est filmé : en effet, un ensemble d’événements se déroule hors champ.

Comme la figure 43 ci-dessous le montre, nous avons filmé le parcours en précédant le sujet, afin de lui faire face pendant son déplacement. Nous saisissons de cette manière une grande partie de ses interactions avec la ville : hésitations, contacts de la canne avec le sol, échanges avec le chien-guide, comportement de ce dernier, etc.

Figure 43 : Angle de prise de vue pendant les parcours filmés, session 3

Source : Baltenneck (2009)

Les analyses de ces vidéos ont été menées dans l’objectif d’isoler et de retenir les RED

orientées lors des parcours. Ce sont donc les tracés physiologiques qui ont guidé nos

observations vidéo. Par ailleurs, ces observations ont été effectuées par deux juges indépendants de manière à fiabiliser les résultats obtenus par cette méthode. La grille d’observation a été élaborée en deux temps. Dans un premier temps, nous avons retenu une sélection d’éléments cinétiques classiques lors du déplacement piéton :

• accélération, • ralentissement,

• arrêt bref ou prolongé, • attente (passage piéton), • changement de direction.

Dans un second temps, après un premier visionnage des séquences vidéo, nous avons complété cette grille d’observation avec des éléments plus spécifiques aux objets de notre recherche :

• arrêt brutal (choc), • évitement, écart,

• recherche (avec action motrice),

• question ou discussion avec l’accompagnateur, • descente ou montée de trottoir / escalier.

Enfin, pour chaque comportement correspondant à une RED identifiée, nous avons noté, autant que possible, l’origine sensorielle du stimulus : auditive, tactile ou proprioceptive. Ces informations nous ont permis de compléter la base de données exploitée par le logiciel

8. Session 3b. Représentation de