• Aucun résultat trouvé

1.4 Structures cohérentes et calcul instationnaire

1.4.2 Modélisation instationnaire

Dans un cadre industriel, la possession d’informations concernant les instationnarités des grandeurs globales est cruciale dans de nombreux domaines : prédiction et contrôle du bruit ou du frottement en aéronautique ou dans le transport terrestre [10,86, 100], problème de résonance dû à l’injection pariétale en aérospatiale [101], fatigue du matériau due aux pics de température, etc. Comme on l’a déjà mentionné, la DNS et la LES permettent d’obtenir ce type d’informations en résolvant explicitement les structures cohérentes à grande échelle. Cependant, ces simulations sont très coûteuses en temps CPU de par la présence de parois dans l’écoulement et de leur forte dépendance au nombre de Reynolds, et sont donc diffici-lement applicables dans des configurations industrielles. Au contraire, un modèle RANS est peu gourmand en temps CPU mais il est incapable de donner une information instationnaire, par essence. En effet, dans la majorité des cas, les écoulements sont statistiquement station-naires (canal, sillage, jet, couche de de mélange, marche descendante, etc.) et le champ résolu correspond à la moyenne temporelle par ergodicité. Ainsi, le champ résolu est indé-pendant du temps et ne contient aucune information instationnaire.

Depuis les années 1990, une multitude de méthodologies instationnaires et peu coûteuses, en comparaison à la LES, a vu le jour : VLES (Very Large-Eddy Simulation) [177], LNS (Limi-ted Numerical Scales) [13, 12], DES (Detached Eddy Simulation) [77, 11, 103], URANS (Unsteady Reynolds-Averaged Navier-Stokes) [83, 17, 108, 42, 156, 107], SDM (Semi-Deterministic Model) [6, 102, 101], SAS (Scale-Adaptative Simulation) [134,135], PANS (Partially Averaged Navier-Stokes) [68,67, 66], PITM (Partially Integrated Transport Mo-del) [166, 28], filtre additif RANS/DNS [59, 61], etc. Cette liste n’est pas exhaustive et donne un aperçu de l’intense activité de recherche dans le domaine de la modélisation insta-tionnaire. D’autres méthodologies instationnaires sont présentées dans le livre de Sagaut et al. [160].

Le point commun à la plupart de ces modèles est de partir d’un modèle RANS et de le modifier sur des bases plus ou moins empiriques pour tenter de résoudre les structures insta-tionnaires à grande échelle. Ainsi, une part de l’énergie est résolue tandis qu’une autre partie est modélisée, similairement à une LES. La question du filtrage et de la décomposition ré-sultante devra être soulevée dans ces types d’approches instationnaires.

Certains de ces modèles sont qualifiés de modèles hybrides RANS-LES dans la mesure où certaines zones de l’écoulement sont simulées par un modèle RANS et d’autres zones par un modèle LES. En écoulement de paroi, par exemple, la zone RANS se trouvera typiquement à proximité des parois, alors que la zone LES sera effective dans des zones loin des parois où

1.4. Structures cohérentes et calcul instationnaire 9

dominent des structures à grande échelle. On parlera en particulier de modèle hybride RANS-LES à transition continue ou non-zonal5quand les zones RANS et LES ne sont pas définies de façon explicite, signifiant que le passage de l’un à l’autre se fait de façon automatique par le modèle, et que celui-ci est compatible avec les deux limites RANS et DNS. De nombreux auteurs ([181,15] par exemple) proposent une méthodologie zonale qui consiste à imposer explicitement une frontière RANS-LES. Un modèle adéquat est alors utilisé dans chaque zone. La difficulté d’une telle approche réside dans les conditions aux frontières entre les zones RANS et LES. Au delà des instabilités de calcul aux premiers instants de la simula-tion, dues à la convergence des statistiques, il est facile d’obtenir les champs moyens à partir de la LES et de les fournir à la zone RANS. Il est beaucoup plus complexe de construire un champ turbulent chaotique à partir du modèle RANS, pour ensuite le fournir à la zone LES. On pourra se référer à la thèse de Sergent [169] pour plus de détails sur le sujet. Cette thèse a préféré se tourner vers les modèles à transition continue pour leur simplicité de mise en œuvre. Une critique justifiée de tels modèles est la suivante : les formalismes RANS et LES sont très différents par leur nature, car l’opérateur RANS correspond à une moyenne d’ensemble alors que l’opérateur LES est un filtrage spatial ; quelle est donc la signification d’un modèle hybride à transition continue ? On tentera d’apporter des éléments de réponse à cette question. Ci-dessous sont présentées succinctement les quelques voies de modélisation instationnaire proposées par divers auteurs.

1.4.2.1 Modèles hybrides

Les modèles présentés ci-dessous sont qualifiés d’hybrides dans la mesure où ils sont com-patibles avec les deux limites extrêmes RANS et DNS.

• VLES. Ce sigle fut sans doute initialement introduit par Childs & Nixon [34], puis re-pris par Speziale [177]. Ce dernier propose de calculer les tensions de Reynolds classiques par un modèle RANS et de les pondérer par une fonction empiriquefk ∈ [0, 1] dépendant du rapport entre la taille locale de maille∆met l’échelle de KolmogorovLη selon

Rij =  1− exp  −ζm Lη q | {z } fk RRANS ij (1.1)

oùζ et q sont des constantes. Lorsque la taille de maille est de l’ordre de l’échelle de Kol-mogorov, les tensions de Reynolds Rij tendent vers zéro et le modèle tend alors vers une

DNS. Si la taille de maille est trop grande, on retrouve le modèle RANS. La VLES peut donc être qualifiée de modèle hybride. La formulation (1.1) montre quefk est, par définition, le ratio de l’énergie modélisée12Riiet de l’énergie totale12RRANS

ii donnée par le modèle RANS. • LNS. Cette méthode hybride est directement inspirée de la VLES et diffère de celle-ci dans la forme du coefficient de pondération fk. Dans la formulation (1.1), la fonction de pondérationfkest maintenant donnée par le ratio de la viscosité de sous-mailleνTLES don-née par un modèle LES, et de la viscosité turbulenteνTRANSdonnée par un modèle RANS :

fk = min  1, νTLES νTRANS  (1.2)

• DES. La DES consiste à remplacer empiriquement dans les équations RANS la longueur caractéristique de la turbulenceLRANS par

LDES = min (LRANS, CDESm) (1.3) où CDES est une constante empirique de l’ordre de l’unité dépendant du modèle de tur-bulence, et∆m une taille caractéristique locale de la maille. Si la taille de maille est trop grande pour capturer des structures, on aLDES = LRANS et la DES fonctionne alors exacte-ment comme le modèle RANS. C’est ce qui se passe en proche paroi. Loin de la paroi, on a LDES = CDESm, et le modèle devient un modèle de sous-maille : la DES fonctionne alors comme une LES. La DES est un modèle hybride simple à mettre en œuvre et elle a montré qu’elle est capable de capturer les structures instationnaires à grande échelle [77,103,11]. • PANS. Cette méthodologie est basée sur un modèle RANS dans lequel la constante Cε2

de l’équation de la dissipation est, suivant certaines hypothèses, modifiée selon

Cε2 = Cε1+ fk(Cε2 − Cε1) (1.4)

oùfk est le ratio de l’énergie modélisée par l’énergie totale. Ce paramètre intervient éga-lement dans les méthodologies VLES et LNS. Par définition, on afk ∈ [0, 1] et la relation (1.4) montre queCε2 6 Cε2. En contrôlant la valeur defk, l’utilisateur peut diminuer l’in-tensité turbulente en augmentant la dissipation, et permettre ainsi aux structures cohérentes de se développer. Ce modèle est hybride : la limite DNS correspond àfk = 0 et la limite RANS àfk = 1. Cependant, le filtrage et la décomposition résultante ne sont pas définis de façon explicite, tout comme en VLES, LNS ou DES. Ce modèle sera présenté plus en détails au chapitre6.

1.4. Structures cohérentes et calcul instationnaire 11

• PITM. L’approche PITM s’inspire des modèles RANS multi-échelles [161,162,163,29] et aboutit à une forme similaire au modèle PANS. La vision spectrale de la turbulence, utili-sée dans le modèle PITM, permet de prendre en compte la variation de la position de la cou-pure dans le spectre d’énergie pour être compatible avec les deux limites extrêmes RANS et DNS. C’est un des rares modèles hybrides connus à ce jour où le filtrage est explicite, permettant de séparer de façon claire les échelles résolues des échelles modélisées par l’uti-lisation d’un filtre à coupure spectrale. Ce modèle sera présenté plus en détails au chapitre6. • Filtre additif RANS/DNS. Germano [59] et Germano & Sagaut [61] proposent d’in-troduire un filtre additifF0, linéaire et préservant les constantes, selon

F0 = aI + (1 − a)E (1.5)

oùI est l’opérateur identité et E la moyenne d’ensemble. Pour a = 0, le filtre F0est égal à la moyenne d’ensemble et l’on retrouve la limite RANS. Poura = 1, le filtrage ne modifie pas les équations instantanées : on atteint donc la limite DNS. Les valeurs intermédiaires dea permettent d’effectuer une LES plus ou moins bien résolue. Les équations de Navier-Stokes filtrées parF0sont déduites : elles font apparaître les tensions de Reynolds classiques calculables par un modèle RANS et un terme supplémentaire dépendant des fluctuations à grande échelle (résolues) du champ de vitesse filtrée. Cette approche est encore formelle dans le sens où aucun test numérique n’a été réalisé. Un lien remarquable existe avec les modèles VLES, LNS, PANS et PITM. En effet, le coefficienta est lié au paramètre fkpar

a =p1− fk (1.6)

On voit donc que le ratio de l’énergie modélisée par l’énergie totale est un paramètre impor-tant piloimpor-tant toutes ces approches hybrides, à l’exception de la DES.

1.4.2.2 Autres approches

Les modèles présentés ci-dessous ne sont pas qualifiés d’hybrides dans la mesure où ils ne sont pas compatibles avec la limite DNS.

• URANS. La méthodologie URANS, également appelée T-RANS (Time-dependent RANS ou aussi Transient RANS) par certains auteurs [73, 90], consiste simplement à résoudre les équations RANS avec une prise en compte du terme instationnaire∂/∂t et sans modification de la valeur des constantes empiriques. Or dans un écoulement statistiquement stationnaire,

le terme∂/∂t est nul. Au fur et à mesure d’une simulation avec une marche en temps, il doit tendre vers zéro de telle sorte que la solution URANS et RANS soient identiques. Des tests ont montré de façon surprenante que les simulations URANS sont capables de capturer des structures cohérentes à grande échelle dans divers types d’écoulement, avec le bon ordre de grandeur du nombre de Strouhal : sillage [82, 83, 17,143, 27,54], marche descendante [108, 42], jets co-axiaux compressibles [156], injection de fluide par paroi poreuse [101]. De façon générale, la solution URANS moyennée dans le temps est plus réaliste que la so-lution RANS, par exemple dans la prédiction des longueurs moyennes de recollement dans les écoulements décollés, et donne les fréquences caractéristiques à un coût faible comparé à la LES [82, 83]. De ce fait, cette méthodologie s’est répandue dans le monde industriel. En réalité, la décomposition utilisée ne peut plus être celle proposée par Reynolds, mais sera considérée comme un filtre (cf. chapitre5). L’URANS n’est pas un modèle hybride à proprement parler car elle n’est pas compatible avec la limite DNS.

• SDM. Ce modèle, également dénommé OES (Organized Eddy Simulation) [79], ressemble de près à l’URANS sauf que la valeur des constantes du modèle RANS sont modifiées. Par exemple, la constanteCµ intervenant dans la définition de la viscosité turbulente vaut 0.09 classiquement dans un modèle RANS, et est diminuée à 0.02 [102] ou 0.06 [6] dans le mo-dèle SDM sur l’écoulement de marche descendante. On diminue ainsi la viscosité turbulente pour permettre aux structures cohérentes de se développer. Ha Minh & Kourta [102] justi-fient cette diminution deCµ : la valeur classique est calibrée par mesure expérimentale de k/u2

τ dans la zone logarithmique, qui est une zone en équilibre spectral. Dans un écoulement hors-équilibre où existent des structures cohérentes, cette valeur peut être remise en cause. Récemment, la mesure expérimentale deCµsur un profil NACA à Re = 105 par l’utilisa-tion d’une moyenne de phase a montré que ce coefficient est quasiment constant, de l’ordre de 0.02 [79]. Cette valeur permet en fait de prendre en compte, dans les modèles EVM li-néaires, le déphasage entre le tenseur d’anisotropie et de déformation.

• SAS. La méthodologie SAS est basée sur un modèle EVM avec des équations de transport sur l’énergie et l’échelle de longueur. On ajoute un terme source dans l’équation concernant l’échelle de longueur. Ce terme additionnel est fonction du rapport entre l’échelle intégrale et celle de Von KármánKS/U′′

oùS =p2SijSij etU′′

=||∇2U||. L’idée est d’adapter les échelles du modèle en fonction de la courbure du profil de vitesse, de manière à promouvoir la génération de structures instationnaires dans les zones à profil de vitesse inflexionnel. Ce modèle a donné de bons résultats dans une cavité acoustique et une chambre de combustion [134].

1.5. Objectifs de l’étude 13

Documents relatifs