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Sur la modélisation en finance

la structure sous-jacente, car il se suffit à lui-même et ne nécessite pas de structure. Pour cette raison, il ne permettra pas de tirer des conclusions qui dépassent le cadre dans lequel il se trouve : quelles leçons permet-il de tirer en effet sur les systèmes non martingales ? Que nous apprend-il sur les événements rares ? Quelles renseignements nous donne-t-il sur la dynamique de l’offre et de la demande fondamentale ?4 N’oublions pas que les marchés financiers leur sont subordonnés, et que les market makers et arbitrageurs ne sont qu’une sur-couche supposée rendre le marché plus fluide et les prix efficients. Comprendre le système, ce n’est pas seulement comprendre son état asservi, mais aussi la dynamique libre de ses composants : pour modéliser la dynamique de la liquidité, les mécanismes sous-jacents des bulles et des crashs, ou tout simplement pour répondre à des questions hors marché financier5, la structure de l’offre et de la demande fondamentales et leur dynamique doivent être comprises. Si le normatif tente de comprendre le système dans son état asservi, le descriptif souhaite le comprendre aussi dans son état libre – et cela me semble nécessaire.

10.3

Sur la modélisation en finance

Pourquoi modélise-t-on ? D’un point de vue de physicien, la réponse est assez claire. Modéliser, c’est tenter de comprendre les lois qui régissent le monde qui nous entoure. Les intuitions se trans- forment en modèles à l’aide d’outils mathématiques qui permettent de les formaliser, ces modèles effectuent des prédictions que l’on peut ensuite confronter à la réalité. Si celles-ci sont conformes aux prédictions du modèle, on juge le modèle bon. Sinon, on tente de comprendre ce qui ne marche pas – et l’on adapte son modèle, ou l’on en change. Notons qu’un modèle peut être bon pour certains aspects mais pas pour d’autres : c’est d’ailleurs souvent comme cela que la science progresse, les mo- dèles les plus simples étant finalement mis en défaut et remplacés par des modèles plus complets.6 Ce type de modélisation est une manière d’assouvir une curiosité naturelle sur le monde qui nous entoure, et une tentative de le comprendre tel qu’il est dans le moindre de ses détails.

Lorsque l’on passe au monde des humains en revanche, les choses deviennent plus compliquées. Contrairement à la nature, les comportements n’ont a priori aucune raison d’obéir à des lois uni- verselles et immuables. La première conséquence, qui affecte directement l’approche physicienne de la modélisation, est qu’un modèle n’est jamais ni tout à fait bon ni tout à fait mauvais : la réalité qu’il tente d’approcher n’est tout simplement pas unique.7Ainsi, de nouveaux modèles sont créés et détruits au gré des expériences, et leurs paramètres peuvent et doivent toujours être réajustés aux 4. Ainsi, l’absurdité de critiques telles que : « the concept of absence of arbitrage is so strong that it supersedes any empirical evidence » (le concept d’absence d’arbitrage est tellement fort qu’il supplante toute preuve empirique), qui permettent malgré tout d’empêcher d’autorité la publication de certains papiers.

5. Je pense au yield management, à la demande des ménages, etc.

6. Ainsi, la physique quantique ou la théorie de la relativité sont nées des déviations du monde réel à la physique classique.

7. Le physicien répond souvent à ce problème en scindant la modélisation en deux parties : une partie interac- tionnelle « mécanique » et une partie comportementale, cette dernière pouvant changer au cours du temps.

172 CHAPITRE 10. DISCUSSION DE FIN

temps présents – ce qui produit une littérature changeante, moins établie et hiérarchisée que dans les sciences plus « dures ». Ce n’est pas là le seul problème : le plus souvent, les expériences sont difficiles à reproduire et présentent un nombre de données limitées, si bien que l’on se contente d’ex- traire des tendances (moyennes, corrélations, ratio d’endogénéité, etc.) plutôt que de comprendre en profondeur des résultats trop bruités et qui plus est datés. Tout cela promeut une approche alternative de la modélisation des systèmes sociaux, où le modèle sert plus à véhiculer des intuitions qu’à produire des résultats quantitatifs. Les vertus pédagogiques, notamment auprès des publics à orientations scientifiques, n’en sont que meilleures – ou en tout cas, sont meilleures que de longues proses.8 La littérature économique a trouvé une approche encore plus radicale pour faire face à l’absence de cohérence temporelle du monde réel. Elle a créé ce qu’elle appelle la modélisation nor- mative – par opposition à la modélisation descriptive – qui ne cherche plus à représenter le monde tel qu’il est, mais tel qu’il devrait être : ainsi le monde a tort, pas le modèle. On est cependant en droit de rester dubitatif sur la pertinence d’une telle approche lorsqu’il s’agit de prendre des actions quantitatives concrètes sur le monde réel – et notamment, de le réguler.

Le raisonnement normatif me semble tenir de moins en moins en finance de nos jours. Il s’agit sans doute du domaine qui a généré la plus grande quantité de données comportementales durant les dernières décennies (peut-être aujourd’hui supplantée par les réseaux sociaux et la publicité) – sans forcément le savoir. Un marché étant par définition standardisé, ces données sont très structurées et le nombre d’observations est colossal, ce qui rend la tâche de les comprendre a priori accessible. Avec l’arrivée ces dernières années d’énormes quantités de données propriétaires auparavant inac- cessibles9, une fenêtre sans précédent s’ouvre sur l’esprit humain qui va sans doute profondément transformer notre compréhension de ses actions et de ses interactions. A leur lumière, il devient 8. Il m’a paru tellement plus simple de comprendre la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de Keynes après avoir lu quelques équations (qu’il aurait très bien pu écrire lui-même d’ailleurs, étant mathématicien à l’origine)... ces proses interminables me rappellent toujours l’intérêt de la formalisation mathématique, qui a permis de remplacer de énoncés auparavant assez indigestes par des expressions simples et claires. Un exemple qui me fait toujours sourire est la solution originale de l’équation x3+ px = q, énoncée par Cardan (x étant la « chose », p le « nombre de la chose » et q le « nombre de l’équation ») :

Le tiers du nombre de la chose au cube étant obtenu, on y ajoute le carré de la moitié du nombre de l’équation et du tout,

on extrait la racine carrée que l’on met de côté.

Le demi-nombre que l’on a élevé au carré, tu ajoutes ou tu enlèves à l’autre : tu as le binôme avec son apotome.

En extrayant la racine cubique de l’apotome et celle de son binôme, le résidu de leurs différences est la valeur de la racine. que le formalisme mathématique moderne a remplacé par une expression aussi simple que :

s q 2+ r p 3 3 +q 2 2 3 − s −q 2+ r p 3 3 +q 2 2 3 (10.1) qui, il faut le dire, est quand même plus simple à comprendre et à manipuler (Cardano and Witmer,1993).

9. Essentiellement, des données dans lesquelles les agents possèdent des identifiants qui permettent de suivre anonymement leurs actions dans le temps.

10.3. SUR LA MODÉLISATION EN FINANCE 173

donc possible de viser une compréhension plus structurelle et quantitative des systèmes sociaux ou financiers, à condition de ne faire l’impasse ni sur la physique des systèmes sociaux, ni sur leur économie. J’espère pour ma part que cette thèse aura pu apporter une petite pierre à ce grand édifice.

Appendices

Annexe A

Définition d’une classe de Processus de

Prix Impacté

(IPP) et introduction aux

Path-Dependent Kernels

Depuis Bachelier au début du siècle dernier (Bachelier, 1900), la recherche de processus de prix toujours plus réalistes a occupé une place importante dans la littérature financière. Partant du constant que les prix sont au premier order martingale, c’est la modélisation de la volatilité qui a été l’objet de tous les intérêts, du mouvement brownien géométrique aux processus de Lévy, en passant pas les modèles autorégressifs (ARCH (Bollerslev et al., 1994) et maintenant Hawkes (Bacry and Muzy, 2014)), les processus à volatilité stochastique (Heston, 1993), les processus multifractaux (Muzy et al., 2000), les mouvements browniens fractionnaires (Gatheral et al., 2014), etc. Ces dernières années, avec la popularisation du concept de liquidité, la recherche de processus permettant de décrire de manière effective l’impact d’une action sur les prix s’est peu à peu développée, avec pour modèles phares les modèles de propagateur (Bouchaud and Potters, 2003; Gatheral, 2010;

Almgren and Chriss, 2001) et plus récemment les modèles de Hawkes (Alfonsi and Blanc, 2016;

Bacry and Muzy, 2014). Le Chapitre 6 a déjà défini un processus de prix grâce à l’équation A.2, sous la forme : yt= 1 L Z t 0 ds ms p 4πD(t− s)e −(yt−ys)4D(t−s)2 := 1 L Z t 0 msP (yt− ys, t− s)ds, (A.1)

oùP est la fonction de Green associée à la diffusion classique pour une volatilité√2D. Toutefois, ce processus est restrictif pour une raison simple : à temps grands, il se comporte comme un propagateur en 1/√t. Or, Bouchaud and Potters (2003) a montré que pour obtenir un processus diffusif basé seulement sur un modèle de propagateur en loi puissance, la relationα = 1−γ2 doit être vérifiée, où α est l’exposant du propagateur (ici 1/2) et γ > 0 est l’exposant de l’autocorrélation des trades qui

178 ANNEXE A. DÉFINITION D’UNE CLASSE DE PROCESSUS DE PRIX IMPACTÉ

permet de contrer la mean-reversion du propagateur. Pour satisfaire cette relation avecα = 1/2, il faudrait doncγ = 0 ce qui n’a pas de sens. Ainsi, quel que soit le processus de trades dans le modèle du Chapitre 6, la composante liquidité mean-revert toujours à 0, et une synchronisation exogène est nécessaire pour rendre le prix diffusif (due à de l’information publique par exemple). Elargir la classe de modèles à des processus à mean-reversion moins forte est donc intéressant : la composante de liquidité pourrait alors jouer un rôle à part entière dans le processus de prix.

Nous développons dans ce premier appendice une classe de processus qui élargit celle du Chapitre

6, en introduisant des path-dependent kernels généraux P (xt− xs, t− s). Un choix de fonctions particulières permet dans certaines limites de retrouver des modèles de propagateur en 1/tα où α 6= 1/2. Lorsque 0 < α < 1/2, ces modèles peuvent être microfondés et correspondent à des agents qui évoluent selon un Grey Brownian Motion. Le système agrégé suit alors une équation de diffusion fractionnaire, et comme précédemment ces processus reproduisent les principales propriétés de l’impact – en particulier un impact en racine universel à temps longs. Le cas 1/2 < α peut également être écrit, mais ne correspond a priori pas à une dynamique d’agents sous-jacente.

N’étant pas issue d’un article publié mais plutôt un résumé de recherches en cours, l’annexe qui suit n’est pas exempte d’erreurs – et si elle en contient je m’en excuse.

Abstract We generalize the notion of path-dependent kernel that has emerged naturally in the derivation of price impact in supply- and demand-driven financial markets. We write the price as the convolution of past trades mt with a path-dependent kernel P (xt− xs, t− s) where xt is the price at timet. In this framework, one can define an order book ϕ that can be expressed in terms of P , so that in some cases properties of P can be interpreted in a dual way as properties on how the orders to buy/sell behave on the order book. This compatibility with an order book representation is novel for that kind of processes, and seems crucial in the understanding and interpretation of price impact in a context where prices are the result of supply and demand. We show that the order book follows a PDE for some markovian kernels – amongst which, α-stable kernels – and that the absence of manipulation holds for a very general shape of kernels. Finally, one of the main results is the universal square root upper bound for price impact, attained for large trading rates.

A.1

Path-dependent kernels

A.1.1 Definition for the price under an external pressure

We introduce here the general notion of path-dependent kernels (PDK)P (x, t) where x represents the price and t ≥ 0 represents the time. We define the following class of price dynamics under a pressure mt (that can be interpreted as the derivative of position of the investor, i.e. his trading process) :

A.2. DUAL DEFINITION OF THE ORDER BOOK 179